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Burkinabè de Côte d’Ivoire : Quand les «diaspos» songent à investir au pays

 

S’il y a une communauté étrangère en Côte d’Ivoire qui s’impose par sa supériorité numérique, c’est bien celle burkinabè. En effet, elle est forte d’environ quatre millions d’âmes et une bonne partie de ceux qui y vivent y sont nés. Après les crises que le pays d’Houphouët a connues, il y a eu plusieurs vagues de rapatriements au pays d’origine à travers des opérations comme celle dite « Bayiri ». Malgré ce flux important de nos compatriotes qui se chiffre à environ 160 000 rapatriés (en mars 2003), un nombre non négligeable de Burkinabè résidant dans ce pays continuent de tirer leur épingle du jeu en terre ivoirienne. Une des grandes leçons de la crise post-électorale de 2010, c’est l’éveil de conscience de ces Burkinabè. Depuis lors en effet, nombre de ceux-là qui en ont les moyens se tournent vers leur Faso en matière d’investissements, une sorte de rapatriement de capitaux pour, disent-ils, éviter à l’avenir les mauvaises surprises. Mais à les entendre, l’environnement des affaires au Burkina ne les y encourage pas. Lors d’un séjour sur les bords de la perle des lagunes, nous avons pu faire ce constat avec quelques hommes d’affaires burkinabè qui vivent dans l’embarras.

 

 

« Si tu ne restes pas sage on va t’envoyer au Burkina, tu vas y souffrir et comprendre», c’est ainsi que certains parents burkinabè vivant en Côte d’Ivoire mettaient en garde leurs enfants quand ils avaient des écarts de conduite. Et à ces menaces, les enfants se rangeaient automatiquement. Puisque de l’idée qu’ils ont reçue de leurs géniteurs, qui pour la plupart avaient quitté le Burkina profond pour la Côte d’Ivoire, ce pays n’a pas changé, il est resté le même que dans leurs souvenirs du village. Il convient donc de dire que parmi les Burkinabè vivant  en Côte d’Ivoire, nombreux sont ceux dont les parents s’y sont installés pendant la période coloniale. Amidou Salou a 83 ans et vend de la volaille dans la commune de Koumassi, à Abidjan. « La première fois que je suis retourné au Burkina, c’était dans les années 80 ;  je n’en croyais pas mes yeux car mes parents ont passé la moitié de leur vie à me décrire ce pays comme étant sans avenir et n’offrant  aucune possibilité de s’épanouir », a-t-il regretté. Après le décès de ses géniteurs, l’octogénaire   a décidé de visiter la terre de ses ancêtres. « Je m’y suis senti tellement bien, mais j’avais déjà mes enfants et ma famille en Côte d’Ivoire, comment revenir m’installer au Burkina ? » Une équation que le vieux Salou n’a pu résoudre puisque après nous avoir reçue le 2 décembre 2017, il a rendu l’âme le 29 du même mois à Koumassi. Le cas du vieux Salou est isolé puisque contrairement à lui, de plus en plus, les pawéto ou koswéto (termes par lesquels on désigne les émigrants en langue nationale mooré) de Côte d’Ivoire ont pris conscience de la nécessité pour eux de retourner aux sources. Christelle Bado, 31 ans, est de cette génération-là. Elle a atterri dans ce pays quand elle avait 16 ans. « Je suis tombée enceinte, mes parents m’ont répudiée. C’est ainsi que je me suis retrouvée ici. Au début, je gérais une boutique de pagnes», a-t-elle relaté. Depuis 7 ans, la jeune maman s’est installée à son propre compte. Elle a, dans la commune d’Adjamé où elle réside, une grande boutique de vente en gros de pagnes de toutes les qualités. Assise devant sa boutique ce 2 décembre 2017, elle nous confie qu’elle met tout en œuvre pour rentrer au pays avant 2020. Et pourquoi ? « Comme il y a des élections en perspective, on a un peu peur.  En plus le Burkina, c’est chez moi et je ne peux pas rester éternellement en exil», a-t-elle soutenu. Même si la boutique de pagnes qu’elle a ouverte en 2016 à Ouagadougou peine à tenir debout, Christelle est décidée à transférer son commerce au Burkina d’ici à 2020.  Une autre Burkinabè, une autre réalité. Elle, c’est Bintou Dembélé. A 42 ans, elle a quitté la Côte d’Ivoire il y a cinq ans pour ouvrir une agence de communication à Ouagadougou.  Venue rendre visite à sa mère à Abidjan le 4 décembre 2017, elle nous a révélé que son précédent emploi de chargée de communication dans une entreprise ivoirienne était stable et bien payé, mais qu’elle voulait relever un nouveau défi dans son pays d’origine. A l’en croire, elle n’arrive pas à tirer son épingle du jeu, puisqu’il lui est difficile de décrocher des marchés. « Les affaires ne marchent pas bien », se plaint-elle. Ce retour comportait des risques, elle le savait mais ne voulait plus rester dans ce pays après la crise de 2010 qui a emporté son père. Aussi a-t-elle décidé de rentrer pour apporter sa pierre à la construction de son pays. « Avant, je travaillais pour les autres et chez les autres, mais maintenant je travaille pour moi-même et pour mon pays et en plus, j’embauche aussi des gens », se réjouit-elle. « Même si jusqu’à présent je n’arrive pas à m’imposer, je n’ai aucun regret», a-t-elle affirmé.

 

 

 

Pour faire des affaires au Burkina, il faut être fort dans la tête…

 

 

 

Bintou fait partie de ces jeunes immigrants burkinabè qualifiés qui ont grandi et fait leurs premiers pas professionnels en Côte d’Ivoire. « Mes parents travaillaient dans une plantation de cacao dans le sud du pays», a-t-elle expliqué. Selon la quadragénaire, l’environnement des affaires au Burkina Faso n’est pas tendre. « J’ai mis plus de trois ans à installer ma boîte, sans oublier que j’ai été arnaquée deux fois. Comme je n’étais pas basée au Burkina je voulais gérer cela par des intermédiaires, qui m’ont malheureusement roulée », se rappelle-t-elle. Ce n’est pas l’homme d’affaires aguerri Bernard Bonané qui dira le contraire. « Pour faire des affaires au Burkina, il faut être fort dans la tête, il faut connaître du beau monde », a-t-il soutenu. Cet entrepreneur qui vit en Côte d’Ivoire depuis 30 ans a tenté d’installer une filiale de son entreprise,  International tous risques (ITR), au Burkina mais après une tentative qui a échoué en 2009, il a jeté l’éponge définitivement. L’environnement des affaires au Burkina est un peu hostile à la diaspora, selon le directeur d’ITR. « Surtout à ceux qui viennent de Côte d’Ivoire. Quand on est ici, on dit qu’on est des Burkinabè, quand on va au Burkina, on nous traite de « diaspo ». C’est souvent dit juste pour nous taquiner, mais c’est tout de même frustrant et cela traduit un peu l’idée que certaines personnes ont de nous », s’est offusqué le DG d’ITR. Ce dernier a avoué qu’en dehors des investissements personnels (biens immobiliers, transfert d’argent), il ne se sent pas encore prêt à recommencer l’aventure.

 

Le phénomène du retour semble être motivé en partie par des raisons familiales. Mais dans le cas précis des Burkinabè de la Côte d’Ivoire, il faut dire que c’est la mise à l’index de leur pays d’origine, accusé d’être à la source de toutes les tentatives de déstabilisation ainsi que les représailles qui s’en sont suivies, qui ont convaincu nombre d’entre eux de préparer leur repli au Burkina Faso.

 

 

 

A environnement « hostile », organisation en béton…

 

 

 

Ceux qui rentrent ont souvent des idées novatrices, mais ils découvrent très vite qu’ils doivent relever les défis du monde des affaires dans un environnement difficile.

 

C’est en cela que la représentation de la Chambre de commerce du Burkina en Côte d’Ivoire joue son rôle qui est de faciliter et de donner des informations aux Burkinabè et à toute  autre  personne qui souhaiteraient investir au Burkina. « Nous sommes là pour vendre l’image en matière d’investissement »,  a affirmé le représentant de cette Chambre, Seydou Tou.

 

Combien y a-t-il d’opérateurs économiques burkinabè en Côte d’Ivoire ? A en croire  M. Tou, on dénombrait quelque 2 500 entreprises appartenant à certains de nos compatriotes selon un recensement effectué en 2014. « Il faut dire, d’une part, qu’il y a ceux qui sont nés ici et qui ont réussi à  se faire une place au soleil et, d’autre part, ceux qui sont venus du Burkina uniquement pour faire des affaires parce que l’environnement s’y prêtait », a-t-il expliqué. Et de regretter : « Il y a  en a qui ont quitté la Côte d’Ivoire pour s’installer au Burkina mais après quelque temps, ils ont été obligés de replier.» A la question de savoir si l’environnement des affaires en Côte d’Ivoire était plus favorable, il répond qu’en réalité pour  ceux qui quittent la Côte d’Ivoire pour aller investir, il y a la question de la connaissance du milieu d’accueil et de l’état d’esprit de l’ensemble des acteurs. « Quand on veut se faire une place dans un domaine, on n’est pas facilement accepté. Et ce n’est pas toujours que l’administration facilite les choses  », a-t-il ajouté.

 

Le cheval de bataille de la représentation de la Chambre de commerce est néanmoins de motiver la diaspora à investir au Burkina.  Une autre institution qui œuvre dans le même sens est le Club des hommes d’affaires burkinabè de la Côte d’Ivoire. Pour le coordonnateur de cette  association, Madi Ouédraogo, l’union fait la force. « Avant la mise en place de ce club, lorsqu’un homme d’affaires avait un problème, il se retrouvait seul, mais avec ce cadre, on se donne des conseils aussi bien pour nos investissements ici qu’au Burkina », a-t-il confié.  

 

Vivement que le climat des affaires nous soit de plus en plus favorable. En tout état de cause, il faut rappeler que comme tout projet d’immigration se réfléchit et se mûrit, tout projet de retour ne s’impose guère quand on a le choix.

 

 

 

J. Benjamine Kaboré

 

 

 

Encadré 1 

 

Le forum Diaspo invest, un levier…

 

 

 

Parmi les mécanismes d’accompagnement des entrepreneurs de la diaspora, il y a le forum Diaspo invest, une initiative de Moumouni Pograwa. Dans une interview qu’il nous a accordée, cet homme d’affaires nous a confié que cette rencontre qui a regroupé des hommes d’affaires du Burkina le 16 novembre 2017 à Abidjan a connu un franc succès, soit un engagement ferme d’investissement de 351 milliards de F CFA. Lisez plutôt !

 

 

 

Depuis combien de temps  vivez-vous en Côte d’Ivoire ?

 

 

 

Rires. Cela fait 40 ans que je suis à Abidjan puisque moi-même j’ai 40 ans, ce qui veut dire que je suis né et  que j’ai grandi en Côte d’Ivoire.

 

 

 

Parlez-nous un  peu de votre initiative, Diaspo invest ?

 

 

 

Depuis le discours d’investiture du président du Faso, il a lancé un appel à la diaspora à se mobiliser pour investir au pays. Et nous, on attendait de voir s’il allait poser des actes montrant qu’il traite les Burkinabè de la diaspora comme les autres Burkinabè. Puisque par le passé, nous nous étions vu refuser beaucoup de droits, comme celui de voter. De même, de grandes décisions concernant l’avenir de la nation ont été prises sans que nous y ayons été associés. La diaspora se sentait exclue et s’est donc repliée sur elle-même. Ainsi, en dehors des transferts d’argent que nous faisions à nos familles et connaissances au pays, nous n’investissions pas. Après que le président nous a tendu la main afin qu’on relève ensemble l’économie du pays, nous nous sommes dit que les choses sont en train de changer.  D’autant plus que lorsqu’on a voulu mettre en place la nouvelle Constitution, nous avons reçu ici une délégation de la commission constitutionnelle venue prendre nos propositions. Tout cela veut dire qu’on nous considère comme des Burkinabè à part entière. C’est au regard de  ces éléments que nous avons décidé d’organiser ce forum car il fallait une passerelle entre le gouvernement et la diaspora. J’en ai fait la proposition au chef de l’Etat qui a décidé d’accompagner l’initiative.

 

 

 

En quoi a consisté ce forum ?

 

 

 

L’idée du forum était d’offrir l’occasion aux hommes d’affaires de la diaspora burkinabè et au gouvernement de se rencontrer et d’échanger.  Et comme le Burkina n’est pas un pays fermé, nous l’avons ouvert à tous les autres investisseurs. Il s’est agi de permettre à ces hommes d’affaires qui ont un besoin d’informations sur les opportunités dont regorge le pays d’être éclairés. Et de permettre au gouvernement, qui a besoin d’investissements, de convaincre les potentiels investisseurs.

 

Cela a fonctionné. Le Premier ministre Paul Kaba Thiéba était là, il a présenté le Plan national de développement économique et social (PNDES) aux investisseurs. Seulement pour la Côte d’Ivoire, on a recensé 2 500 opérateurs économiques de nationalité burkinabè résidant ici. Donc si on arrive à convaincre ne serait-ce que 500 de ces opérateurs d’investir au Burkina et qu’ils emploient au minimum chacun 10 personnes, cela va créer 5 000 emplois directs. Sans parler des impôts qu’ils vont payer.

 

 

 

Et qu’est-ce que vous pouvez dire après le forum ?

 

 

 

Ce fut une initiative inédite. Et le but était de gagner la confiance de potentiels investisseurs. On s’attendait à quelque 500 participants et on s’est fort heureusement retrouvé avec le chiffre de 800 au moins. En termes d’intentions d’investir, on en espérait une centaine, au final ce sont  230 entreprises qui ont exprimé des intentions fermes. Ces dernières sont en train de tout mettre en œuvre pour concrétiser leurs intentions. Enfin, en termes de chiffres on s’attendait à des intentions qui vont s’élever au maximum à 100 milliards ; en réalité, on en a eu à hauteur de 351 milliards. Au vu de tous ces chiffres, on peut conclure que Diaspo invest fut un succès.

 

 

 

Quelles stratégies avez-vous développées pour la concrétisation de toutes ces intentions ?

 

 

 

Il faut dire que le forum Diaspo Invest n’est qu’une activité de la structure Burkina Invest, dont je suis à la tête. Le rôle de Burkina Invest est d’accompagner les investisseurs et de lever tous les obstacles à la mise en œuvre de leurs projets. Nous ne doutons pas que les intentions annoncées vont se réaliser sur le terrain. J’ai déjà reçu des investisseurs et on a échangé sur les stratégies de mise en place de leur projet. On va bientôt faire un bilan à mi-parcours.

 

 

 

Quelle sera la périodicité du forum ?

 

 

 

Pour être honnête, moi qui en suis l’initiateur, je n’ai pas envie de recommencer.  Mais au regard du succès, si on nous demande de rebeloter, puisque c’est du patriotisme économique, on le fera. Sinon, cela n’a pas été facile.

 

JBK

 

 

 

Encadré 2 :

 

Le classement Doing Business

 

 

 

A l’instar de celui de nombreux autres pays de l’Afrique de l’Ouest, l’environnement des affaires est difficile au Burkina Faso. Le classement Doing Business 2018 (DB/2018) de la Banque mondiale, qui classe les pays en rapport à la facilité d'y faire des affaires, place le Burkina à la  148e place sur 190 pays dont le cadre des affaires a été évalué (-2 places par rapport à l’année précédente). Dans l’édition précédente (DB/2017), le Burkina occupait la 146e place. En 2016, le pays a enregistré un grand bond, se classant 142e sur le plan mondial.

 

JBK

 

Encadré 3 

 

Il s’est laissé séduire…

 

 

 

Alors que le rêve de certains des hommes d’affaires burkinabè de la Côte d’Ivoire est de pouvoir rapatrier leurs capitaux au pays, certains Ivoiriens se sont déjà laissé séduire par les possibilités d’y faire des affaires. Parmi ceux-là, on peut compter le jeune Landry Kouamé de l’entreprise Kanvoo qui voit en ce pays un terrain vierge pour y investir. « Pourquoi vous intéressez-vous au Burkina ? » lui avons-nous demandé. « C’est une niche pour nous, c’est un pays en plein essor et on pourra mieux étaler nos connaissances », a répondu le chef de projet de Kanvoo. La question de la concurrence n’inquiète pas le moins du monde notre jeune entrepreneur. «On n’a pas peur de la concurrence, on évolue dans un domaine tout nouveau (NTIC), donc on va conquérir le terrain», s’est enthousiasmé le jeune Kouamé.

 

JBK

 

Commentaires   

0 #2 Nobga 25-01-2018 21:16
Mon cher Megd, si c'est ainsi que vous voulez accompagner vos parents de la diaspora à s'intéresser zun pays c'est très très dommage. Soyezvun peu plus patriote et mettez souvent la politique de côté pour accompagner vos parents de la diaspora afin qu'ils ne jettent pas de pierres à la mère patrie.
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0 #1 Megd 24-01-2018 11:26
Dans ce pays le Burkina, les banques et la fiscalité font tout pour vous décourager à investir. Pour avoir un crédit dans ce pays, il faut se lever très tôt et avoir les bras long.

Parce que ça travaille dans une banque, on se bombarde du titre de banquier.

Votre PNDS ne marchera pas tant que le système restera toujours en place. Il faut réorganiser le sectaire bancaire.
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