Mouvement d’humeur des enseignants : «Nos enfants sont notre pétrole»
- Écrit par Webmaster Obs
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La grève : un moyen de pression utilisé en vue de dénoncer une situation ou de faire aboutir une revendication. 68, c’est le nombre de grèves et de sit-in dénombrés, dans divers secteurs d’activité, au Burkina Faso au cours de l’année 2017. Ce décompte a été fait par l’Institut Free Afrik. Si ces mouvements d’humeur enregistrés çà et là peuvent être perçus comme un signe du dynamisme de la démocratie, il est également un secret de Polichinelle qu’ils sont un frein au développement de la Nation. «Un danger pour l’école burkinabè », pour ce qui est des soubresauts dans le milieu éducatif, où des acteurs redoutent une année blanche. C’est ce que développe le journaliste Jules Ouédraogo dans les lignes qui suivent.
Un ex-Premier ministre béninois, Lionel Zinsou précisément , affirmait récemment dans un débat télévisé d’une chaîne française que tout le monde sait que le Burkina est un pays hypersyndiqué. Faut-il prendre cela comme un compliment ou faut-il s’en inquiéter ? La question a son importance, et l’écrivain malien Saïdou Badian dénonçait dans une interview notre attitude africaine consistant à vouloir prendre pour modèle indépassable de la galaxie des systèmes politiques la démocratie occidentale. Trop de grèves est-il un signe patent de bonne santé démocratique ? On n’ose souvent pas répondre à cette question par pusillanimité. La critique étant un sacrilège sous nos tropiques, lorsqu’elle n’est pas dirigée contre l’Etat. Les grèves perlées, si elles sont une réussite du point de vue syndical et sont la preuve du « dynamisme » de notre démocratie, amènent cependant bon nombre de personnes à s’inquiéter à plusieurs égards de l’avenir du Burkina. Les grèves à répétition sont-elles un frein au développement et partant un danger pour l’école burkinabè ? Oui. La simplicité et la force de cette réponse nous interpellent.
Nouveaux seigneurs (1)
La situation que nous vivons au Burkina révèle une situation à laquelle nous ne sommes pas préparés ou plutôt, elle ne fait pas partie de nos préoccupations premières. C’est le cynisme public. Domaine réservé à quelques représentants de l’élite, nouveaux seigneurs qui estiment n’avoir aucun compte à rendre à qui que ce soit mais exigent tout des autres, en l’occurrence ici, de l’Etat burkinabè.
Il y a un proverbe moaga qui dit : « On jette une motte de terre sur son pays mais pas un caillou ». Nos cœurs ne peuvent que saigner en permanence parce que le Burkina, disons notre Culture, souffre des indigences culturelles des uns et des autres. La simple raison, les élites formées à l’école du Blanc n’ont pas appris, à travers le syncrétisme culturel, à faire la part des choses. Beaucoup de questions ne peuvent pas être assujetties à une vision locale ou nationale. L’éducation fait partie de ce domaine. La globalisation n’est pas seulement économique ou technologique, elle est aussi encéphalique. Les enfants burkinabè ne sont pas uniquement en concurrence entre eux, Burkinabè ! Leurs émules sont des Ivoiriens, Togolais, Béninois, Ghanéens, tout l’espace UEMOA pour commencer et par extension le monde numérisé.
On n’a peut-être pas du pétrole et autres ressources à haut rendement immédiat ! Mais nous avons des enfants, des hommes de demain ! Tous les oligarques de tous les pays ont un point commun : « Le gain » tout de suite et maintenant pour leur seule satisfaction, le matérialisme débridé… Ils ne sont pas seulement un frein au progrès social, ils sont également des éteignoirs des cultures. Si nous voulons qu’il en soit autrement, il faudra alors recentrer notre système éducatif dans sa mission première, pas seulement de transmission de connaissances, mais surtout de valeurs, des valeurs devant permettre de bâtir une nation forte dans le sens du développement global certes, mais avec pour finalité le développement intégral de chacun des fils et filles du Burkina.
Pourquoi condamner nos enfants à la misère ? Pourquoi ajouter à la pauvreté la misère du savoir ?
Mentalités « court-termistes »
Et si cette fronde sociale et toutes les autres crises cachaient un profond malaise au niveau du Burkina postinsurrection, de notre démocratie ? Assurément, l’insurrection a été salutaire pour la sauvegarde des fondements de la République ; il n’en demeure pas moins qu’elle a facilité un tour de passe-passe entre certaines organisations des partis politiques et de la société civile. Le moins que l’on puisse dire est que le peuple, à travers ces remous sociaux incessants, semble remettre en cause ses propres choix, lesquels sont révélateurs de nos mentalités « court-termistes ».
Il est déplorable - cela continue de constituer l’un des graves maux de nos Etats - que les consciences d’aujourd’hui et de demain, les responsables de notre bien-être de demain aient à pâtir de ces « incompréhensions et guerres de tranchées » entre adultes.
Une chose importante, en matière d’éducation : les lacunes ne se rattrapent presque jamais. Elles ressortent à un plus haut niveau sauf pour les quelques ‘’surdoués’’ ou pour ceux qui viennent des milieux intellectuellement favorisés sur tous les plans. Par extension, leurs mouvements génèrent un ‘’numerus clausus’’. C’est-à-dire une sélection par l’argent. Ce n’est plus alors l’école pour le peuple mais une perpétuation d’une minorité. Naissance de l’individualisme et rupture avec les cultures ancestrales du collectif. L’incivisme en est une des facettes, le bien commun s’évanouit dans les joutes oratoires d’une ‘’classe intellectuelle’’ pressée et immature politiquement. Emergence d’une ‘’oligarchie’’, un monde où se croisent l’économique, le politique et les affaires…
On comprend aisément la situation globale et ses dérives qui constituent de graves atteintes au droit à l’éducation déjà mis à rude épreuve sous nos tropiques.
Aujourd’hui, l’Afrique n’a plus de retard sur le reste du monde. Celui qui affirmera le contraire n’est qu’un imposteur intellectuel. Il n’en demeure pas moins que nous devons être en mesure de forger des consciences à même de développer par leurs idées, leur créativité, leurs inventions et leur travail, nos contrées. Jusqu’à quand continuerons-nous à ingurgiter les inventions venues d’ailleurs ? Quel est le ratio des produits made in Burkina que nous consommons ou que nous trouvons sur le marché national ? A l’heure du numérique, des imprimantes 3D, etc., l’Afrique doit jouer de sa relative « virginité » pour proposer un « Nouveau » dans la « Transition écologique ».
Le parc solaire de Zagtouli n’est qu’un embryon de ce vaste programme concurrentiel à l’échelle du monde. Revivons la visite du Président français Emmanuel Macron. Peut-on croire sincèrement aux propos de M. Macron lorsqu’il propose une parité des diplômes avec une des prestigieuses écoles françaises comme « centrale » pour l’amour ou les beaux yeux des Burkinabè ? Enfin, soyons réalistes au cas où notre conscience collective se réveillerait sur le plan éducatif et que nos élites remiseraient aux vestiaires leurs « chic ayas imbéciles » ! Quel challenge pour l’ex-colonisateur… Quel retournement !!!
Qui va payer ?
Tout cela est possible aujourd’hui ! Quand il (Macron) évoquait la « jeunesse » du pays et dans le pays, à notre humble avis, de quoi parlait-il ? De la crainte de notre réveil, voyons !!! Réécoutons attentivement son discours.
Alors oui, notre corps éducatif et par extension les autres corps de l’Etat sont-ils conscients des enjeux de ce nouveau monde qui se dessine ? Peut-on leur faire comprendre que les enjeux qui sont là peuvent faire de leur pays, le Burkina, le creuset des intelligences, et la maîtrise de la Transition et des emplois induits ?
La misère du savoir conduit au sous-développement. Ce processus annihile le concept de paupérisation, une sorte de dénégation. Quelle que soit l’issue des pourparlers, une classe d’âge est condamnée à la médiocrité. Est-ce que les syndicats, toutes corporations confondues, supporteraient cela pour leur propre progéniture ?
Sur le plan économique une question à poser : ‘’Qui va payer ?’’. Ce qui revient à dire que la question n’est pas idéologique. Elle concerne toutes les familles soucieuses du devenir de leurs enfants, riches ou pauvres. Et c’est la consécration d’une éducation au rabais, d’une société en perte de valeurs.
Mais après tout : Qui Paie ? Qui va Payer ? Réponse : Nos enfants !!!
Jules Ouédraogo, journaliste
(1) Les intertitres sont du journal
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