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Cyril Ramaphosa, nouveau président sud-africain : Pas de chèque en blanc pour l’homme d’affaires

 

Exit Jacob Zuma, bienvenue à Cyril Ramaphosa. L’homme fort de l’Afrique du Sud ces 09 dernières années n’a pas voulu affronter la neuvième motion de défiance au Parlement pour mauvaise gouvernance. Il a rendu les armes, mercredi dans la nuit, sous les coups de boutoir de son parti qui s’apprêtait à faire voter sa destitution par l’Assemblée nationale.

 

Cette démission, qui a mis du temps avant de se préciser, est loin d’être banale même si elle était attendue, car tous les voyants étaient au rouge pour  le self-made-man du Kwazulu Natal. Elle n’est pas banale, cette démission, parce que de Nelson Mandela à Jacob Zuma, l’Afrique du Sud continue d’administrer des leçons de démocratie qui gagneraient à être assimilées par  les autres pays du continent.

 

On remontera volontiers jusqu’à Nelson Mandela, le monument de la lutte antiapartheid, pour mettre en exergue ces leçons d’humilité du père de la Nation arc-en-ciel, de la force qui reste à la loi et surtout  d’institutions fortes au-dessus des hommes forts qui gouvernent ou ambitionnent de gouverner nos Etats.

On se souvient, comme si c’était hier, qu’il y a 18 ans, Mandela donnait la grande leçon de ne pas s’accrocher au pouvoir, alors que tout, notamment son aura et son leadership personnels, lui ouvrait grandement une présidence à vie en Afrique du Sud. Plus de 15 ans avant que le président Barak Obama sacralise la formule choc de « l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts mais d’institutions fortes », Madiba avait, dans les faits, affirmé ce postulat.

Bien que tout l’autorisât à se proclamer messie, mahdi, timonier  et que sais-je encore de l’Afrique du Sud postapartheid, il a fait preuve d’humilité, écoutant son âge et son parti pour céder sa place à Thabo Mbeki. Comme on aurait voulu que Paul Biya, Theodoros Obiang, Yoweri Museveni et autres adeptes du « j’y suis j’y reste » au prix de mille et une tortures des institutions en place prennent leçon sur l’Afrique du Sud ! Encore faut-il, pour ne pas céder aux sirènes de la présidence à vie, avoir des partis politiques forts ayant une démocratie interne véritable qui peuvent rappeler à l’ordre les prétendus hommes forts.

 

En tout cas en Afrique du Sud, l’ANC vient d’obliger, pour la deuxième fois, un président qu’il avait  plébiscité à rendre le tablier pour mauvais ou insuffisance de résultats et cela, en parfaite cohérence avec  les institutions de la République. Ces faits sont rares, des exceptions  à  la règle générale de ces partis appendices des hommes forts, qui les transforment  en instruments de leur domination sans partage de la vie politique.

Faut-il rappeler que Thabo Mbeki en 2008 avait été, lui aussi, obligé de rendre le tablier, rattrapé par un scandale d’immixtion de la présidence dans un dossier judiciaire ? Là aussi, l’ANC, poussé alors par Jacob Zuma, avait joué la carte de la pression à fond sans faire entorse aux dispositions constitutionnelles  du pays. Aujourd’hui, c’est lui qui subit une déculottée mémorable et toujours dans les règles de l’art.

Et si on n’applaudit pas la gouvernance scabreuse de celui sur qui pèsent 783 chefs d’accusation, ni ses tergiversations honteuses à démissionner, il faut se féliciter que l’ANC  et les institutions que Mandela a léguées à son pays soient à la fois solides et  souples pour permettre cette alternance sans heurts au sommet de l’Etat. Il faut cependant souligner que c’est dommage que l’ANC n’ait pas été clairvoyant dans ses castings au sujet des successeurs  de Nelson Mandela, ses derniers ayant été poussés à sortir par la petite porte sans finir leur mandat.

Mais tant mieux si ces alternances atypiques sont des victoires d’institutions fortes sur des hommes prétendument forts. Et si on doit demander à l’ANC de faire son mea culpa pour avoir  choisi Zuma comme successeur de Mbeki, si Mandela outre tombe ne doit pas se réjouir des fautes de gouvernance de ses deux premiers héritiers, en particulier de celles du populiste et ripou Jacob Zuma, on doit se satisfaire, un tant soit peu, de voir que force reste aux lois républicaines.

 

Voilà Cyril Ramaphosa prévenu. Les erreurs de ses prédécesseurs doivent lui servir de leçons. Lui, qui était le dauphin putatif du Grand Mandela et qui a dû ronger son frein pendant 20 ans avant enfin d’être président de  l’Afrique du Sud, doit  faire appel aux qualités d’homme d’Etat, d’économiste pragmatique, de gestionnaire probe, de fin négociateur qu’on lui prête pour faire mieux que Jacob Zuma et pourquoi pas Thabo Mbeki. En tout cas les députés de l’ANC, qui viennent de le propulser à la tête du pays, ce 15 février, après en avoir fait son président en décembre dernier, ne lui ont pas donné de blanc-seing. Sa feuille de route est immanquablement tributaire des élections générales d’avril 2019. Il a donc à peine 14 mois pour redresser et la barre de l’ANC et celle du pays tout entier.

 

A l’ANC il doit éviter que les querelles de succession au président démissionnaire soient des facteurs d’implosion. C’est un impératif pour affronter les élections prochaines avec sérénité et donner plus de chances au parti de remporter la présidentielle avec brio. C’est connu, aux municipales de 2016, l’ANC avait réalisé son score le plus bas à une consultation électorale avec moins de 53% des suffrages exprimés, perdant au passage le contrôle de villes comme Johannesburg et Pretoria.

Les dégâts de la mal gouvernance Zuma avaient  fait leur effet  de désaffection de l’électorat. Et il n’y a pas que l’électorat qui a été déçu par cette mauvaise gouvernance ; l’économie en a aussi souffert au point que le rand s’est considérablement déprécié sur  le marché de change depuis 2015. De quoi inquiéter les milieux  d’affaires, notamment les investisseurs privés. Selon bien d’analystes économiques, le pays s’est appauvri pendant les 9 ans de la présidence Zuma, et  plus d’un quart de la population active, 28%, est au chômage avec une corruption rampante à tous les niveaux de l’administration publique.On le voit bien, Cyril Ramaphosa n’hérite pas d’un pays en bon état.

Ce sera une gageure que de redresser l’économie nationale, de combattre la corruption, le chômage, etc. Pourtant ces adversaires l’attendent au tournant et ne se gênent pas de seriner déjà à tout vent qu’il est un allié des riches hommes d’affaires peu regardant sur la cause des couches sociales pauvres. Et  de mettre en avant les tueries d’ouvriers grévistes dans le Marikana en 2012 dans lesquelles, il aurait des choses à se reprocher. Pour un fils de Soweto, syndicaliste dans une autre vie, c’est le comble.

 

 

Zéphirin Kpoda

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