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Théâtre : Duras, notre contemporaine

Marguerite Duras, notre contemporaine ? C’est le pari de Moïse Touré. Il a choisi de porter sur la scène de l’Institut français de Ouagadougou les textes de la romancière française en leur donnant une résonance actuelle et une couleur universelle.

Il y a toujours deux volets dans le travail de Moïse Touré : un travail artistique autour du texte théâtral et un autre qui prend prétexte du texte dramatique pour aller à la rencontre de la communauté. On ne peut qu’être admiratif de cette démarche  sous-tendue par une solide conviction : l’art théâtral doit servir la communauté. Ce travail autour de l’œuvre de Duras a donné lieu à une constellation d’activités : ainsi des jeunes comédiens ont été initiés à l’œuvre de Duras à travers la lecture des textes pour comprendre la langue de l’auteur, les enjeux de son écriture et sa condition de femme. Ils ont été initiés aussi  à la danse contemporaine. En somme, ce fut un travail sur la voix et sur le corps du comédien mais aussi une plus-value en culture littéraire et générale. Et la création du chœur avec des enfants d’un village du Yatenga a été l’occasion de ressusciter des comptines oubliées et de faire émerger un pan oublié de la tradition  orale que détenaient les grands-mères. Utiliser un art labile et éphémère tel le théâtre pour laisser une empreinte dans la communauté et transmettre des savoirs et des savoir-faire, voilà le credo de Moïse Touré.

Mais la mise en scène d’Un barrage sur le Pacifique laisse perplexe bien que la mention Roman-théâtre puisse être lue comme un avertissement au spectateur qu’il a affaire à une représentation qui associe la lecture du texte au classique jeu théâtral. En effet, dans un décor figé constitué d’une bicoque bleue sur un terrain latéritique et des chaises, les comédiens s’avancent vers le public, occupent une place à l’avant-scène et racontent au public la vie de la mère. Rarement deux personnes dialoguent en se détournant du public. C’est comme une lecture de morceaux choisis d'un roman. Peu à peu ces morceaux de texte composent une mosaïque de la vie quotidienne à Kam. La mère qui érige un barrage contre les vagues de l’océan pour sauver ses rizières de la salinité mortifère. La mère si droite dans ses bottes face aux fonctionnaires corrompus du cadastre mais qui en même temps peut  jeter sa fille Suzanne dans les jambes du riche Jo pour de l’argent. Marie-Noëlle Eusèbe campe avec brio cette mère Courage, tendue jusqu’à la rupture par la poursuite de sa chimère et usée par une inusable obstination. Sa voix  et ses silences installent une atmosphère où sourdent la folie et la violence. Odile Sankara joue avec beaucoup de retenue une Suzanne ingénue. Le fils Joseph (Ali Ouédraogo), lui,  ne rêve que de partir, de fuir ce perpétuel huis-clos. C’est une tragédie qui se joue dans ce domaine, la mère et ses enfants sont des mouches prises dans une toile d’araignée, et toutes leurs gesticulations ne font que les fixer plus durablement là. D’ailleurs le chœur d’enfants qui va et vient sur scène ne fait que ponctuer les étapes de cet anéantissement.

Avec une telle distribution, on dispose d’un fort potentiel de jeu qui ne demandait qu’à se déployer, et c’est dommage qu’il ait été bloqué par le choix de l’adresse au public.

Frustrant aussi le caporal (Lansann Congo) qui traverse la scène sans jamais proférer de mot.

Pourtant malgré ce refus de théâtre, la démarche synthétique du  théâtre de Moïse Touré est présente dans cette mise en scène. Cet espace devient le creuset de toutes les formes d’art : danse contemporaine avec le solo final de Lansann Congo, défilement d’images vidéo, articulation entre le local et l’universel, entre l’amateur et le professionnel. Comme d’habitude aussi, les langues africaines se déploient sur scène à côté du français sans complexe, à l’image du récital de la griotte  et des comptines du chœur qui accompagnent le texte de Duras. Tout cela contribue à donner une résonance africaine à Un barrage contre le Pacifique. Le combat de cette mère Courage contre la nature et contre les fonctionnaires véreux du cadastre trouve une résonance au Burkina, où les calamités naturelles et les réformes agraires qui exproprient les petits producteurs font des paysans des résistants au rouleau compresseur de l’agrobusiness.

En choisissant  un genre hybride qui oscille entre le théâtre et le roman, Moïse Touré déstabilise son spectateur. Le metteur en scène questionne de plus en plus la position du spectateur ; si cette recherche vise à frustrer le spectateur, alors c’est réussi. Cette mise en scène a quelque chose d’inachevé. Comme l’onagre. Qui, du cheval, n’a pas la grâce, et de l’âne, point la robustesse.

 

Saïdou Alcény Barry

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