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Dissolution de l’Assemblée nationale gabonaise : La vertu tardive de Marie-Madeleine

Séisme politique, coup de théâtre, coup d’Etat : les qualificatifs, les uns plus piquants que les autres, n’ont pas manqué pour caractériser la décision surprise de la Cour constitutionnelle du Gabon de dissoudre l’Assemblée nationale, pousser le gouvernement à la démission et investir le sénat des prérogatives des députés.

 

Le président Ali Bongo Odimba est invité, pour sa part, à former un gouvernement de transition dont la mission principale sera  d’organiser les prochaines législatives  avant de céder la place à un nouvel exécutif issu de la nouvelle majorité.

 Cet arrêt de la Cour constitutionnelle, rendu public ce 30 avril, est pour le moins une tentative de sortir le Gabon du blocage institutionnel dans lequel il est empêtré depuis deux ans : élection présidentielle contestée avec, d’un côté, un vainqueur officiel, le président Ali Bongo Odimba, et, de l’autre, un gagnant autoproclamé, l’opposant  Jean Ping, qui clame jusqu’à présent  que sa victoire lui a été volée.

Il s’en était suivi de fortes turbulences sociales, marquées par de violentes manifestations de rue avec mort  d’hommes et une tentative d’incendier les bâtiments de l’Assemblée nationale dont une partie avait été effectivement brûlée. Cette crise postélectorale est toujours latente et, jumelée à la non-tenue des élections législatives depuis sept ans, faisait du Gabon une république en porte-à-faux avec ses propres lois.

Quand on sait que la Cour constitutionnelle elle-même était accusée d’être dans l’illégalité parce que sa présidente, Madame Marie-Madeleine Mborantsuo, aurait un faux diplôme de maîtrise en droit, et qu’en outre, elle serait restée à son poste après l’expiration de  ses deux mandats légaux de sept ans,  nous nageons dans un imbroglio de vraie-fausse légitimité institutionnelle, où le ridicule côtoie l’arbitraire, dans des entourloupettes dont seules les républiques bananières ont le regrettable monopole.

Voilà qui explique que pour une fois que Dame Mborantsuo et ses pairs de la plus haute juridiction secouent  le cocotier des institutions gabonaises bien d’observateurs sont perplexes. A juste raison, car on lui trouve une hardiesse suspecte à mettre fin à une illégalité qu’elle a côtoyée pendant deux ans sans broncher, même qu’elle avait avalisé par son silence les deux reports des élections législatives dans le pays.

Quelle mouche l’a donc piquée  pour qu’elle veuille, maintenant et maintenant seulement, dire le droit et rien que le droit ? La Tour de Pise, surnom  que les Gabonais ont donné à la Cour constitutionnelle de leur pays pour indiquer qu’elle se penche toujours du côté gouvernemental quand elle est saisie des questions électorales, voudrait donc se redresser. Le peut-elle sans s’écrouler ? A moins que ce brusque intérêt pour l’orthodoxie républicaine ne soit un tour de prestidigitation politique par lequel le président Ali Bongo Odimba, le magicien en chef, essaie de leurrer le peuple gabonais sur ses vraies aspirations démocratiques.

En effet, même si cet arrêt de dissolution de l’Assemblée nationale a été pris avec la bonne intention de sortir le pays de l’illégalité institutionnelle,  au royaume des Bongo, le geste est trop républicain pour ne pas éveiller des soupçons de  manigances politiciennes. La Cour constitutionnelle ne serait-elle pas  de connivence avec la Présidence de la république ?

La première, agissant en bras exécuteur  des ordres de la seconde, le commanditaire du renvoi des députés et des ministres. La tête de l’exécutif qui instrumentalise la plus haute juridiction, ce ne serait pas une première sous nos tropiques surtout qu’au Gabon, ces relations coupables s’exerceraient de beau-fils à belle-mère. Et cette complicité tacite ne date pas d’aujourd’hui.

N’est-ce pas qu’à  la présidentielle d’août 2016, la forte odeur d’hold-up électoral que laissait transparaître le score à la soviétique du candidat Ali Bongo Odimba dans le Haut Ogooué avait laissé de marbre Dame Mborantsuo et les autres juges de la Cour constitutionnelle ? On les voit mal se rebiffer aujourd’hui contre le gouvernement de celui dont ils ont confirmé le magister sur le Gabon en août 2016.

Et si Ali Bongo Odimba jouait à qui perd gagne ? Perdre des institutions illégitimes, Assemblée nationale et gouvernement sclérosé, pour gagner à rebattre les cartes du jeu politique national. Comment ? Primo, en l’absence d’une Assemblée nationale et face à  un sénat monocolore, le chef de l’Etat va désormais concentrer entre ses mains l’essentiel des pouvoirs. Secundo, la formation d’un gouvernement de transition exigée par la Cour constitutionnelle sera sans doute une occasion d’appâter certains opposants pour les extirper de la sphère d’influence de Jean Ping qui ne veut pas entendre parler d’élections législatives et œuvre à leur boycott.

Tertio, la dissolution de l’Assemblée nationale, c’est comme la fin des haricots pour les députés rebelles du Parti démocratique gabonais (PDG). Ces derniers avaient créé au sein du parti présidentiel un courant réformateur animé par l’ancien président du Parlement Guy Nzouba-Ndama.  Si ce contempteur d’Ali Bongo a rendu le tablier il y a deux ans de cela, certains de ses partisans, bien qu’évincés du parti présidentiel, étaient restés au Parlement.  Si nouvelles élections législatives il y a, ces fortes têtes exclues du PDG devraient aller voir ailleurs si elles peuvent faire prospérer leurs ambitions politiques.

Au total, Dame Mborantsuo, en intelligence ou non avec Ali Bongo Odimba, lui a rendu un grand service par cet oukase aux allures de coup d’Etat constitutionnel. Légalement, le président de la République concentre désormais entre ses mains tous les pouvoirs, travaillera à attirer à lui une partie de l’opposition et au contraire à se débarrasser des députés de son parti devenus peu dociles. Cerise sur le gâteau, si l’illégalité institutionnelle d’une Assemblée nationale est corrigée, l’occupant du Palais de bord de mer pourra boire du petit lait à la santé de sa belle-mère, Marie-Madeleine. Il ne resterait plus qu’il profite de cette période de transition dont on ne connait pas encore la durée pour corser les lois électorales et pourquoi pas se tailler une nouvelle Constitution pour une nouvelle République sur mesure. Dans ce petit royaume des Bantous, les Bongo Odimba ne sont-ils pas rois ?

 

Zéphirin Kpoda

Dernière modification lemercredi, 02 mai 2018 19:00

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