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Dans la Bibliothèque du Ouidi Naaba : Des chevaux et des chefs-d’œuvre

Dans la recherche des grands lecteurs, espèce en voie d’extinction, nos pas nous ont porté chez le Ouidi Naaba, dentiste à la retraite, ancien ministre de la Santé sous la IIIe République. C’est un lecteur éclectique et boulimique qui vit au milieu d’ouvrages et qui en parle avec beaucoup de plaisir. Rencontre avec le chef de la cavalerie royale, qui aime autant les chevaux que les livres.

 

Ce jeudi 5 avril 2018, nous avons rendez-vous avec le Ouidi Naaba à 9h00. Le chef de la cavalerie du Mogho Naaba est connu pour sa rigueur et son attachement à la ponctualité. Pour être pile poil au rendez-vous, nous quittons le service bien à l’avance. Lorsque nous nous garons devant son palais à 8h 40, nous le croisons au portail. Il allait à son bureau, la clinique dentaire qui se trouve de l’autre côté de la rue, en face de son domicile. Avec lui se vérifie l’adage qui dit que la ponctualité est la politesse des rois.  

Poussé le portail de la clinique, on se retrouve dans une cour ombragée. Avant de nous offrir un siège, il nous fait faire le tour du propriétaire. Après le salon, à l’aile droite, une porte close. Le propriétaire des lieux fait mander le trousseau de clefs. La porte cède dans un cliquetis et apparaît une immense bibliothèque aux rayonnages remplis de livres de toutes sortes : essais, romans, biographies, almanachs. Nous n’avons pas le temps de lire les titres sur le dos des volumes que déjà il nous mène dans la salle d’en face. Ici, à côté du fauteuil dentaire, sur une immense table, une montagne de journaux, de magazines et de revues scientifiques dont une revue de médecine dentaire. « Je suis abonné à cette revue depuis… 1970 », lâche-t-il.

La visite continue. Nous traversons la courette de la clinique pour passer dans une autre cour. Là, une autre maison dans laquelle il y a des livres et des livres. Des centaines de bouquins. Nous avisons une pile de livres sur le Burkina Faso. « Je voudrais aménager ce bâtiment pour en faire une bibliothèque», nous confie le ministre du Moro-Naaba.

Et nous voilà repartis dans la clinique pour nous installer dans la salle d’attente. Sur le guéridon, plusieurs ouvrages : Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzsche, Le Prince de Machiavel et le dernier numéro de Jeune Afrique, ce qui dénote l’appétence pour la lecture de notre auguste hôte. Il y a aussi Le Nouveau Pouvoir de Régis Debray, sur Macron. Nous avons affaire à un boulimique de la lecture. Lorsque nous demandons à notre hôte comment il fait pour se procurer les dernières parutions de Paris, dans un grand éclat de rire, il nous répond que c’est son jardin secret.

 

De l’entrée en lecture

 

A la question de savoir la première œuvre qu’il a lue, il nous fait remonter dans le temps, en 1949 à Zorgho. Le premier contact avec le livre s’est fait à l’école primaire de cette ville. Des textes lus dans le livre de lecture et découverts dans les dictées. Sorti premier de l’école de Ganzourgou, il reviendra à Ouagadougou, au Collège moderne. Cette année-là, son père, le Ouidi Naaba Koanga, grand-père de notre confrère Ahl-Assane Rouamba, lui offre la collection des romans de Victor Hugo. Ici commence son long et ininterrompu commerce avec le « vice impuni, la lecture », selon Larbaud. Il se rappelle sa plongée dans les arcanes de Notre Dame de Paris, de Quasimodo, le bossu qui s’amourache de la belle Esmeralda.

Il se promènera dans l’univers des Misérables, dans Paris des barricades aux côtés de Gavroche. La même année, il quitte Ouagadougou pour la capitale sénégalaise : il sera inscrit au Lycée fédéral de Dakar. Là, il découvre la bibliothèque de l’établissement et la fréquente assidûment. Loin de Ouagadougou et des siens, il trouve dans la lecture un passe-temps, il arpente les pages des livres et s’immerge dans d’autres univers : « Quand tu lis, tu n’es plus seul, tu dialogues avec quelqu’un, c’est deux esprits qui se rencontrent. »

 

Lecteur tous azimuts

 

Le Ouidi Naaba lit tous les genres et toutes les époques. C’est un lecteur encyclopédique. Il aime relire les anciens. Les Grecs comme Platon, les Romains tels Thucydide, l’historien, Marc Aurèle, l’empereur romain et philosophe stoïcien, Sénèque, le Florentin Machiavel, les Français des Lumières, Montesquieu, Montaigne, Tocqueville et Rousseau. « Celui-ci, dit-il, a écrit un livre incontournable sur l’éducation, l’Emile ou de l’Education et pourtant il a abandonné ses propres enfants ». Les Anglo-Saxons, Adam Smith, Hobbes. On aura compris que ce lecteur-là aime commercer avec les philosophes, ceux qui pensent le monde et tentent de le réinventer en mieux ou du moins en plus docile. Dès qu’il découvre un auteur, il lit tous ses ouvrages pour avoir une idée de son œuvre. Tout Platon, Tout Nietzsche. Tout Sénèque.

Il y a les auteurs asiatiques, Lao Tse, Confucius. Des livres d’Américains, il se souvient avoir dévoré les polars de Chester Himes et surtout la Case de l’oncle Tom d’Harriet Beecher Stowe, ce roman dont Abraham Lincoln disait qu’il est à la base de la Guerre contre le Sud pour mettre fin à l’esclavage. L’histoire du vieux et placide Tom l’a tellement tourneboulé qu’il a depuis tourné le dos aux écrivains américains.

Il s’intéresse beaucoup à la littérature d’Amérique latine. « Il y a une proximité entre leur situation de colonisés et la nôtre. Eux ont été complètement assimilés par les colons européens mais leur littérature est plus proche de nous ». On y trouve la Fête du Bouc de Mario Vargas Llosa et Cent ans de Solitude de Gabriel Garcia Marquez.

En ce moment, il lit Petite Géographie amoureuse du cheval de Jean Louis Gouraud, un livre sur l’histoire du cheval à travers les continents : de l’Asie, de l’Amérique et de l’Afrique et même du Burkina Faso. Pour le Ouidi Naaba, chef de la cavalerie du Mogho Naaba, une telle lecture joint l’utile et l’agréable. L’autre bouquin est Sylvain Marechal, l’égalitaire de Maurice Dommanget, une biographie sur l’obscur polygraphe dont les idées ont inspiré les acteurs de la Révolution française.

 

Quid de la littérature burkinabè ?

 

Il lit toutes les parutions sur le Burkina Faso, surtout les essais politiques. Sous la Révolution d’Août 1983, il a fait partie des dignitaires qui ont été arrêtés et déportés à l’intérieur du pays. Lui a été exilé à Ouahigouya en résidence surveillée. Dès sa libération, de retour à Ouagadougou, il s’est rendu à la librairie « Jeunesse d’Afrique » pour rafler tous les textes qui ont été écrits sur la Révolution et sur son leader. Pour mieux comprendre la Révolution. Il dit qu’il y a eu des choses intéressantes dans la vision révolutionnaire, mais qu’il y a aussi eu des dérives. Il affleure dans ses propos une sympathie pour ces jeunes qui ont voulu changer le pays, malgré les déconvenues qu’il a connues avec le régime des capitaines.

De la littérature burkinabè, il a lu Le Mal de Peau de Monique Ilboudo, le Crépuscule des Temps Anciens de Nazi Boni. Que pense-t-il de la qualité de cette littérature ? « Elle est à ses débuts, donc ayant des défauts dus à sa jeunesse », dit-il. Et après un instant, il ajoute : « Le Secret des Sorciers noirs » de Dim Dolobsom est le premier livre édité du pays, mais il était soutenu par une méthodologie scientifique inattaquable. » Faut-il comprendre que les essais actuels manquent de rigueur dans la méthodologie ?

A brûle-pourpoint, nous lui demandons s’il a des projets d’écriture et d’édition. « Je n’en sais rien », dit-il, laconique. Nos relances ne l’ébranleront pas. Elle restera sibylline, sa réponse. Faut-il y voir une attitude de prudence ? Notre hôte étant d’une culture où la parole engage, il évite d’être tenu par une promesse. Si le livre doit se faire, il se fera. Aussi rien ne sert d’annoncer ce qui est encore dans les limbes. Mais lui-même constate que notre histoire, celle du Burkina Faso, reste à écrire.

 

Quels livres comme viatique sur une île déserte ?

 

Sans hésiter, il cite Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzsche, 1984 de George Orwell. Ainsi, c’est avec le prophète perse et Big Brother, la figure du pouvoir totalitaire, que le chef poursuivrait le commerce loin des hommes. « Et l’Archipel du Goulag de Soljenitsyne », ajoute-t-il. Tout en riant, il nous dit que nous pouvons comprendre qu’il emporte avec lui le récit du prix Nobel russe sur sa vie carcérale. Il fait allusion à sa détention à Ouahigouya pour suggérer que cette expérience commune du cachot installe entre lui et Soljenitsyne une certaine fraternité.

 

Quels conseils pour les jeunes ?

 

« Il faut qu’ils lisent, qu’ils aillent dans les bibliothèques. » Pour lui, il ne faut pas qu’ils soient intimidés par les bibliothèques, il faut qu’ils en franchissent le seuil pour entrer en contact avec la culture livresque. « Le Petit Prince de Saint-Exupéry est un livre profond, très profond, dit-il. Mais il faut un bon enseignant pour amener le jeune lecteur à le comprendre plus profondément. »

Umberto Eco disait qu’il y a plusieurs sortes de bibliothèques ; celle perdue d’Alexandrie, celle de Saint-Victor que Rabelais fait délaisser par Pantagruel pour aller faire l’expérience du monde, puis celle de la Mancha de Cervantès dans laquelle Don Quichotte a lu des histoires avant d’aller dans le monde chercher à les vivre. Et enfin, il y a la bibliothèquBabel, celle de Borges. Cette dernière contient le savoir universel. La bibliothèque du Ouidi Naaba est plus proche de celle de Babel. Elle est une médiation pour appréhender le monde et sa complexité, d’où cette inclination du Ouidi pour les écrits d’idées.

Nous quittons le ministre du Moro, qui nous a raccompagné jusque devant le portail. Sur le chemin du retour, nous repensons à Frédéric II de Prusse, le roi ami des philosophes, et au Chevalier, ce personnage de l’Aventure ambiguë qui voulait la synthèse des cultures. Il y a un peu de ces deux là chez le Ouidi Naaba. Ce fut une rencontre pleine de livres, de surprises et de rires.

Nous y avons découvert un grand lecteur ; pourtant il n’a jamais été question de poésie à moins de considérer Ainsi parlait Zarathoustra comme telle… Gageons que le prochain invité de notre rubrique nous promènera dans les jardins de la poésie.

 

Saïdou Alcény Barry

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