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Beyond Fahrenheit 451/ A book is my hope de Barthélemy Toguo: Le livre à la rescousse du monde

Cette exposition de l’artiste camerounais Barthélemy Toguo à la Librairie des 4 vents à Dakar du 3 mai au 2 juin est passée presque inaperçue. Pourtant, l’artiste y pose une question essentielle : comment préserver le livre, cet objet de connaissance de soi et du monde, de toutes les menaces qui le guettent : pyromanie djihadiste et dématérialisation des savoirs à l’ère numérique ?

 

 

L’artiste camerounais a investi la Librairie des 4 vents. Au milieu des livres en vente, il a posé son installation depuis le rez-de-chaussée jusqu’aux 3 étages. Des livres se balancent au bout de ficelles au-dessus des rayons, d’autres jonchent le sol, il y a des malles  remplies de livres et de journaux à côté de tas de charbon. Au sol, des feuillets de livres détachés, certains maculés de charbon, d’autres brûlés. Aux murs, sur un fond de papier journal, des tableaux représentant des livres sur du papier léché par la flamme. La force de l’expo vient de cette juxtaposition entre le livre et le feu. On y sent la fragilité de cet objet de connaissance du monde  et de construction de soi. Il suffit de craquer une allumette pour faire disparaître des milliers de livres. On pense à la bibliothèque d’Alexandrie à jamais disparue avec tous ses secrets et, plus près de nous, aux papyrus de Tombouctou, détruits par les barbares djihadistes de notre époque.

Si cette exposition  montre la fragilité du livre, c’est pour mieux souligner  son importance. Déjà le titre de l’expo convoque l’ouvrage culte de Ray Bradery paru en 1953 et qui évoque  une société où il est interdit de lire. Les pompiers sont chargés dans cette société, non d’éteindre les incendies, mais de brûler les livres interdits. Le pompier Guy Montag, personnage principal de cette dystopie, va finir par sauver un livre de l’autodafé et rejoindre la communauté des résistants, de ceux qui lisent pour préserver et transmettre la mémoire du monde.

Les arts visuels ont entretenu un commerce suivi avec le livre depuis fort longtemps. Au 16e siècle, il y a déjà le Bibliothécaire d’Arcimboldo ou du livre sur le traité de géométrie suspendu à des ficelles par Marcel Duchamp. L’art conceptuel a beaucoup utilisé le livre. Et il faut dire qu’il est rare de ne pas trouver un livre dans chacune des installations de l’artiste conceptuel béninois George Adeagbo. Mais la particularité de A Book is my hope est qu’elle se veut une ode aux livres.

Entre les pages des livres, gît le patrimoine de l’humanité et c’est en arpentant les pages que le lecteur s’éveille au monde, rencontre  d’autres hommes et devient un passeur et membre à part entière de la communauté humaine. Pas celle qui se contente d’exister mais celle qui pense le monde et agit pour le rendre meilleur. Ouvrir un livre, c’est trouver sa place dans la longue file  de l’aventure humaine depuis le premier homme jusqu’au dernier qui surgira du futur. C’est un acte solitaire qui se transmue en action de solidarité car le lecteur s’isole avec un livre et dès qu’il l’ouvre, il se retrouve au milieu d’une foule, pris dans les rets d’une histoire qui est toujours celle d’une communauté humaine.

Il nous semble que notre continent, plus que les autres, a besoin de s’approprier le livre non seulement pour recueillir et sauver la littérature orale mais aussi pour apprendre à mettre par écrit tous les avoirs qui circulent et disparaissent avec leurs porteurs. « Tout ce qu’on ne peut dire, il ne faut surtout pas le taire mais l’écrire », disait Jacques Derrida. Et il est regrettable de constater que dans la production livresque, l’Afrique ferme la marche. Comme elle la ferme au niveau du développement humain et économique. Ceci expliquant sans doute cela.

En cette époque millénariste, où l’obscurantisme religieux reflue, les entités nations se lézardent, le communautarisme et le repli identitaire apparaissent et des tendances génocidaires affleurent en Afrique de l’ouest et centrale, le livre, en tant que point de rencontre et de dialogue des hommes, peut changer les choses positivement.  D’un côté, de l’Occident, il y a ceux qui ne lisent plus, noyés dans le flux d’une information de plus en plus manipulatrice et de l’autre, des hommes qui n’ont pas accès au livre. Mais il faut avoir l’optimisme de Marguerite Duras qui écrivait : «Un homme un jour lira et tout recommencera».

Cette exposition de Barthélemy Toguo est la preuve que l’artiste n’est pas un homme dans sa bulle mais bien celui qui hume l’air du temps pour formuler par les moyens de son art les interrogations les plus urgentes.  A Book Is My Hope devrait être un cri de ralliement pour tous ceux qui pensent que la culture peut sauver notre monde de la barbarie qui…vient.

Saïdou Alceny Barry

 

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