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Décès OK : La chute d'un monument Spécial

On le savait malade depuis un certain temps ; il avait même été évacué en France, en était revenu pas vraiment au mieux de sa forme et, plusieurs fois ces derniers mois, Dame Rumeur l’avait donné pour mort, mais ce furent toujours de fausses alertes.

«Son jour n’était tout simplement pas arrivé», comme l’aurait sans doute dit le bon croyant qu’il fut. Oumarou Kanazoé est finalement décédé hier mercredi 19 octobre 2011 dans sa 84e année, puisque, si d'aucuns le créditaient de 90 ans, voire plus, c’est officiellement en 1927 que naquit cet enfant unique de sa mère qui deviendra plus tard l’homme le plus riche du Burkina.

Tout, ou presque, a été dit sur ce Crésus du Sahel qui aura bâti sa fortune essentiellement dans le Bâtiment et les travaux publics (BTP) : des origines modestes de ce petit tisserand à ses premiers chantiers en passant par ses expéditions ivoiriennes dans les années 50 au sujet desquelles tant et tant de choses ont été dites. Comme dans l’imagerie populaire il n’y a jamais de richesse innocente et qu’au contraire il y a à l’origine de toute fortune une faute qu’on n’avoue pas, il a fallu en effet qu’on colporte toutes sortes de joyeusetés, de mythes et de légendes ou encore de fantasmes sur le colporteur yargha qui se sera quand même fait à la force du poignet. Un véritable self-made-man à l'image de tant d'autres de sa génération.

Difficile sinon impossible de cerner un personnage aussi riche (dans tous les sens du terme) dont chacune des facettes peut constituer autant de livres. Si, bien entendu, c’est aujourd’hui l’opérateur économique de premier plan et, à ce titre, président de la Chambre de commerce du Burkina, dont on regrette la disparition, comment ne pas se souvenir qu’il fut également consul honoraire du Maroc au Burkina, philanthrope, mécène dans divers domaines, leader religieux en sa qualité de président de la Communauté musulmane sans être toutefois un chef spirituel à proprement parler et c’est peu dire que d’affirmer que la Oumah sera orpheline de son bienfaiteur, de celui qui avait et l’autorité morale et les moyens de fédérer des fidèles qui tirent souvent à hue et à dia. En fait il est plus juste de dire qu’il était un croyant au sens large qui ne voyait pas midi à la porte seulement de sa mosquée mais qui savait dépasser les frontières de son islam pour aider son prochain, que ce dernier fût musulman, chrétien ou autre. Quelque part, c’est  une forme de tolérance et de dialogue interreligieux qu’il nous lègue. Les esprits chagrins l'ont souvent accusé de n'offrir que des mosquées à des populations qui n'avaient parfois ni école ni dispensaire ou forage, mais n'était-ce pas un mauvais procès fait à un homme dont on voulait parfois qu'il remplaçât l'Etat dans ses obligations régaliennes ?

On le sait aussi, dans le domaine politique, OK arrosait abondamment, à gauche comme à droite, jusqu’aux plus insoupçonnables, et à ce qu’on dit, sa générosité légendaire était proportionnelle à l’envergure de ses boubous empesés. Sous la Quatrième République cependant, celui qui était resté longtemps au-dessus de la mêlée s’était laissé peu à peu entraîner, peut-être par calcul, dans la politique active au profit du pouvoir, au grand dam d’une frange de la classe politique et de l’opinion nationale ; au point d’avoir été traîné dans la boue après être passé sous les fourches caudines de la Commission d’enquête indépendante (CEI) mise en place par suite de l’assassinat de Norbert Zongo. «Le vieux», ainsi que certains l’appelaient affectueusement, a été durablement marqué par ce qu’il considérait comme une forme d’injustice à son encontre ; mais à son âge, et avec l’expérience des hommes et des choses qu’il a pu accumuler en 80 ans dans cette vallée des larmes, Dieu seul sait si, en fin de compte, il ne prenait pas tout cela avec une certaine philosophie. La perfection n’étant pas de ce monde, notre sagesse populaire dit bien que «l’homme est neuf, pas dix» ; faut-il d’ailleurs tirer aujourd’hui sur le cercueil du patriarche de Kologkom, qui, tout compte fait et refait, aura vécu utilement et gravé son nom dans l’histoire de ce pays ?

Avec la disparition de l’octogénaire, c’est aussi dans une certaine mesure la fin d’une époque qui s’amorce, celle des magnats, souvent analphabètes, qui, quoi qu'on puisse en dire, ont su construire des sociétés prospères à force de travail, de persévérance, de patience et de privations alors que les nouvelles générations veulent tout et tout de suite, quitte à prendre de dangereux raccourcis. De nos jours, l’environnement  national et international  a beaucoup évolué et c’est une autre race d’hommes d’affaires, des jeunes loups aux crocs bien longs et acérés, plus instruits (ils ont souvent fait des études supérieures) qui occupent de plus en plus le terrain, sur fond de relations troubles avec les politiques, dont ils seraient parfois les prête-noms. Il est vrai que l’ère des OK, où on pouvait partir de rien et parvenir au sommet sans être adossé à du solide, semble révolue.

Aujourd’hui que le monument est tombé, la question qui se pose est surtout celle-ci : Kanazoé mort, que va devenir son empire ? Car, à bien des égards, quand un tel baobab s’écroule, c’est un pan entier de notre  économie qui peut être touché, car son souffle peut emporter bien d'arbrisseaux qui vivaient sous son ombre. Quand on imagine ce que son entreprise représente en termes de salaires, d’impôts et de taxes divers, de créances bancaires mais aussi ce que l'Etat et d'autres personnes physiques ou morales lui doivent, nul doute que c’est un séisme économique et financier qui vient de se produire ; mais  les fondations de la maison sont en principe suffisamment solides pour que l’œuvre de sa vie lui survive, et la mort n’étant pas survenue brutalement, il a dû mettre de l’ordre dans sa vie et dans sa succession afin que les choses se passent au mieux.

Depuis quelques années du reste, les Kanazoé, qui ne savaient rien faire d’autre que des routes et des ponts, n’avaient-ils pas appris à diversifier leurs affaires et à ne pas mettre tous leurs oeufs dans le même panier ? A sa nombreuse progéniture et à ses multiples partenaires de savoir à présent entretenir l’édifice et le consolider davantage pour que le défunt n’ait pas à se retourner dans sa tombe.


Ousséni Ilboudo

Dernière modification lemercredi, 19 octobre 2011 21:10

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