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Polémique sur la Une de L’Obs. : L’émotion est-elle vraiment nègre ?

« Des nègres en or massif » ! C’est le titre de notre manchette du lundi 16 juillet 2018 consacrée à la victoire de la France face à la Croatie à l’issue de la fin ale« Russie 2018 ». Et depuis, que  de polémiques. Dans les maquis, les  grins et surtout à travers les réseaux sociaux, le débat n’en finit pas d’enfler.

L’affaire de la Une de L’Obs. est là.

Voici ce qu’en pense le Dr Dramane Konaté.

 

 

NÈGRE ! Un vieux mot qui refait surface dans la patrie des hommes intègres, sur fond de polémique émotionnelle : de la consternation à l’indignation par  rapport à la Une de L’Observateur Paalga, au lendemain du succès de l’équipe de France à la coupe du monde  Russie 2018. Pour ceux qui me suivent sur les réseaux sociaux, et à travers la presse nationale, j’ai  toujours exhorté à  recourir aux sources pour une meilleure pédagogie de la  réflexion, quel que soit le sujet à débattre.

 

De l’avènement du Négrisme

« Nègre » ou « negro » en espagnol et en anglais, est à la fois un substantif et un qualificatif qui caractérise l’homme noir depuis le XVIIe siècle. Les esclavagistes avaient aussi trouvé une métaphore pour caractériser le Noir : « Bois d’ébène ». Dans l’histoire, aussi paradoxal que cela puisse paraître, ce sont les Noirs eux-mêmes qui se sont approprié cette « identité nègre », en la promouvant dans le monde. Un mouvement dénommé Négrisme se crée au XIXe siècle en Haïti, avec comme leader Toussaint Louverture, suite à la lutte des esclaves insurgés (marrons). Par la suite, de célèbres descendants d’esclaves furent les hérauts de la « renaissance nègre ». Marcus Garvey de la Jamaïque, prophète noir et véritable tribun,  lance  le slogan « Back to Africa », à travers son mouvement d’émancipation noire  (UNIA). Il fonde une église où il enseigne la « Bible des Noirs », et crée sa propre compagnie maritime (1919). Certains parmi eux se retrouveront  bien plus tard au Liberia.

Par ailleurs, des intellectuels et non des moindres, comme l’historien panafricaniste WEB Dubois et compagnie, forgeront le concept de  Negro renaissance au début du XXe siècle. La relève sera assurée par  Malcom X, Martin Luther King et Joséphine Baker, la sulfureuse actrice afro-américaine de nationalité française surnommée la « Vénus d’ébène ». Ils lancent,  à Harlem, le Mouvement Black Power.  James Brown, concepteur de la soul & pop music, initie son fameux slogan  « I’m Black and I’m proud », littéralement traduit, je suis noir et fier (de l’être) ; le negro spiritual également est à son apogée ! En Afrique du Sud, Steve Bicko porte sur les fonts baptismaux le mouvement Black Consciousness  pour soutenir l’ANC dans  sa lutte contre l’apartheid avec Nelson Mandela, à qui nous souhaitons un éternel anniversaire…

 

Du mouvement de la Négritude

 

Les intellectuels francophones d’origine africaine et antillaise, tels Senghor, Césaire et Damas, lancent le mouvement de la Négritude  en 1934. C’est Césaire qui crée le concept et non Senghor, comme beaucoup le pensent. Césaire  aura été l’un des plus virulents contre le colonialisme et le racisme occidental, en témoignent les titres de ses œuvres : Discours sur le colonialisme (1956), Et les chiens se taisaient (1958), Une Saison au Congo (1967). Une biographie de Césaire  porte même le titre de  Nègre inconsolé (2002)…

Senghor, poète grammairien, aura le plus théorisé sur l’identité nègre : « Si le mot de Nègre désigne l’homme noir,  malgré la nuance péjorative qu’on voulait lui attacher, c’était précisément pour réhabiliter cet homme avec ce mot (…) Nègre n’est pas une injure, mais sale Nègre l’est ! » (Liberté 5, 1993). Certes, d’autres intellectuels africains, comme le prix Nobel Wole Soyinka, avaient pris leurs distances, décriant la méthode de lutte des chantres de la Négritude, les exhortant à plus d’engagement militant. L’éminent professeur Joseph Ki-Zerbo tranche la guéguerre des intellectuels africains sur  la théorie du Nègre : «  La Négritude a été en son temps un concept de résistance […] Le moulin de la Négritude a moulu le bon et le beau grain de la dignité noire et de l’insurrection spirituelle. Mais aujourd’hui, ce moulin se dresse dans un paysage bien transformé… » (JKZ, À propos de culture, 2010).

 

De la sémiologie de la communication

 

C’est encore Senghor,  alors grammairien à la Sorbonne, qui a préféré  « sémiologie » à « sémiotique », concept découlant de l’anglo-saxon  (Charles S. Pierce). Personnellement, je ne suis pas  un senghorien de la Négritude, mais plutôt un senghorien du dialogue des cultures, en vue de converger  vers l’Universel.

Concernant   la Une du quotidien, au regard de l’historique du mot « Nègre » ci-dessus invoqué, je trouve que L’Observateur Paalga a réussi sa « métaphore communicationnelle », que je rendrai par cet alexandrin :

Du Nègre Bois d’ébène en période esclavagiste

Au Nègre en or massif, pur champion mondialiste

Douze pieds de syllabes pour une joie surréaliste…

 

Dr Dramane Konaté, sémiologue, poète dramaturge,

Intelligence Culturelle pour la Renaissance Africaine (ICRA).

 

 

Dernière modification lejeudi, 19 juillet 2018 19:59

Commentaires   

0 #1 Arnaud Ouédraogo 19-07-2018 09:53
Merci professeur. Je suis sûr que cela ne mettra pas fin à la polémique, mais au moins ça éclaire nous autres les bac moins 7 là.
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