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Procès putsch manqué : Seydou Soulama ou le soldat aux trois dossiers

Le bal des auditions des accusés s’est poursuivi le 18 juillet 2018 au tribunal militaire avec le soldat de 2e classe Seydou Soulama et le caporal Amidou Drabo. Chacun des deux a déjà écopé d’une peine de 10 ans de réclusion criminelle lors du procès de l’attaque de la poudrière de Yimdi. En outre, Soulama a une autre affaire judiciaire qui lui pend au nez, il s’agit du dossier dit du « Pont Nazinon ».

Récit d'une journée d’audience avec deux habitués du tribunal militaire.

 

 

Après le putsch manqué de septembre 2015 perpétré par le régiment de sécurité présidentielle (RSP), le soldat de 2e classe Soulama Seydou a été affecté au 11e Régiment d’infanterie commando (RIC) de Dori. Mais il n'y mettra jamais les pieds car réfugié en Côte d’Ivoire chez un oncle pour, dit-il, sauver sa peau.

Il explique sa désertion : " Je n'ai jamais su que j'ai été affecté quelque part, aucune note au carré d'armes ne m'a été notifiée et je n'ai pas l'habitude de m'informer à la radio ni à la télévision au sujet de l'armée".

Est-ce que sa fuite du côté de la lagune Ebrié ne s'expliquerait pas par la présence de Blaise Comparoré (Merci Papa) dans ce pays, lui a demandé le parquet ? Réponse : " Ce n’est pas parce que Merci Papa (ndlr nom de la gratification que l'ancien président faisait à sa garde prétorienne à l’approche de chaque rentrée scolaire) s'y trouve. Je n'ai pas eu la chance de le rencontrer, si c'était le cas, il aurait eu pitié de moi et peut-être que je ne serais pas aujourd'hui devant vous ".

Pourquoi est-il alors revenu au pays pour se mêler à deux affaires dont celle de Yimdi qui lui vaut une condamnation de 10 ans de prison, a voulu savoir le ministère public ? " J’ai été mal accueilli en Côte d’Ivoire. Mes nouveaux camarades qui étaient convaincus de mes qualités militaires m’ont proposé de diriger un groupe de braqueurs.  J’ai refusé car c’est contraire à mon éducation. C'est pourquoi je suis revenu au pays".

A propos de ces différentes casseroles judiciaires, le soldat qui refuse le qualificatif de « dangereux » qu’on lui colle, dit n'avoir aucun motif de regret car toutes ses œuvres ne sont que la résultante d’ordres donnés par ses supérieurs.

A la lumière des PV, le soldat Soulama est identifié comme celui qui aurait, sur ordre du Sergent-chef Ali Sanou, tiré une roquette sur le Studio Abazon de Smokey, qui aurait, à la gare ferroviaire, frappé des manifestants et retiré leurs téléphones portables, ou encore celui qui se serait opposé aux éléments loyalistes venus enlever les armes au camp Naaba Koom.

L’accusé a nié tout en bloc résumant sa mission au maintien de l’ordre et ce, sous  la supervision de ses chefs qui "réfléchissent" et disent ce qu’il faut faire.

"Si on vous dit de tomber dans un trou le feriez-vous?"  A cette question du parquet,  la réponse est sans ambages : " Affirmatif ! Peut-être le chef qui me donne cet ordre y a placé un chiffon (un matelas) pour amortir ma chute et même s’il advenait que cela n’était pas le cas, alors le chef qui m’a donné l’ordre sera tenu responsable de ce qui me serait arrivé".

Me Prosper Farama de la partie civile est intervenu sur ces entrefaites : « Observez bien, Soulama considère que c'est l'armée qui est responsable parce qu'on l'a affecté dans un corps prétendu rebelle et certains (ndrl : l’avocat fait certainement référence à Herman Yaméogo coaccusé dans ce dossier de putsch et qui a fait récemment une sortie dans la presse) dans la presse assimilent les débats dans ce prétoire à un appel à la désobéissance au sein de l’armée. Mais pourquoi tous les 1 300 du RSP ne sont-ils pas poursuivis?" a conclu l’avocat.

Notons que pendant tout le temps qu'a duré l’audition du soldat Soulama, son avocat Mahamadi Sawadogo n'a pas levé le petit doigt et, chaque fois que le président du tribunal l'interpelle, il se contente de dire " A ce stade je n'ai rien à dire". Cette attitude a amené certains dans la salle à soutenir l’idée selon laquelle il y aurait un désaccord entre l’avocat et son client.

Une idée vite battue en brèche par Me Mahamadi Sawadogo qui nous a confié à la fin de l’audience : " Je ne parle pas pour parler. Est-ce que ceux qui parlent ont pu changer quelque chose, j’attends le moment opportun, il y aura les plaidoiries ".

 

"On m'a traité de chien de Diendéré et de Blaise "

 

Le deuxième accusé devant le tribunal a été le caporal Amidou Drabo, déjà condamné à 10 ans de prison dans le procès de Yimdi comme nous l’avons déjà souligné plus haut. Il a reconnu être allé au Studio Abazon où il a surveillé une zone, pas plus. Ensuite il a pris la route de Boulmiougou sans arriver au pont du fait des nombreuses barricades. Selon lui, c'est le 17 septembre 2015, un jour après l'arrestation des autorités, qu'il a été convoqué au quartier qui était déjà consigné. Ce qui est contredit dans les PV d’instruction. Mais pour l’accusé Amidou Drab, cette contradiction n'est pas étonnante car il a été torturé par la gendarmerie dont les éléments l’ont filmé nu et traité de « chien de Diendéré et de Blaise Compaoré ».

Il faut noter que l’audition du caporal Amidou n’a pas pris de temps. Lui a succédé à la barre l’adjudant Michel Birba qui a plaidé non coupable.

 

San Evariste Barro

Abdou Karim Sawadogo

 

Encadré 1

Ces cotes qui agacent les accusés et la défense

 

Depuis le début des auditions le parquet veille au grain pour s’assurer de la cohérence entre les déclarations devant la barre et celles consignées dans les PV lors de l’audition de fonds et l'audition de confrontation. Pour ce faire, le ministère public aime à citer à loisir des informations identifiées dans les cotes.

" Et pourtant vous aviez dit dans la cote I 22... que ", rétorque-t-il souvent aux accusés.

Visiblement agacé par ces recadrages, sieur Soulama a fini par lâcher: " prenez en compte ce que je dis devant le tribunal, les cotes I ou O, je n'en sais rien" réponse du berger à la bergère: " Vous êtes dans une logique de dénégation, ces cotes servent bien à quelque chose, le juge d'instruction n'invente rien" assène le procureur Alioun Zanré.

Mais selon la défense, il ne faut pas donner trop d'importance à ces fameux PV car ils auraient été faits sous la pression et dans des conditions qui ne garantissent pas un procès équitable. " Les accusés ont eu  le temps de reprendre leurs esprits, et après le recul nécessaire, ils disent ce qui s’est réellement passé", a souligné un avocat qui ne manque pas de citer des affaires dont les évidences des PV ont conduit à des erreurs judiciaires comme « l'affaire Pull-over rouge » en France.

 

A.K.S.

 

 

Encadré 2

"Le parquet fait un jeu de poker "

 

S'il y a un acte qui a suscité la réprobation générale de la défense, c'est bien la citation du plumitif à charge contre le caporal Amidou Drabo mais qui ne figure pas dans le dossier. Son avocat Saïdou Roger Yamba est sans équivoque : " Avez-vous une copie du plumitif de la chambre de contrôle ? Le parquet fait un jeu de poker, s'il a des pièces à charge qu’il nous les remette et que la discussion se mène contradictoirement. Pourquoi cacher une pièce sous le manteau et l'exhiber à l'audience ?"

"Nous avons payé le dossier à 250 000 francs, si aujourd'hui on voit qu'il est incomplet, c’est inacceptable", s’est offusqué Me Zaliatou Aouba. Même tonalité chez son confrère Arnaud Sampèbré pour qui " le parquet a une attitude totalement déloyale".

 

A.K.S.

 

Encadré 3

« On a menotté mon père »

 

A la barre le soldat Seydou Soulama a fait une déclaration qui a ému plus d'un. Selon lui, son père a été arrêté et détenu pendant 3 semaines. "On m'a amené devant mon père menotté et on lui a dit ceci : voici ton enfant, il est devenu un assassin et quand nos regards se sont croisés, j'ai senti les larmes en lui et je n'ai pas pu supporter. Deux de mes frères ont été aussi arrêtés dont un détenu pendant un mois. On a tout fait pour m'opposer à ma famille si bien qu'aucun parent n'est venu me rendre visite à la prison. Je veux avoir l'occasion de démontrer à mes parents que tout ce qu'on dit de moi est faux" dit-il mélancolique avant d'ajouter "Tout ceci a fait naître la haine en moi".

Le parquet qui a tenté de faire comprendre que les arrestations en question sont dans le cadre du procès de l'affaire dite du Pont Nazinon et que par conséquent cela n'a pas d'influence sur le dossier du putsch n'a  pas convaincu la défense. " Il n'a pas été arrêté et relâché plusieurs fois, c'est quand il l'a été après l'affaire du Pont Nazinon que ses parents l'ont aussi été et les instructions sur ces trois affaires ont été faites concomitamment. Le tribunal doit prendre avec la plus grande réserve ce qui a été dit dans les PV car si on arrête mon père pour une affaire qui me concerne et qu'on me dise de dire n'importe quoi pour qu'on le libère, je le ferai. Combien de fois doit-on rappeler que la responsabilité pénale est personnelle?" a alors demandé Me Zaliatou Aouba avant de conclure: " Si pendant l'instruction la présomption d'innocence n'a pas prévalu et qu’on traite déjà les accusés comme des criminels, il y a évidemment un problème de régularité".

A.K.S.

 

 

Encadré 4

Me Farama prêt à rencontrer le jeune  Soulama

 

Le soldat Seydou Soulama a expliqué au tribunal que bien des déclarations ont été faites parce qu'au moment de l'instruction on a  posé cette condition pour qu'on puisse l'aider et que dans la situation actuelle il est prêt à recevoir de l'aide y compris de Maitre Farama. Il l’a même invité à venir le voir à la MACA pour qu'il lui  dise comment, tout jeune qu'il est, il s'est retrouvé dans cette affaire.

Une invitation pas totalement rejetée mais à condition que le procès finisse car, selon l’avocat, il ne faudrait pas qu'une quelconque rencontre entre eux soit mal interprétée. Me Farama a dit même qu'il n’est pas exclu qu’il apporte de l'aide au soldat après le procès car, en tant qu'humain, il a un cœur sensible.

 

A.K.S.

Dernière modification lejeudi, 19 juillet 2018 19:58

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