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Zimbabwe: Les premières victimes du Crocodile

L’affaire était pourtant bien engagée. Pour des élections historiques, les premières depuis 1980 sans Robert Mugabe, l’opposition avait pu battre campagne normalement. Et si on excepte l’attentat dont le candidat du parti au pouvoir, Emerson Mnangagwa, a été victime, on peut dire que les joutes ont été pour le moins civilisées, contrairement aux précédentes de 2008 et 2013. On revoit le candidat Morgan Tsvangirai, alors leader de l’opposition, le portrait refait, la tête contusionnée, l’œil au beurre noir, des stigmates faits par les sicaires du régime, qui n’entendaient pas qu’on défie leur héros.

Cette année, rien de tel. Et la journée électorale, pour reprendre l’expression consacrée, s’est déroulée dans le calme et la sérénité, malgré les inévitables irrégularités dont nos pays sont si coutumiers. Pourtant, c’était le calme avant la tempête. Un volcan couvert de neige est brutalement entré en éruption hier mercredi. Depuis la veille, en réalité, il y avait un signe perceptible que les esprits s’échauffaient, car chaque camp avait commencé à revendiquer la victoire dès mardi. Jusqu’à ce que ça dégénère le lendemain quand la commission électorale a commencé à annoncer les premiers résultats partiels ; lesquels donnaient la ZANU-PF d’ores et déjà majoritaire à l’Assemblée nationale.

Les militants de l’opposition ont, de ce fait, crié tout de suite à la fraude et se sont massés devant le bureau de dépouillement  où la police d’abord, l’armée ensuite, ont chargé. Bilan : trois manifestants tués et de nombreux blessés. Et la tension qui n’était pas près de retomber. Retour donc des vieux démons zimbabwéens, qui en réalité n’étaient jamais vraiment partis, puisque c’est la même armée, c’est la même ZANU-PF et ce sont les mêmes dirigeants, à commencer par celui qui était, ne l’oublions pas, vice-président de Papy Bob, après avoir été tour à tour ministre de la Justice, de la Sécurité d’Etat, des Finances, du Développement rural et même président de l’Assemblée nationale.

Et ce n’est pas à 76 ans que celui qui était surnommé le Crocodile va se refaire et redevenir subitement l’agneau qu’il n’a jamais été. Cette répression montre donc à souhait qu’au fond, rien n’a changé dans les mœurs politiques zimbabwéennes et que celui qui prétendait, pendant sa campagne électorale, incarner la rupture et le changement n’était en réalité qu’un digne héritier de son ancien mentor.

Alors qu’en pareilles circonstances on se serait attendu à ce que celui qui est le premier magistrat du pays ait des mots de compassion à l’endroit des familles des victimes et des blessés, il n’a pas trouvé mieux à faire que d’imputer la responsabilité des troubles, des décès, des blessés et de la destruction de biens au MDC. Il ne faut donc pas qu’on s’attende à ce qu’il appelle ses éléments à la retenue. Dans ces conditions, il n’est pas sûr qu’il entende les appels à la retenue lancés de partout, notamment de l’ambassade des Etats-Unis à Harare.

Oui, c’est sûr : la nature du régime n’a pas fondamentalement changé. Car, sauf cas exceptionnel, on ne voit pas ce que des militaires lourdement armés ont à faire dans une opération de maintien de l’ordre.  Ce qu’il faut craindre est qu’après cette répression, on entre dans un cycle de violences post-électorales alors qu’on pensait que tout cela n’appartenait plus qu’au passé.

Issa K. Barry

Dernière modification lejeudi, 02 août 2018 21:34

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