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Présidentielle malienne : Cissé ou la malédiction de Poulidor ?

Les Maliens ne se sont pas bousculés aux urnes hier dimanche pour le deuxième tour de l’élection présidentielle. Le face-à-face Ibrahim Boubacar Kéïta (IBK) et Soumaïla Cissé (Soumi) n’a pas emballé les électeurs qui, pour beaucoup, se sont abstenus d’aller voter

. On se rappelle qu’au premier tour, le 29 juillet dernier, le taux de participation avait plafonné à 42,70%, soit moins d’un électeur sur deux qui s’était donné la peine de se déplacer aux urnes. Hier à la mi-journée, plus de deux électeurs sur trois se faisaient désirer aux bureaux de vote et l’on craignait un taux de participation encore plus bas que lors du premier tour.

Il est vrai que sous nos tropiques le syndrome de l’abstentionnisme fait des ravages et elles sont rares ces élections qui voient les électeurs se déplacer en masse au bureau de votes. La désaffection des citoyens pour les élites politiques y est pour quelque chose, sans oublier leur défiance vis-à-vis des processus électoraux, pas toujours transparents et équitables. Le Mali  ne  fait donc pas exception à cette règle non écrite qui voudrait que ce soit les citoyens les plus politiquement engagés qui fassent et défassent les gouvernants sur le continent.

Au Mali, pour la présente présidentielle, outre la désaffection des électeurs pour l’offre politique, leur défiance du processus électoral, l’insécurité, les intempéries et le manque d’enjeux du scrutin auront pesé sur l’abstention.

Sur  le plan sécuritaire, on se souvient que lors du premier tour, plusieurs incidents avaient empêché l’ouverture d’au moins 800 bureaux de vote. Pour  le second tour, trois présumés terroristes ont été arrêtés à Bamako alors qu’ils projetaient de perpétrer des attentats le jour  du scrutin. Par ailleurs, un président de bureau de vote a été tué dans la région de Tombouctou, trois agents électoraux enlevés au centre du pays et des incidents  enregistrés dans la localité de Douenza, dans le Nord. Ces attaques ont ajouté à la psychose sécuritaire qui a pesé sur  tout le processus électoral. Et si  30 000 agents des forces de défense et de sécurité avaient été déployés le 29 juillet pour surveiller les opérations de vote au premier tour, ils étaient 36 000 à le faire pour le second tour. Visiblement, les Forces armées du Mali, la Force Barkhane, la Force du G5 Sahel ont pris les incidents qui ont perturbé le premier tour très au sérieux et le renfort de 6000 hommes n’a pas été de trop pour garantir la sécurité des opérations de vote ce 12 août. Ce renfort de vigilance aura payé car le scrutin d’hier s’est déroulé avec plus de sérénité que celui d’il y a deux semaines, malgré l’assassinat d’un président de bureau de vote. Néanmoins la pluie qui est tombée à Bamako et dans plusieurs autres villes du sud et du centre du pays a pu décourager plus d’un électeur à aller glisser son bulletin dans l’urne.

Mais plus que les intempéries, le manque d’enjeu de ce second tour de la présidentielle aura fait payer à ce scrutin un lourd tribut à l’abstentionnisme. En effet, pour beaucoup de Maliens, le grand écart de voix entre Ibrahim Boubacar Kéïta et Soumaïla Cissé constaté à l’issue du premier tour de scrutin, 41,70% contre 17,78%, a enlevé tout suspense au scrutin du second tour. C’est comme si ce qui ressemble à un match retour entre les deux adversaires de 2013 était plié d’avance : l’affaire étant dans le sac pour IBK, Soumi se débattant pour une impossible revanche. Son retard de près de 24 points passant pour un handicap impossible à surmonter pour  celui qui passe pour le Poulidor de la politique malienne, abonné aux accessits d’honneur de la présidentielle depuis 2008, toujours battu au second tour. Ainsi en 2013, l’écart de voix était moins important entre Ibrahim Boubacar Kéïta et son challenger, mais le premier avait gagné au second tour avec 77% des suffrages exprimés. De là à dire que le scénario de 2013 est en train de se réécrire, il y a un pas vite franchi. IBK, le vieux briscard en pole position, pourrait encore l’emporter devant Soumi, le Poulidor de la politique malienne.

Mais IBK devrait prendre garde à ne pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Une élection présidentielle reste une élection présidentielle, c'est-à-dire avec une bonne dose d’incertitude. En 2000, Abdou Diouf avait fait l’amère expérience d’une trop grande assurance face à Abdoulaye Wade. Pourtant ce dernier, au second tour, avait inversé les tendances qui lui étaient défavorables au premier, avec un écart de voix quasi similaire  à celui qui sépare IBK de Soumi. Plus près de nous en 2010, Alpha Condé avait battu Cellou Dalein Diallo, arrivé en tête au premier tour de la présidentielle guinéenne. Voilà, entre autres, qui explique la pugnacité de Soumaïla Cissé. Il croit dur comme fer pouvoir conjurer la malédiction de Poulidor et transformer ce troisième essai de conquérir la colline du pouvoir à Bamako- Koulouba en victoire.

Dans ce combat gargantuesque, il ne peut pas compter sur une union sacrée de l’opposition malienne. De fait, ni Aliou Diallo ni Cheick Modibo Diarra, arrivés respectivement  troisième et quatrième de cette présidentielle, n’ont appelé leurs militants à reporter leurs voix sur le chef de file de l’opposition, Soumaïla Cissé.  Au contraire, ils ont donné à voir un front lézardé de l’opposition en se cloîtrant, le premier dans un silence éloquent quant aux consignes de vote, le second en renvoyant dos-à-dos le président sortant et son challenger. Et quand les faiseurs de roi se taisent, c’est le souverain régnant qui se frotte les mains. Au plus dans 10 jours on sera fixé si Soumaïla Cissé a vaincu son signe indien ou si Ibrahim Boubacar Kéïta va rempiler pour un nouveau bail à la présidence malienne. Si oui, avec quel score et quel taux de participation des  électeurs maliens ?

En attendant, chapeau bas aux FAMA, à la Force Barkhane, aux  Forces du G5 Sahel, car malgré le meurtre d’un président de bureau de vote au Sud- Ouest de Tombouctou, l’enlèvement de  trois agents électoraux au centre du pays et  des incidents à Douenza dans le Nord, les élections se sont globalement bien tenues, nonobstant les risques de fraudes mis à l’index par le camp Soumaïla Cissé. Certes, ce meurtre d’un président de bureau de vote  est la tache noire de ce second tour mais les empêcheurs de voter en rond ont moins perturbé le scrutin qu’on ne s’y serait attendu. Or, c’était une gageure que d’organiser ces élections dans la situation sécuritaire qui est celle du Mali.

La rédaction

Dernière modification lelundi, 13 août 2018 19:00

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