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Concours de la Fonction publique: L’épreuve de la transparence administrée lundi nuit

Une équipe de journalistes a été invitée à suivre, du 13 au 14 août 2018, le début de l’impression des épreuves des concours de la Fonction publique qui débutent le 25 août prochain. Une opération transparence qui ne l’aura pas été jusqu’au bout pour des raisons de « sécurité », indique-t-on.

 

 

Il est un peu plus de 15h  dans une célèbre imprimerie installée en plein cœur de la zone industrielle de Gounghin. L’endroit grouille de policiers et de gendarmes.

A l’entrée des rotatives, un flic commis à la fouille  se redresse. Puis nous fixe d’un regard réprobateur. « On a dit rien ne passe ». «Même l’argent ?», demandons-nous  à celui qui venait de découvrir dans une poche le maigre trésor du jour dont nous n’avions pas voulu nous séparer. «  Tout ce qui permet de prendre des notes », se fait-il plus précis. Les conditions d’accès  à la salle des machines sont en effet poussées à l’extrême. Son entrée, sans exception, est conditionnée à une fouille minutieuse, tout objet de quelque nature que ce soit est banni. Idem quand on en ressort.  Il en sera ainsi jusqu’au 22 août, quand prendra fin l’impression des épreuves des concours de la Fonction publique. Des concours qui par le passé ont donné lieu à toutes les combines et malversations. Le système antifraude mis en place  cette année est infaillible, proclame le ministère concerné qui, pour en convaincre les journalistes, les a invités à assister à tout le processus en ce premier jour de tirage. La suspicion  qui pèse sur  le récent  recrutement de 1500 instituteurs adjoints certifiés est sans doute aussi pour quelque chose dans cette opération transparence. Le premier responsable du département, Seyni Ouédraogo, ne s’en cache presque pas lorsqu’il briefe la quinzaine de journalistes qui ont répondu présents : «  Il faut que les candidats soient rassurés de la transparence et de l’équité du système ». Cette année, ce sont 14 414 postes qui sont à pourvoir, dont 6 668 lors de concours directs pour lesquels on a enregistré plus de 1 300 000 candidatures. Le chef d’orchestre de cette organisation qui nécessite énormément de logistique est Souleymane Lengané, le président de la commission nationale de pilotage des concours de la Fonction publique. C’est lui qui se charge, avant que les machines ne se mettent à cracher du papier, d’expliquer le processus à travers une visite guidée de l’imprimerie au ministre et aux scribouillards délestés de tout objet de prise de vues et de notes.

Selon ses explications, les différents sujets sont proposés par des cabinets privés après un appel d’offres. Toutefois, précise Souleymane Lengané, « le concepteur qui a donné le sujet ne sait pas exactement lequel sera choisi et pour quel concours. Il a juste donné un certain nombre de sujets. Par exemple 50 ». Le choix des épreuves est ensuite effectué par  le comité national de pilotage des concours directs par tirage au sort. « Nous choisissons un numéro mais pas un intitulé. Ce numéro correspond à un fichier, à un concours. Lorsque ce choix est fait, ce sujet est envoyé dans un dispositif informatique qui ne permet pas de  le visionner», relate notre guide du jour, tout en indiquant une table de travail nue sur un ordinateur.

 

« Personne ne peut regarder les sujets »

Place maintenant au travail d’impression après que le sujet a été gravé sur une plaque. Même après impression, les opérateurs n’ont pas la possibilité de regarder les épreuves, « les sujets sortant de telle sorte que les deux dernières pages soient blanches ». Aucune possibilité pour quiconque en aurait l’intention de jeter un coup d’œil  sur les épreuves d’autant plus que des agents de sécurité sont postés à divers endroits pour surveiller chaque fait et geste des employés et de toutes les équipes, composées notamment de travailleurs du ministère de la Fonction publique. Pour un regard un peu trop insistant, on peut finir menotté, nous apprend-on.  Une petite exception tout de même : dès la sortie de la première copie, deux membres assermentés du comité national vérifient de « façon furtive » que toutes les pages ont été enregistrées. « Ces derniers ne lisent pas, ils vérifient juste qu’il n’y a pas d’erreurs d’impression », souligne Souleymane Lengané.   Les résidus éventuels du tirage sont transportés sous bonne escorte policière jusqu’à l’incinérateur de l’imprimerie où ils sont réduits en cendre sous la surveillance des agents.

Le principe étant que personne ne doit pouvoir lire les épreuves, le conditionnement dans les enveloppes se fait au « poids » pour minimiser le risque. Chaque enveloppe doit contenir en effet 50 copies. Et au lieu de les compter manuellement, les épreuves sont placées sur une balance et pesées de sorte à obtenir l’équivalent en masse de 50 copies. Les enveloppes sont ensuite mises dans des cantines qui sont transportées par les forces de l’ordre à l’ENAM où elles sont entreposées dans des conditions sécuritaires tout aussi élevées en attendant leur acheminement dans les différentes régions du pays. Les caisses métalliques qui passeront la nuit dans les brigades territoriales sont scellées par deux cadenas dont les clés sont entre les mains de deux personnes différentes : le président et le vice-président des comités régionaux de pilotage.

Toutes ces mesures de sécurité, selon l’organisateur en chef des concours directs, font que « personne ne peut dire qu’il a vu les sujets avant le début des épreuves ». Pour qu’il y ait fuite, poursuit-il, « il faut qu’il y ait une collusion énorme, ce qui est quasi impossible ». Autre gage de  transparence des concours qui débuteront le 25 août prochain, soutiennent les organisateurs, c’est l’introduction cette année de la correction électronique des épreuves. On s’achemine donc, si on en croit les organisateurs, vers les concours les plus transparents de l’histoire.

 

 

Hugues Richard Sama

 

Encadré 1

 

Transparence a minima

Les correspondances envoyées aux médias annonçaient que les journalistes pourraient assister de bout en bout au processus d’impression des sujets. Au finish, il n’en a rien été. Après l’explication théorique à laquelle ils ont eu droit pendant la visite du ministre, les scribouillards ont été parqués dans un entrepôt d’où ils ne voyaient que les va-et-vient des trois équipes qui se relaient 24h sur 24h (6h-14h, 14-22h, 22h-6h). C’est sur des chaises alignées, improvisées en couchettes, qu’ils ont donc passé la nuit pendant que se déroulaient à quelques encablures de là l’impression des sujets. Lorsque les preneurs d’images ont été invités à s’approcher, c’était pour flasher, vers 21h, les premières cantines qui étaient déjà scellées.  L’opération transparence n’a donc pas été complète jusqu’au bout. Du côté du ministère, on explique justement que c’est au nom de cette transparence que les journalistes n’ont pas été autorisés à suivre de visu l’ensemble du processus. Leur présence, avec notamment les appareils photos et les caméras, constituant un risque.

 

H.R.S.

 

 

                                                                                           Encadré 2

 

Vers la constitution d’une banque de sujets

Même si les cabinets privés qui proposent les sujets ne savent pas  à l’avance laquelle de leurs propositions sera choisie pour tel ou tel concours et qu’ils sont  eux aussi dans l’obligation d’éviter les fuites, il n’en reste pas moins que le recours à ces privés peut constituer un risque, même infime. Du côté du ministère, on en est conscient et on étudie, assure Seyni Ouédraogo, la possibilité de constituer une banque de sujets : « On va constituer un important stock de sujets dans lequel on va puiser chaque année sans se référer aux cabinets privés. Ceux qui vont rédiger les épreuves ne sauront pas avec l’écoulement du temps si leur sujet sera proposé. » L’autre intérêt de ce système, souligne-t-il, c’est qu’il permet de minimiser les coûts. Cette année, le budget d’organisation des concours se chiffre à 2 milliards  de francs CFA, dont environ 300  millions pour l’impression.

H.R.S.

 

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