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Procès du putsch manqué : «Si rien ne se passe, le procès va continuer avec des pièces falsifiées»(Léonce Koné)

 

Lors de l’audience du 28 août 2018 dans le cadre du procès du putsch, une affaire a été révélée à la barre : l’existence d’un procès-verbal d’audition dont l’accusé récuse le contenu, et la non-mise à disposition de toutes les parties de l’ensemble des pièces du dossier. Refusant de banaliser cet incident, quatre accusés civils (Minata Guelwaré, Léonce Koné, Adama Ouédraogo, dit Damiss, et Me Hermann Yaméogo) ont demandé que les magistrats (instructeurs et parquetiers) soient traduits devant le conseil de discipline de la magistrature. Leur lettre de plainte et de dénonciation a été datée du 03 septembre 2018.

 

A ce propos, nous avons contacté Léonce Koné, signataire de cette lettre, qui a accepté de nous parler davantage de cette plainte et de l’ensemble de la procédure judiciaire du putsch manqué.

 

 

 

 

Pouvez-vous nous résumer le contenu de votre lettre de plainte et de dénonciation ?

 

 

 

Il s’agit d’une plainte qui a été présentée par certains accusés civils poursuivis devant le tribunal militaire. Notre loi au Burkina prévoit que lorsqu’un justiciable, au cours d’une procédure, constate de la part des magistrats des agissements qui peuvent constituer une faute disciplinaire, il a le droit de saisir le conseil de discipline de la magistrature pour dénoncer ces faits et porter plainte. C’est ce que nous avons fait.

 

 

 

Dans le cas d’espèce, qu’est-ce qui vous a fondé à saisir le conseil de discipline de la magistrature ?

 

 

 

Nous avons constaté qu’au cours d’un interrogatoire à l’audience publique, un procès-verbal utilisé par le parquet s’est révélé manifestement falsifié ; ce qui veut dire que les déclarations qui ont été mentionnées dans le procès-verbal et lues par le parquet se sont révélées fausses. Ce fait, en soi, est troublant. On ne peut pas avoir confiance dans la procédure quand les procès-verbaux ne sont pas fiables. Cela pose un problème à l’ensemble des accusés. Nous avons donc voulu relever cette situation et en alerter le conseil de discipline. Il appartiendra maintenant au conseil de discipline d’examiner cette plainte et de rencontrer les magistrats ; d’élucider les circonstances dans lesquelles cette anomalie a pu se produire et de prendre les dispositions appropriées. Nous avons saisi aussi cette occasion pour relever à l’intention du conseil de discipline et de l’opinion publique les nombreuses violations et déviations à l’égard des règles et des principes d’un procès équitable. Ces règles et principes sont des valeurs unanimement acceptées par toutes les institutions internationales qui traitent de ces questions.

 

 

 

En enclenchant cette procédure, vous espérez quoi concrètement comme résultats ?

 

 

 

Premièrement, nous attendons du conseil que, s’il se réunit, il traite cette question, l’examine et  dise si réellement, comme nous le pensons, s’il y a eu une manipulation. Si cela est avéré, alors nous serons face à une situation inacceptable, car il y aurait une faute disciplinaire commise par les magistrats ;

 

deuxièmement, quand un procès se déroule et qu’on est à l’extérieur, on n’a pas une idée très précise de ce qui se passe dans la procédure. Nous avons voulu saisir l’occasion pour attirer l’attention du Conseil de discipline et de l’opinion publique sur les multiples et incessantes violations du droit et des règles du procès équitable qui se perpétuent dans cette procédure du procès du putsch manqué.

 

 

 

Concrètement, avez-vous une idée de ce que peuvent risquer les personnes qui pourraient être reconnues coupables de « manipulations » ?

 

 

 

Je n’en ai aucune idée. Mais j’espère que le régime des magistrats prévoit différents types de sanctions disciplinaires. Mais actuellement, ce conseil de discipline n’existe pas ou n’est pas en état de fonctionner puisque son mandat est arrivé à expiration depuis quelques mois, me semble-t-il. Et il n’a pas encore été renouvelé. Alors affleure ici une autre forme de déni de justice parce qu’à quoi sert-il de prévoir des instances de recours dans la loi si on ne nomme pas les personnes qui doivent les faire fonctionner ?

 

 

 

Si votre requête était concluante, pensez-vous qu’on puisse avoir une remise en cause totale de toute la procédure au point de la reprendre éventuellement à zéro ?

 

 

 

Je ne sais pas ce que cela aurait comme conséquence sur la procédure. Je n’en suis pas sûr. Mais je peux vous dire qu’en dehors de tout ça, dans le cadre normal du procès, les avocats de la défense, depuis le début d’ailleurs de ce procès, ont déposé toutes les exceptions avec la volonté très claire de faire décider que la procédure soit reprise parce qu’il y a irrégularité sur plusieurs plans.

 

Mais vous savez, comme la règle dans cette procédure, c’est que les exceptions   seront examinées à la fin du procès, on ne sera donc fixé dessus qu’à la fin. C’est pour vous dire que, dans le cas d’espèce, s’il y a eu une manipulation frauduleuse des procès-verbaux et que rien ne se passe, le procès va continuer avec des pièces falsifiées et c’est peut-être à la fin qu’on pourra en tirer les conséquences. C’est une absurdité complète.

 

 

 

Beaucoup d’accusés sont déjà passés à la barre. Quel est votre état d’esprit en attendant votre tour d’être auditionné ?

 

 

 

J’attends cela avec lucidité parce que quand vous avez en face de vous des choses anormales qui se passent, il faut avoir les yeux ouverts. J’ai les yeux ouverts et je ne suis pas seul dans ce cas d’ailleurs, car c’est le cas de l’ensemble des accusés, et en particulier de ceux qui sont des accusés civils devant un tribunal militaire, ce qui en soi est déjà une chose incongrue. Lorsque nous viendrons à être interrogé, nous répondrons de manière claire aux questions qui nous seront posées.

 

 

 

Les avocats étrangers ne sont pas encore entrés en scène dans ce procès. En avez-vous un et sera-t-il là quand vous serez appelé à la barre ?

 

 

 

J’en ai un et il sera là à mes côtés. Il y a eu un problème au début de la procédure. Cela fait partie des anomalies et des violations des principes d’un procès équitable qui ont émaillé cette procédure. Rappelez-vous qu’au début, le tribunal militaire, au mépris des lois et règlements de l’UEMOA et de la CEDEAO, avait interdit la constitution des avocats étrangers. Cette question a pu être résolue après que la Cour de justice de la CEDEAO a rendu un jugement dans ce sens. Maintenant les avocats étrangers peuvent être constitués auprès de leurs clients. Mon ami Hermann Yaméogo et moi avons un avocat sénégalais, un ami d’études qui viendra nous assister le moment venu. Ce procès dure depuis février, imaginez-vous s’il devait être là depuis ce temps tous les jours à Ouagadougou, ce n’est pas envisageable.

 

 

 

Entretien réalisé par

 

San Evariste Barro

 

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