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Procès du putsch manqué : Le Conseil ou le centre des opérations de dispersion des manifestants

 

Le procès du putsch manqué suit son cours à la salle des Banquets de Ouaga 2000. Le mardi 4 septembre 2018, c’était au tour des lieutenants Philipe Ouattara et Relwendé Compaoré, comparaissant en tant qu’accusés, de détailler devant la Cour leurs activités du 16 septembre 2015 et des jours suivants. Selon leurs propos, tous deux étaient au Conseil de l’Entente (Charly Echos) et avaient pour ordre de ne pas laisser les manifestants se regrouper à la place de la Nation.

 

 

 

 

Il est à une année de la retraite, avait 54 ans au moment du putsch, n’a jamais été condamné et a déjà été décoré 3 fois (de la médaille militaire, de celle avec agrafe Mali et d’une autre avec agrafe Liberia).  Lui, c’est le lieutenant Philippe Ouattara. Il est poursuivi pour les faits suivants : attentat à la sûreté de l’Etat, meurtres, coups et blessures. Des accusations dans lesquelles il dit ne pas se reconnaître. Avant de dévoiler son calendrier du 16 et des jours suivants, il a tenu à présenter ses excuses à ses chefs militaires au cas où il aurait commis des fautes militaires dans l’exécution de ses ordres ainsi qu’au tribunal au cas où il aurait commis des fautes pénales. Selon lui, sa matinée du 16 devait être consacrée au sport mais finalement, c’est après avoir effectué des courses à la gare qu’il s’est rendu vers 15 heures au Conseil de l’Entendre (Charly Echos) pour son sport. A l’entrée, c’est l’adjudant de compagnie, le sergent Yacouba Sinaré, qui l’aurait interrogé sur ce qui se passe à Ouaga 2000. « Il m’a dit qu’il paraît que ça bouge là-bas. Je lui ai dit que je n’en savais rien mais que j’allais me renseigner ».

 

Par la suite, le lieutenant soutient avoir tenté maintes fois de joindre des officiers au palais pour avoir des informations mais sans succès. « Le réseau ne marchait pas », a-t-il fait remarquer. Dans son récit, Philippe Ouattara a dit être resté à Charly Echos sans nouvelles jusqu’à ce que le capitaine Zoumbri y arrive et l’informe que le Conseil des ministres avait été interrompu, sans aucune autre précision.

 

« Je suis resté au bureau jusqu’au lendemain. Le 17 au matin, le capitaine Zoumbri m’a appelé vers 10 heures et instruit d’aller voir à la place de la Nation s’il y avait des manifestants », a relaté le mis en cause. D’après ses propos, il serait entré en contact avec six éléments de sa compagnie afin qu’ils l’accompagnent accomplir la mission. C’est donc au nombre de sept et à bord de deux véhicules qu’ils se seraient rendus sur les lieux. « Quand on est arrivé, il n’y avait rien, juste un pneu qui brûlait devant la BCEAO. J’en ai fait le compte rendu au chef, qui m’a dit d’éteindre le feu et de retourner au Conseil », a-t-il précisé.

 

Le président du tribunal, Alioun Zanré, a voulu savoir quel était l’armement qui était à leur disposition. Celui qui était à la tête de la mission a répondu qu’il s’agissait de la dotation normale : « Les kalachnikovs, quatre chargeurs, d’autres avaient des cordelettes aussi, j’avais mon PA. » « Est-ce qu’ils ont eu à tirer ?» a lancé le président. « Négatif », s’est empressé de répondre celui qui est à la barre. Il a fait savoir à l’assistance que, dans la même soirée, il a reçu un autre appel du capitaine Zoumbri qui lui ordonnait de retourner à la place de la Nation et d’effectuer la même mission de vérification. Cette fois, le lieutenant Ouattara dit n’y être pas allé himself et y avoir envoyé le lieutenant Siébou Traoré. Ce dernier serait revenu vers 17 h 30 et aurait affirmé qu’il n’y avait rien à signaler. « J’ai donc fait le compte rendu au capitaine, qui m’a informé de l’arrivée à Charly Echos du lieutenant Relwendé Compaoré (…). J’ai appelé au rassemblement, et une fois arrivé, le lieutenant Compaoré a fait savoir aux hommes que désormais, c’était lui le chef. Et que s’il y a quelque chose, c’est à lui qu’il faut s’adresser », s’est souvenu le lieutenant Philippe Ouattara.

 

« A quel moment vous avez su que le quartier a été consigné ? » a de nouveau questionné le président du tribunal. « Lors du rassemblement, puisque le lieutenant Compaoré nous a dit que le Conseil des ministres avait été interrompu et que le quartier était consigné », a répondu l’interrogé. « Il ne vous a pas dit qui a fait cette interruption ? », a relancé le président. A cela le sieur Ouattara a répondu par la négative.

 

Philippe Ouattara a par ailleurs fait noter que c’est le 18 septembre qu’il a pu voir le communiqué du colonel Bamba qui informait du Coup d’Etat. « J’étais dépassé et découragé, je ne m’attendais pas à ça. Pour moi, tout ce remue-ménage était lié à un problème au sein du RSP », a relaté l’accusé. Toujours selon son récit, le 25 septembre il a été envoyé par le lieutenant Compaoré participer à une réunion à Ouaga 2000. « J’ai exécuté et rendu compte ». Ce sont, selon Philippe Ouattara, les deux seules missions qu’il a effectuées hors de Charly Echos le 16 septembre et les jours suivants.

 

 

 

« …Sinon je quitte la salle »

 

 

 

Le parquet a remercié l’accusé pour la clarté de sa relation des  faits. Mais le ministère public a quand même fait remarquer que, lors de son interrogatoire de fond, en janvier 2016, l’accusé avait soutenu que le capitaine lui avait ordonné « d’aller voir s’il y a des manifestants et de les disperser. Est-ce que vous reconnaissez ce passage de votre interrogatoire au fond ? » a demandé le parquet. « Oui, je le reconnais, mais avec la peur devant le juge d’instruction, j’ai pu dire des choses un peu floues », a marmonné le lieutenant.

 

Le parquet a aussi fait remarquer à Ouattara ce que son conseil avait observé lors de cet interrogatoire de fond : « Le coup d’Etat a créé un désordre, mais la mission de mon client n’était pas de consolider l’ordre, plutôt de consolider ce désordre. Il n’a pas participé à la préparation du coup d’Etat. Il a juste été utilisé, est-ce que vous reconnaissez ces propos de votre avocat ? »  « Ce sont des observations de mon avocat et… », a tenté de justifier l’accusé avant d’être interrompu par son conseil qui a crié : « Incident, incident, Monsieur le Président je veux arrêter le parquet. Il faut être honnête. Le parquet ne peut pas opposer mes observations aux propos de mon client. Il faut qu’il arrête sinon je quitte la salle et n’y reviens plus ». Cette intervention de Me Mamadou Sombié a fait éclater de rire plus d’un dans la salle. Le président a alors demandé le silence et les choses ont repris.

 

 

 

« Mon client est à une année de la retraite… »

 

 

 

Me Sombié, dans son observation, a souligné que s’il était le procureur militaire, il n’allait pas poursuivre plus de vingt personnes dans cette affaire de putsch. « Mon client comme beaucoup d’autres ont été utilisés, que pouvaient-ils faire alors que leur supérieur même avait rejoint les rangs de Diendéré ? » Le conseil n’a pas manqué de plaider pour des circonstances atténuantes, car selon lui « mon client est à une année de la retraite ».

 

Au tour de la partie civile, Me Prosper Farama a observé que l’accusé est resté constant mais vers la fin de son récit, il y a eu des contradictions, et des moments de silence dû au fait qu’il ne voulait pas répondre : « Lorsqu’une personne n’a rien à se reprocher, elle reste claire jusqu’au bout. Je suis tenté de croire qu’il savait qu’il y avait un coup d’Etat ».

 

Avant de quitter la barre, pour laisser la place au lieutenant Relwendé Compaoré, le lieutenant Philippe Ouattara a souhaité un prompt rétablissement aux blessés du putsch et présenté ses condoléances aux parents des victimes.

 

 

 

« J’ai reçu une instruction du capitaine Zoumbri »

 

 

 

Le lieutenant Relwendé Compaoré a été le deuxième à passer à la barre pour se prêter aux questions du tribunal, du procureur et des différents conseils. D’entrée de jeu, il n’a pas reconnu les faits qui lui sont reprochés. « J’ai suivi un stage à Pô au camp Georges Namoano du 10 février au 15 septembre 2015. Je suis rentré le même jour, et c’est le 16 au matin que je me suis rendu au poste de commandement pour faire un compte rendu à mon supérieur hiérarchique ».

 

L’accusé a tenu à faire toutes ces précisions pour prouver qu’il n’était pas au courant de tout ce qui se tramait avant son arrivée à Ouagadougou.

 

« Le capitaine Zoumbri m’a appelé le 16 dans la soirée pour m’informer qu’une réunion d’urgence était prévue au poste de commandement avec le général Diendéré et les officiers. Quand je suis arrivé au camp Naaba Koom, le général s’est d’abord excusé pour cette réunion surprise et nous a informés que ce sont les médiateurs qui ont initié cette rencontre pour demander la libération des autorités de la Transition », a déclaré le lieutenant, imperturbable à la barre.

 

Les réponses de l’accusé contrastaient avec celles de ses prédécesseurs. Il a affiché une relative sérénité pendant sa plaidoirie, et la présence de son avocat à ses côtés lui a permis d’être clair dans ses interventions. C’est suite à ces faits que le procureur a demandé au président de rappeler à l’ordre Babou Bama, le conseil de l’accusé. Ce dernier, selon les propos d’Alioun Zanré, soufflerait des réponses à l’oreille de son client. Mais l’avocat a demandé au procureur d’apporter les preuves de ses allégations parce que c’est un procès pénal et qu’il faut toujours prouver. Ambiance.

 

Après cet incident, l’accusé a poursuivi son récit. « Après la réunion, j’ai reçu instruction du capitaine Zoumbri de rejoindre le Conseil de l’Entente pour informer les éléments qui s’y trouvaient. J’ai appelé ensuite le lieutenant Philippe Ouattara pour l’informer de ma venue à Charly Echos parce que j’avais des informations pour l’unité », a affirmé Relwendé.

 

Les propos de l’accusé, à quelques exceptions près, concordaient avec les déclarations qu’il a faites lors de son interrogatoire au fond. C’est ce que le parquet a remarqué lors de la déposition à la barre de l’accusé. « Dans la nuit du 17 septembre 2015, le capitaine Zoumbri m’a instruit d’envoyer une mission à la place de la Nation le lendemain 18 pour contrôler la zone et empêcher les manifestants de se regrouper là-bas. C’est ce que j’ai fait en envoyant le sous-lieutenant Seidou Traoré exécuter ladite mission parce qu’il y avait un risque d’affrontement », a reconnu Relwendé Compaoré.

 

A la question du procureur de savoir si le général Diendéré les avait informés que les autorités de la Transition avaient été arrêtées, le lieutenant a répondu par l’affirmative mais il a affirmé n’avoir jamais su qui était à la manœuvre. « Je reconnais tout ce qui a été consigné dans le procès-verbal d’audition, mais je tiens à observer que c’est le 17, par le communiqué du colonel Bamba, que j’ai appris que c’était un coup d’Etat qui se tramait », a précisé l’accusé.

 

 

 

« Je ne suis pas un traître, je suis resté militaire jusqu’au bout »

 

 

 

Le procureur a demandé à ce dernier si l’exécution des ordres est une prise de position politique. Relwendé Compaoré a affirmé que c’est une prise de position politique parce que le général les a informés que la Transition ne voulait pas organiser les élections comme prévu. Alioun Zanré est revenu à la charge en indiquant à l’accusé que le règlement de l’armée n’autorise pas un soldat à prendre des positions politiques dans l’exercice de ses fonctions.

 

« Il s’agit d’une mission de maintien d’ordre que j’ai ordonnée et ce n’est pas sûr que sans cette mission, il n’y aurait pas eu plus d’une centaine de morts lors de ces événements », a souligné le lieutenant. Il a tenu à faire cette précision pour montrer la nécessité de l’opération et qu’il n’a jamais donné l’ordre à un soldat de faire usage de son arme contre un manifestant.

 

« Est-ce que l’ordre que vous avez donné n’a pas contribué à renforcer le coup d’Etat ?» a demandé le procureur.

 

« C’est un ordre militaire que j’ai ordonné et ce n’était pas pour soutenir le coup d’Etat. Je ne savais même pas en son temps que c’était un putsch », a répondu le militaire.

 

Le procureur a interpellé l’accusé en lui posant la question de savoir si les ordres qu’il avait reçus venaient d’une autorité compétente et s’ils étaient légaux. Le lieutenant Compaoré a répondu par l’affirmative, car les ordres venaient du capitaine et celui-ci est une autorité militaire de l’armée burkinabè. Quant à savoir si l’ordre est légal, le soldat a ajouté qu’il ne saurait répondre à cette interrogation et que c’est le capitaine Zoumbri qui peut apprécier la légalité de cet ordre.

 

« Roger Koussoubé, dit le Touareg, et ses éléments me cherchaient pour m’abattre parce qu’ils pensaient que j’étais un agent de renseignement du camp du général Yacouba Isaac Zida. Du côté des inconditionnels de l’ancien Premier ministre, on me prenait pour un partisan du général Diendéré. Ça m’a beaucoup dérangé et je ne regrette pas ce que j’ai fait », a souligné  le soldat.

 

Avant que le président du tribunal fasse observer la pause, le substitut du procureur a posé la question suivante au lieutenant Compaoré afin qu’il éclaire sa lanterne :

 

« Au regard de vos réponses, dites-nous de quel camp vous êtes. »

 

« Pour vous dire la vérité, je ne suis d’aucun camp et je suis resté militaire pendant les événements du coup d’Etat. Je ne suis pas un traître et j’en suis fier. Si certains de mes collègues pensent le contraire, alors c’est leur problème ».

 

L’audience du procès se poursuit ce mercredi 5 septembre 2018.

 

 

 

San Evariste Barro

 

J. Benjamine Kaboré

 

Jean Noël Gyengani (Stagiaire)

 

 

 

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