Menu

Paul Kaboré, délégué CSBE des pays scandinaves : « Au Burkina, il y a eu un soulèvement mais pas de révolution »

Il est originaire de Sandogo, dans le département de Sourgoubila, province du Kourwéogo. Parti à l’aventure en Suède, notre compatriote s'est bien intégré, a une épouse suédoise et travaille comme professeur de français et d'anglais. Paul Kaboré, puisque c'est de lui qu'il s'agit, est le délégué CSBE (Conseil supérieur des Burkinabè de l'étranger) des pays scandinaves et n'a pas sa langue dans sa poche. Dans cet entretien qu'il nous a accordé le 31 août dernier à Stockholm, il donne sa lecture de la situation nationale.

 

 

Présentez-vous à nos lecteurs.

 

Tout d'abord, merci de m'avoir donné la parole, chose assez rare par ces temps qui courent. Je m'appelle Paul Kaboré,  je vis en Suède depuis 2010, marié et père de 3 enfants. Je suis professeur de français et d'anglais dans un lycée à Stockholm.

 

Pouvez-vous nous décrire les circonstances dans lesquelles vous êtes arrivé ici ?

 

 Je me décris généralement comme un aventurier. Je suis venu ici parce que j'ai un frère qui m'y a précédé.  Je suis passé par des voies sinueuses pour m'établir ici, car j'ai commencé par une demande d'asile avant de voir ma situation être régularisée. A la base, j'ai étudié les lettres à l'université de Ouaga, jusqu'à l'année de maîtrise, ce qui fait que je me suis relancé dans les études quand j'ai eu mes papiers. Cela  m'a permis de devenir professeur de français. Par la suite, je me suis rendu compte qu'enseigner une seule matière n'était pas suffisant, alors j’ai opté pour l'anglais comme deuxième langue. Ici, en général, rarement un prof enseigne une seule matière dans les lycées et collèges, même si des cas existent.

 

Où avez-vous trouvé votre âme sœur : parmi les Suédoises ou les Burkinabè ?

 

Parmi les Suédoises.

 

Quand on sait qu'il y a une différence de cultures entre vous, comment assurez- vous l'harmonie dans le foyer ?

 

La croyance en Dieu abolit les frontières entre nous, si bien que la différence de cultures n'est pas assez saisissante. On s'est rencontré dans la foi, laquelle est restée notre boussole. Cela dit, des différences existent car la culture a toujours influencé les religions mais pas au point de créer un problème particulier.

 

 C'est quelle confession qui vous lie autant ?

 

Je suis un chrétien évangélique comme mon épouse. Au Faso, j'étais des Assemblées de Dieu mais ici je n'en ai pas trouvé, donc je me suis intégré dans une église Baptiste. Le plus important, c'est que je crois au Seigneur Jésus. En fait, mon épouse est pasteur.

 

Pouvez-vous parler des Burkinabè vivant en Suède ?

 

Nous n'avons pas une forte concentration de Burkinabè en Suède.  Il est difficile de donner leur nombre exact, mais disons que nous sommes environ 100, dont la majorité est à Stockholm et ses environs,  d'autres sont à Gothenburg et Malmo. Nous sommes organisés en association  comme  Faso Traffen à Stockholm, qui veut dire « lieu de rencontre des Burkinabè », Faso Kamba à Gothenborg et Assambus. Je suis vice-président de Faso Traffen, qui existe maintenant depuis 3 ans, et regroupe la majorité des Burkinabè. La cohésion sociale, l'entraide, le soutien mutuel sont les maîtres mots de la structure. Quand les gens arrivent nouvellement, ils sont souvent dépaysés du fait de la barrière linguistique et du contexte social. Nous essayons de guider leurs premiers pas de sorte qu'ils soient utiles à eux-mêmes, à la société et à la mère-patrie.

Maintenant que Faso Traffen a des racines solides, nous voulons élargir notre champ d’action en nous tournant vers notre cher Burkina Faso et voir dans quelle mesure nous pouvons apporter notre contribution.

 

Comment expliquez-vous la faiblesse numérique de nos compatriotes ici ?

 

Je ne saurais le dire avec exactitude.  Je pense avant tout que c'est pour des  raisons historiques. La migration des Burkinabè était plus orientée vers la France, l'ancienne métropole, l'Italie et bien d'autres pays avec qui le Burkina entretient des relations bilatérales ou historiques.  Le second aspect est lié au premier, c'est-à-dire que les premiers ressortissants à  s'installer dans un pays tiers attirent d’autres compatriotes. Ce qui n'est pas le cas en Suède. Le climat social n’est pas non plus propice. Les études ont prouvé qu’en Suède, il faut en moyenne 7 ans a un immigrant pour obtenir un métier de  rêve. Le temps d'adaptation est long parce qu'il faut apprendre une nouvelle langue. Même pendant  la crise financière en Europe, certains Burkinabè qui sont venus d’autres pays européens comme l'Italie, l'Espagne sont repartis bon gré mal gré à cause des raisons ci-dessus citées. Pour tout dire, l'intégration est plus difficile ici que dans certains pays.

 

Avec une femme suédoise et 3 enfants votre intégration est parfaite mais est-ce que vous avez toujours des attaches au Burkina ?

 

Parfaites, je ne le dirai pas, mais acceptables. Avec la montée de l’extrémisme, du nazisme, aucune intégration ne saurait être parfaite ici en Suède. Pas pour un Africain en tout cas.

Pour revenir à votre question, on dit qu’on ne lapide jamais son pays  natal avec une pierre. Si je suis là, c'est par la force des choses. J'aime ma partie et j'y retourne souvent rendre visite à ma famille. Ma mère vit toujours et je pense constamment à la famille ; le lien ombilical ne peut jamais se rompre. Je viens même de participer au forum de la diaspora à Ouagadougou en ma qualité de délégué CSBE (Conseil supérieur des Burkinabè de l'étranger) des pays nordiques.

 

 Quel genre d'actions vous menez pour apporter votre pierre au développement du Burkina ?

 

Au niveau individuel, ça paraît insignifiant mais je pense qu'aider à scolariser un enfant, ce n'est déjà pas rien. Nous savons tous ce que ça représente d’avoir un membre de sa famille en Europe. La plupart des Burkinabè soutiennent qui leur frère qui leur cousin dans les études, dans diverses activités. Ils contribuent aussi aux soins médicaux. Nous avons des compatriotes qui ont des projets d'ouverture de centres hospitaliers et d'écoles. Nous sommes dans cette dynamique pour aider au développement socio-économique de notre pays. Mais force est de constater qu’il n'y a pas d’accompagnement sur place, ce qui rend la tâche difficile.

 

Suivez-vous l'actualité du pays ? Si oui, parlez-nous en.

 

Actuellement nous sommes focalisés sur le vote de la diaspora. C'est une très bonne chose de solliciter le suffrage des Burkinabè vivant à l'étranger car c'est une façon de les impliquer davantage dans le développement du pays. Je suis très enthousiaste à l'idée de participer aux votes à partir de mon pays d'accueil et je sais que ce sentiment est largement partagé chez mes autres compatriotes. Seulement, les contours de cette nouveauté restent flous et nous attendons d'y voir plus clair

 

Il y a un débat entre l’opposition et la majorité  sur les documents à utiliser pour les votes ; la première voulant que les cartes consulaires soient incluses alors que la deuxième ne veut pas en entendre parler. Qu'en pensez-vous ?

 

La carte consulaire devrait servir comme document de vote à partir du moment où elle a été établie par les autorités compétentes et qu'elle tient même lieu de carte d'identité burkinabè. Si les autorités l'ont écartée, elles ont certainement leurs raisons mais je me demande si elles sont convaincantes ? Ici en Suède, nous avons tous ou presque des passeports mais tel n'est pas le cas dans d'autres pays comme la Côte d'Ivoire, où on se sert de la carte consulaire dans tous les actes de la vie. Si on écarte ce document chèrement acquis va-t-on en un temps record les remplacer par des cartes d'identités ? Si cela n’est pas le cas, on les exclut du processus et cela n'est pas souhaitable. J'ai grandi en Côte d'Ivoire, j'y ai obtenu mon Bac et j'y ai toujours de la famille. Je suis convaincu que beaucoup veulent participer aux votes. Les en priver serait une injustice qu’on aurait pu éviter.

 

Votre discours tranche avec celui de certains représentants  de la diaspora, notamment ceux des Etats-Unis, qui ont abondé dans le même sens que les autorités. Avez-vous été moulé dans la société suédoise, connue par son niveau de démocratie ?

 

Je ne m'aligne pas sur la position d'autres personnes. J'ai toujours opiné par conviction et je ne parle pas pour faire plaisir à qui que ce soit. C'est justement ce qu'il faut éviter si l’on veut que les choses changent dans nos pays. Lorsque  les autorités d'un pays établissent un document pour leurs citoyens qui les identifie, tenir un autre discours le concernant pour des raisons qu'on ignore, il faut avoir le courage de dénoncer cela. Je me demande si on peut encore appeler les détenteurs de la carte consulaire des Burkinabè ou du moins s’ils vont toujours pouvoir se servir de la carte consulaire.

 

Autre actualité brûlante, ce sont les attaques récurrentes des terroristes. Comment suivez-vous ces douloureux événements ?

 

Quand on parle de terrorisme, on évoque rarement le rôle de la France et de ses affidés, qui ont créé le problème en Libye et dont les pays africains subissent aujourd'hui les conséquences. D’où proviennent les armes utilisées ? Pas du Burkina en tout cas ! Alors, si les Occidentaux peuvent ériger des murs pour stopper les Africains, ils peuvent aussi stopper la prolifération des armes qui sont utilisées pour massacrer les innocents. Qu’ils assument leurs responsabilités. Il faut avoir le courage de le leur dire.  En attendant, ceux qui meurent sont nos frères et sœurs, j'en suis peiné mais pourquoi le monde n'en tremble pas ? Juste parce que ce sont des Noirs. Nous devons situer les responsabilités, nous assumer et ne pas toujours attendre des autres. La rhétorique de la condamnation ne suffit pas.

 

Avez-vous un appel particulier à lancer à vos concitoyens ?

 

Avec beaucoup de modestie, je dirai que le mal est profond et nécessite un changement profond et radical de mentalités à tous les niveaux. Il suffit de voir le désordre qui règne à Ouaga, dans la vie sociale et politique, pour s'apercevoir du chaos généralisé. Cela s'explique par le fait que ce désordre profite à certains ou que les décideurs en sont acteurs.

Il faut aussi une réforme du système éducatif qui, à mon avis, est désuet et vieillot. Par exemple, en histoire-géo, j'ai toujours en tête cette leçon : "Poussée par  la curiosité scientifique, doublée de l'esprit d’aventure, l'Afrique attire de plus en plus l'attention de l'Europe". Mais on ne nous disait pas que les Européens sont venus en Afrique parce qu'ils étaient pauvres et avaient besoin de nouvelles ressources, encore moins leur brutalité, à telle enseigne qu’étant élèves, on était fasciné par les explorateurs comme on les appelle. Il faut donc un système éducatif adapté à nos besoins et qu'on arrête de confondre le savoir avec le nombre de gros mots français qu'on prononce.

Il est temps que les Africains prennent leurs responsabilités et situent aussi bien dans la marche de l'histoire. Ne demandons pas aux autres de le faire à notre place parce que personne ne le fera. Notre précarité profite aux nantis avec la bénédiction de nos marionnettes. Nous sommes déjà en retard et si nous voulons avancer, il faut arrêter d'attendre tout des autres.

 

Parlant de changement, les Burkinabè ont exprimé leur volonté dans ce sens par l'insurrection. Comment appréciez-vous le Burkina post-insurrection ?

 

On a changé les hommes ou une partie des hommes mais pas le système. C'est le constat que je fais. Je pense que nous avons vendu la révolution ou que la révolution nous a échappé. Quand on parle de révolution, cela suppose un changement dans la structure politique et sociale d'un Etat, qui se produit quand un groupe se révolte contre les autorités en place, prend le pouvoir et le garde plus ou moins. Mais tel n'est pas le cas dans mon pays. Au début, beaucoup pensaient que c'était le cas avant de vite déchanter. On s'est rendu compte que c'était tout sauf ce à quoi on s'attendait. Au regard des résultats auxquels on est parvenu, je pense qu'il y a eu un soulèvement au Burkina mais pas une révolution. Celui qui pense le contraire, qu'il avance ses arguments et nous en débattrons.

A la tête de l'Etat, il y a jusqu’à présent ceux qui ont jadis régné. Ceux-là qui ont juste eu l'idée de rebattre les cartes à temps en changeant de matricule et de logo et qui ont su surfer sur la vague de mouvements. Autrement, c'est le néant. Le Burkina manque de réelle politique sociale, de réelles idées directrices, de vrais leaders avec des convictions. Et sans ces ingrédients, c'est le bricolage. Avez-vous déjà vu ou entendu qu'un pays s'est développé avec l'aide reçue. Même le Plan Marshall n'a pas servi à construire l'Europe mais à la ”reconstruire”. Donc ce ne sera pas les dons qui vont construire l'Afrique encore moins quand les donateurs en conditionnent l'utilisation.

Je ne saurais terminer sans évoquer le problème de la corruption. En Suède par exemple, je ne dis pas qu'il y a zéro corruption, mais la transparence en soi est devenue un dictateur qui tyrannise les dirigeants, ce qui fait que le décideur a peur de la chose publique.

Pourquoi donc au Burkina la corruption va crescendo ? Quand vous avez des leaders qui sont eux-mêmes trempés jusqu'à la gorge, il leur est difficile de prendre des mesures drastiques parce qu'ils seront les premières victimes desdites mesures.

 

Propos recueillis à Stockholm  par

Abdou Karim

Ajouter un Commentaire

Code de sécurité
Rafraîchir

Retour en haut