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Audition Lieutenant K. Jacques Limon : Journée de décryptage des SMS

Débuté le 7 septembre 2018, l’interrogatoire du lieutenant K. Jacques Limon, inculpé dans le cadre du putsch manqué de septembre 2015, s’est poursuivi hier, 10 septembre, à la salle des banquets de Ouaga 2000. Accusé d’avoir fourni des renseignements dans le cadre du putsch, cet officier qui était, de fait, chef de cabinet du ministre de la Défense au moment des évènements a soutenu, comme au premier jour de son interrogatoire, se retrouver dans le dossier seulement pour avoir refusé la passation d’un marché. Cette 2e journée d’audition n’aura pas permis de « décrypter » ses messages échangés avec le capitaine Zoumbri aux heures chaudes du putsch manqué.

 

L’interrogatoire du lieutenant K. jacques Limon aussitôt reprise, son conseil, Me Mamadou Sombié, a souhaité que le tribunal reçoive une déclaration de son client. « Nous venons d’introduire l’accusé et nous ne pouvons pas l’autoriser à faire une déclaration », a répondu le président Seydou Ouédraogo, qui a indiqué tout de même que le conseil pouvait faire des observations.

L’avocat ayant préféré reporter ses observations, la parole a été attribuée à Me Dieudonné Bonkoungou, avocat de la défense, qui avait des questions pour l’accusé : « Vous dites qu’au départ, un incident vous a opposé à l’expert Inoussa Sanfo ? » a-t-il voulu savoir d’emblée. « Cette histoire concerne trois personnes : l’expert Younoussa Sanfo, le colonel Sita Sangaré et le juge Frédéric Ouédraogo », a dit le mis en cause, précisant qu’il ne s’agit pas d’un incident isolé comme le penseraient certains.

Selon le père de quatre enfants, « tout tourne autour de la mise à disposition des fonds et la passation de marché ». Comme une occasion que cette première question de Me Bonkoungou lui offrait, le lieutenant Limon a voulu éclaircir davantage son récit des évènements. Lors de son interrogatoire vendredi dernier, il avait indiqué qu’il se retrouve dans ce procès pour avoir refusé de signer une passation de marché public. Ledit marché n’est autre que celui de l’expertise des documents électroniques qui était commandée par un juge dans le cadre de l’instruction du procès. Or, selon le ministère public, le lieutenant est complice du putsch manqué pour avoir partagé une conversation par SMS avec le capitaine Zoumbri à qui il a fourni des renseignements.

Dans le développement du récit de l’accusé, ce dernier dit avoir reçu Younoussa Sanfo dans son bureau. « Il m’a dit qu’il venait de la présidence et qu’il n’a pas vu son document. Je lui ai dit qu’il ne peut pas venir me voir après avoir quitté la présidence. Parce que c’est comme ça on fait pour noyer les gens dans le pays. 30 minutes après son départ, le colonel Sita Sangaré m’a téléphoné et m’a demandé si Sanfo était venu me voir. J’ai répondu par l’affirmative », a déclaré celui qui a été décoré six fois. Poursuivant sa relation des faits, il a indiqué qu’après son appel, le colonel Sangaré est venu à son tour le voir dans son bureau et a souhaité lui parler à huis clos. Au cours de cette entrevue, le directeur de la justice militaire lui a fait savoir que Younoussa Sanfo, qui poursuivait le marché de l’expertise, se plaint d’un blocage de son dossier. Je lui ai fait savoir que je ne bloquais pas le dossier ». L’accusé a indiqué avoir par la suite appris qu’une réunion de commandement s’est tenue à l’état-major général des armées où une liste de 5 personnes a été projetée. Et ses cinq personnes étaient des chefs militaires à entendre dans le cadre de l’instruction du putsch.

 

« Les messages ont été tripatouillés contre ma personne »

 

Selon la déposition du lieutenant, c’est son refus de donner son aval à la passation du marché de l’expertise qui  l’a conduit dans sa galère. Sieur Limon dit avoir trouvé le marché irrégulier, pour la simple raison qu’il avait reçu un autre quelques jours plus tôt avec un montant différent. En outre, le dernier reçu ne respectait pas les normes en termes de devis : « Quand vous prenez le devis, même une vendeuse de galettes ne peut pas faire un devis pareil. J’ai fait la critique du devis et j’ai fait remarquer qu’il ne respectait pas les normes », a soutenu celui qui a été décoré quelques mois après les évènements, brandissant d’une main le devis en question.

« Quand M. Sanfo est venu vous voir, saviez-vous de quel marché s’agissait-il ? » a questionné encore Me Bonkoungou. « Non », a répondu le lieutenant. Et à la question de savoir si la passation du marché est, selon lui, en lien avec le rapport d’expertise de Younoussa Sanfo, le lieutenant Limon a estimé que le rapport en question « a été tripatouillé » contre sa personne.

L’accusé reconnaissant qu’il était de fait le chef de cabinet du ministre de la Défense, le parquet a voulu, lui, savoir si en tant que chef de cabinet, il avait les prérogatives pour faire passer des marchés.  Le lieutenant qui assurait en fait les fonctions de secrétaire permanent, a fait observer que ses attributions lui commandaient de vérifier la régularité des marchés. Mais à la lecture du parquet, l’officier Limon s’est arrogé des attributions qui n’étaient pas les siennes.  « Trouvez-vous un lien entre le marché public où vous avez décelé des problèmes et votre implication dans l’affaire du putsch manqué ? » a encore questionné le ministère public. A cette question le mis en cause a répondu par l’affirmative, en soutenant que c’est ce qui a conforté sa conviction selon laquelle il y avait des irrégularités dans le dossier de passation de marché.  « La preuve est que mon téléphone n’a jamais été saisi pour l’expertise téléphonique de M. Sanfo», s’est-il défendu.

Dans son film des évènements, le lieutenant Limon a indiqué qu’il ne connaissait pourtant pas le commis à l’expertise. « Dans vos P-V, on retient que dans un message que vous avez envoyé au capitaine Zoumbri, vous dites que votre frère à Sabou vous a informé qu’il a vu passer des troupes. Si vous ne connaissiez pas l’expert, comment a-t-il pu savoir que vous aviez un frère à Sabou ? » a voulu savoir le parquet. Et l’accusé de rebondir sur sa thèse des messages tripatouillés : « L’expert Sanfo ne savait pas que c’était mon frère. C’est dans mes récits que je l’ai dit », a fait remarquer l’ex-élément du RSP. Et de soutenir que « dans la manipulation il y a des choses qui ont été ajoutées.» « Tout le monde sait que le petit Ibo sait comment tripatouiller des messages », a poursuivi le prévenu.

 

« J’ai échangé avec le capitaine Zoumbri en tant que frère d’armes »

 

« Dans l’audition du vendredi, à une question de Me Farama, vous disiez reconnaître certains SMS. Dites-nous lesquels », a chargé de nouveau le procureur militaire. Sur cette invite, l’ex-SP du ministère de la Défense a dit ne reconnaître que les P-V d’audition. Pourtant, lui a vite rappelé le ministère public, ces SMS des P-V sont extraits du rapport d’expertise. A cela l’accusé n’a pas voulu faire de commentaire, et la pluie d’observations et de questions s’est poursuivie du côté du parquet. Dans l’un des messages à polémique, le lieutenant Limon, selon le procureur, assurait le capitaine Zoumbri que les troupes qui convergeaient à Ouaga n’arriveraient pas dans la capitale, ajoutant qu’il allait faire « le CR après ». Après lecture de ces messages, le parquet a demandé à l’inculpé s’il n’était pas en train de fournir des renseignements au capitane Zoumbri.

Mais celui qui avait déjà passé plus de deux heures à la barre n’a pas entendu avoir agi dans ce sens. « C’est la preuve même du tripatouillage. La preuve est que le français dans lequel les messages sont écrits n’est pas le mien », a indiqué l’officier. Face à ce rejet en bloc, le parquet a conclu que  l’accusé contournait les questions. A celle de savoir dans quel but les messages ont été échangés avec  le capitaine, le lieutenant a répondu : « J’ai échangé avec le capitaine Zoumbri en tant que frère d’armes. Je n’étais pas de cœur avec les putschistes mais je partageais de la sympathie avec un homme qui est le capitaine ». Et de poursuivre : « Le capitaine Zoubri était inquiet et j’ai voulu juste le rassurer. Je ne lui ai jamais donné de renseignement. L’officier à la barre a ajouté que le fait que des troupes venaient à Ouagadougou n’était pas secret.

Selon les convictions du ministère public, le lieutenant Limon a joué double jeu dans le cadre du coup d’Etat. « Il a été une véritable taupe au sein du ministère de la Défense », a-t-il soutenu, non sans faire remarquer qu’au moment où il a été décoré par les autorités, ces dernières ne s’étaient pas rendu compte de ce double jeu.  « Monsieur Limon savait que si une expertise était menée à bon port, il n’allait pas s’en sortir. » Et le parquet de soutenir la thèse selon laquelle la procédure de passation de marché a été brandie pour faire l’amalgame. Cette deuxième journée d’interrogatoire n’ayant pas permis d’épuiser les questions, l’audience a été suspendue et reprend ce matin à 9 heures.

 

San Evariste Barro

Lévi Constantin Konfé

Bernard Kaboré(Stagiaire)

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