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Sergent Issa Yago : Le « geôlier » des autorités de la Transition

L’audition du lieutenant-colonel Mamadou Bamba s’est poursuivie le 28 septembre au tribunal militaire. Avant de quitter la barre, le visage cathodique du putsch a présenté ses excuses au peuple burkinabè et dit comprendre ceux qui ont renié leurs liens avec lui à cause de la situation. A sa suite, le sergent Issa Yago, l’un des militaires qui ont assuré la garde au palais de Kosyam pendant que les autorités de la Transition y étaient retenues, appelé à la barre, a plaidé non coupable.

 

S’il est un atout que le parquet militaire et les avocats de la partie civile ont unanimement reconnu à Bamba, c’est bien l’exemplarité de son attitude. « J’ai été agréablement surpris que vous reconnaissiez votre part de responsabilité dans les faits.  C’est à votre honneur. Bien qu’on vous présente comme la mascotte du putsch, certains à votre place auraient pu nier les faits. Depuis le début de votre interrogatoire, la partie civile a noté que vous avez du regret à l’endroit des victimes. Vous parlez avec humilité. Il y a une sorte de repentir dans votre attitude. Ça nous soulage un peu. Nous vous exhortons à continuer dans cette lancée » ; c’est sur cette remarque que l’avocat de la partie civile, Me Séraphin Somé, s’est adressé au colonel Bamba. Cette remarque bienveillante faite, l’accusé est acculé de questions : pourquoi aviez-vous dit lors de votre interrogatoire passé que vous regrettiez d’avoir connu le capitaine Abdoulaye Dao ? L’accusé s’est rétracté. « Je regrette d’avoir tenu ces propos. Il est mon petit frère, il me respecte. Je n’ai aucune animosité contre lui. Mais j’étais profondément étonné qu’il dise que c’est moi qui me suis proposé pour lire le communiqué du CND », a déploré celui qui dit ignorer l’auteur des communiqués qu’il lisait. « Je ne faisais que lire », a-t-il précisé.

Le sujet relatif à l’argent reçu au domicile de Diendéré a été abordé. « D’habitude, est-ce que vous êtes gratifié d’une somme d’agent ? », a encore interrogé l’avocat de la partie civile. Le visage cathodique du coup d’Etat répond par la négation, car, précise-t-il, d’habitude il ne parle pas de problème d’argent à Fatou Diendéré qu’il appelle affectueusement « grande sœur ».

 

« Bamba n’est pas à la barre pour des faits passés au campus »

 

A ce deuxième jour de l’interrogatoire, l’avocat de l’accusé, Mamadou Sombié, a dit ne pas apprécier certains propos de mercredi dernier de son confrère Prosper Farama. « Je suis venu apporter la réplique à la question de Prosper Farama mercredi passé. Ses commentaires sont inappropriés. Qu’il cesse, pendant que les gens sont à la barre, de faire allusion à des procédures pendantes (...) Il a parlé de la situation estudiantine de mon client. Bamba n’est pas là pour des faits passés au campus. Ce sont des remarques qui peuvent amener le tribunal à avoir la main lourde », a relevé le conseil.  Avant de quitter la barre, le spécialiste de la médecine de guerre a présenté ses excuses au peuple burkinabè, à sa famille et à tous ceux qui ont souffert de la situation. « Je comprends tous ceux qui ont renié leurs liens avec moi à cause de la situation », conclut-il avant que l’audience ne soit suspendue.

A la reprise du procès dans l’après-midi, le sergent Issa Yago, 44 ans, a été appelé à la barre pour répondre des faits d’attentat à la sûreté de l’Etat, de mort de treize personnes et coups et blessures sur quarante-deux autres. Ce paternel de trois enfants, jamais condamné mais décoré de la médaille commémorative, ne reconnaît pas les faits à lui reprochés. Ce sergent du Groupement des unités spéciales (GUS) qui, depuis février 2015, a été détaché pour la sécurité de l’ancien chef d’Etat de la Guinée Conakry, Dadis Camara, est alors appelé à décliner son agenda le jour de la sortie en trombe de l’ex-régiment de sécurité présidentielle ainsi que celui des jours qui ont précédé la dissolution de l’ancienne garde prétorienne.

Selon le récit de ce natif de Léo, le 16 septembre, il est descendu de la garde du domicile de Dadis Camara à 8 heures du matin. Après avoir effectué une opération bancaire pour l’ancien chef d’Etat sur demande de celui-ci, il a rejoint son domicile. A 10 heures, un ami l’appelle à lever le coude dans un maquis. Quatre heures plus tard, il reçoit un autre coup de fil du sergent-chef Petagba l’informant que le quartier est consigné. Après s’être rendu à son poste de garde, où il a enfilé sa tenue militaire, il a aussitôt regagné le camp Naaba Koom. A son arrivée, raconte-t-il, le rassemblement était fini. Les militaires sont scindés en deux groupes, et il était de ceux qui devaient assurer la garde à l’extérieur de l’entrée principale du palais de Kosyam. Ce jour-là il dit avoir exécuté la mission, mais, dès le lendemain matin il a obtenu d’être relevé. Puis, soutient le sergent, il est resté à l’aire de repos réservée au personnel militaire. Dans cette journée du 17, le militaire de la sécurité rapprochée de Dadis Camara dit, la main sur le cœur, n’avoir participé à aucun rassemblement.

Le 18 septembre, son récit veut qu’il soit désigné par l’adjudant-chef major Badiel Eloi pour assurer la sécurité du président du Bénin d’alors, Yayi Boni, venu à Ouagadougou pour des pourparlers. Issa Yago a soutenu qu’il est resté aux côtés de l’émissaire de la CEDEAO, logé à l’hôtel Laïco, jusqu’à ce qu’il en reparte le 19 septembre. Après cette mission, l’accusé est rentré à son domicile le même jour. Le 20 septembre, l’appelé à la barre dit qu’il a regagné son poste de détachement auprès du capitaine Dadis où il a assuré la garde jusqu’à la dissolution du RSP. Le 29 du même mois, le sergent « est allé au camp Sangoulé Lamizana. Un dispositif était en train d’être mis en œuvre pour attaquer Naaba Koom. Comme j’étais dans une tenue du RSP, mon téléphone m’a été retiré ; ensuite j’ai été mis aux arrêts. » Fin de l’histoire.

 

« Je n’étais pas d’accord avec ce qui se passait à Kosyam »

 

Dans la foulée, la police de l’audience s’est attelée en premier, comme d’habitude, à poser des questions à l’accusé. A la question de Seidou Ouédraogo de savoir à quel moment il a appris l’arrestation des autorités de la Transition, le militaire spécialisé de la sécurité rapprochée répond n’en avoir eu l’information qu’à son arrivée au palais. Et de préciser que c’est son chef de poste, Songotowa Zakaria, qui l’a mis au courant que le président Michel Kafando et bien d’autres ministres de la Transition sont détenus à l’intérieur du palais. Après cette nouvelle, ce sergent qui jadis a assuré la garde à Kosyam pendant une vingtaine d’années, dit avoir demandé à quitter son poste de « geôlier ». « J’ai demandé à être relevé. Je n’étais pas d’accord avec ce qui se passait », a-t-il déclaré.

« Pourquoi avoir rejoint Naaba Koom ? » A cette question du parquet militaire le sergent rétorque que c’est parce que le quartier était consigné et qu’en pareille situation la règle veut que tout militaire, ceux détachés inclus, qui n’est pas en poste regagne précipitamment le camp pour toute consigne à recevoir.

Le lieutenant Dianda, dans l’une de ses dépositions lue par le ministère public, a affirmé que, lorsqu’il a appris l’arrestation des autorités, il s’est rendu au palais mais l’accès lui a été refusé.  La préoccupation du parquet militaire a été de savoir si Issa Yago était de ceux qui auraient rabroué le lieutenant. Négatif, dit-il. « Je n’ai pas vu le lieutenant Dianda. Quand on s’est croisé à la Maison d’arrêt et de correction des armées (MACA), je lui ai demandé ce que lui aussi a fait pour se retrouver ici ». Après cette réponse le public a pouffé de rire avant d’observer le silence sur demande du président du tribunal. Le calme revenu, le parquet militaire a continué de l’assaillir de questions. A la question de Sidi Becaye Sawadogo de savoir s’il trouve normal qu’on détienne les autorités de la Transition, le quadragénaire réagit par la négation. « Je suis militaire, on m’a appelé et je suis allé. Mais si j’étais informé que le président Kafando et d’autres ministres y étaient détenus, je n’y serais pas allé », a soutenu le militaire. Lui qui a une vingtaine d’années au palais a aussi dépeint une affluence inhabituelle à Kosyam lorsqu’il y a mis les pieds.

Saviez-vous pourquoi vous avez été choisi pour monter la garde à Kosyam ? A cette interrogation d’Alioun Zanré le spécialiste de la sécurité rapprochée dit en ignorer les raisons. Le parquetier lisant alors une déposition de Badiel, lui fait comprendre que dans le dispositif des putschistes il était question, entre autres, de faire appel aux militaires qui connaissaient mieux le palais.  Et comme Issa Yago avait déjà passé 21 ans au service de sécurité du palais, il était le candidat idéal. « Quand Badiel m’a téléphoné, il ne m’a pas dit que c’est pour cette raison que j’ai été choisi. Je ne suis pas le seul qui connaît les lieux. Ceux qui ont dit à la barre qu’ils ne connaissent pas le palais mentent. Ils y vont pour se restaurer », a précisé le quadragénaire.

Le reproche qui a été fait à l’accusé, aussi bien par le ministère public que par les avocats de la société civile, c’est d’avoir monté la garde même quand il a su ce qui se passait. Mais, pour le geôlier, pour emprunter une expression du parquet militaire, s’il abandonnait son poste et que quelque chose de fâcheux arrivait aux autorités, il pourrait être tenu responsable. Pour réfuter ce reproche, il a aussi expliqué qu’il a tenté d’abandonner les lieux mais, découvert, il a feint de faire du jogging. Selon son conseil Jacques Soré, son client, en partant pour la garde au palais, ignorait que des autorités y étaient retenues. Par conséquent, il n’est aucunement responsable du coup d’Etat. Pour lui, si Issa Yago n’a pas quitté son poste de garde quand il a été informé de la situation, c’est parce qu’il craignait pour sa sécurité personnelle et se souciait aussi de celle des autorités qui y étaient. Citant l’article 72, il considère que son client n’est pénalement responsable d’aucun fait. Avant de quitter la barre, il a présenté ses excuses à la nation, aux victimes, etc. 

L’audience reprend le mercredi 3 octobre 2018 avec un autre accusé.

 

San Evariste Barro

Hadepté Da

 

 

Encadré 1

Liste 13 des accusés qui passeront à la barre

 

Traoré Abdoul Karim, magistrat militaire

Baguian Abdoul Karim, dit Lota, commerçant

Nanéma Ousséini Faisal, administrateur de société

Ouédraogo Adama, dit Damiss, journaliste

Ouédraogo Lassina, journaliste.

 

 

Encadré 2

Paul Sawadogo quitte le box des accusés

 

Paul Sawadogo, après l’interrogatoire du colonel Bamba, a été appelé à la barre. Ce particulier qui n’a jamais été condamné est poursuivi pour complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat. Mais comme l’ordonnance de renvoi ne retient aucune infraction contre lui, la juridiction s’est dite incompétente pour le juger. Ainsi, à l’image de Sow Léonce, le natif de Kaya est libre de toute poursuite dans ce dossier.

 

H.D

 

 

Encadré 3

Bamba ou le fermier de Nebraska

 

A la fin d’un message envoyé à l’ambassadeur américain d’alors au Burkina, Tulinabo S. Mushingi, le colonel Bamba a signé : « le fermier de Nebraska. » Interrogé par le parquet militaire sur l’origine du surnom, celui qui dit avoir passé quatre ans aux USA explique que tout est parti d’une discussion au cours de laquelle il a informé le diplomate qu’il a séjourné au Nebraska. Et comme dans cet Etat de l’Amérique l’activité agricole est fortement pratiquée, l’ambassadeur avait l’habitude de l’appeler le « fermier de Nebraska ».

H.D.

 

 

 

Encadré 4

Recueil des formules choc de Bamba

 

Pendant son audition, on aura remarqué le sens de la formule du lieutenant-colonel Mamadou Bamba. En voici quelques-unes :

« La femme du voleur ne doit pas dormir les deux yeux fermés sinon c’est elle qu’on risque d’attraper si on ne retrouve pas son mari » ;

« Lorsque tu bois l’eau dans le canari de ta mère, c’est elle que tu dois remercier. Ce n’est pas la personne qui y a mis l’eau que tu dois remercier » ;

« Le lionceau ignore que son père est le roi de la jungle » ;

« Il y a des moments où il faut réfléchir sur quand mourir pour la patrie et d’autres où il faut réfléchir sur quand vivre pour la patrie » ;

« Il faut mourir le plus tard possible. »

H.D.

 

Dernière modification lemardi, 02 octobre 2018 09:20

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