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Conversations des musées à Ouagadougou : Pour un musée africain décolonisé

Du 4 au 6 octobre, s’est tenu à Ouaga un colloque international organisé par l’Institut Goethe et qui a connu la participation d’une quinzaine d’intervenants composés d’administrateurs de musée, de spécialistes du patrimoine et des arts, de commissaires d’exposition du Bénin, du Sénégal, d’Allemagne et du Burkina. Il s’est agi d’articuler une pensée à haute voix sur les enjeux du musée africain d’aujourd’hui et du rapport au patrimoine.

 

 

Sans tambour ni trompette, ce colloque, organisé par Carolin Christgau, la directrice de l’Institut Goethe du Burkina, a réuni en toute discrétion du beau linge dans le domaine des musées et du patrimoine. D’un côté, il y avait les enseignants-chercheurs comme le Pr Ky Jean Célestin, le Dr Lassina Simporé, le Dr Adama Tomé, le Dr Malick, tous spécialistes du patrimoine ; de l’autre, des administrateurs des musées tels Alassane Waongo, le directeur du Musée national, Souleymane Baggyan du WAMP (West african museums program), Franck Pacéré du CAPP (Conseil africain pour la promotion du patrimoine), l’artiste plasticien Ky Siriki  ainsi que des personnalités du ministère de la Culture et des Arts comme le Secrétaire général Jean-Paul Koudougou et le conseiller technique Prosper Tiendrébéogo. Au sein des participants internationaux, il y a l’enseignant-chercheur et directeur du Musée Théodore Monod de Dakar, le Dr Malick Ndiaye,  Diane Touffoun de l’Ecole du patrimoine africain de Porto-Novo, Nanette Jacomijn Snoep, la Directrice des musées d'ethnologie de Dresde, Leipzig et Herrnhut  et le  Dr  Nadine Siegert de l’Université de Bayreuth.

Ce fut un colloque bien singulier : pas de communications préparées à l’avance, juste une introduction du sujet par une autorité du domaine et ensuite les participants, théoriciens et praticiens, interviennent ad libitum. De ces pensées à haute voix qui s’entrechoquent, s’éclairent et s’épousent, il émerge une vérité neuve pour tous et riche  des apports de chacun.

Ainsi les intervenants ont tour à tour questionné le musée africain, qui est un  héritage de la colonisation, pour voir quels sont sa place et son rôle dans la construction d’une identité nationale, la préservation du patrimoine ainsi que dans son rapport aux arts contemporains. Le Musée national du Burkina, le Musée de Manéga, le Musée Théodore Monod ainsi que le Musée Iwalewahaus ont servi d’exemples pour  faire l’état des lieux et des pratiques et envisager la place du musée africain dans le présent et le futur. Ils ont aussi questionné le musée dans son rapport au public. Quel public pour le musée aujourd’hui ? Comment passer d’un public exogène à un public local, populaire et jeune ?Madame Diane Touffoun a partagé avec l’assistance l’expérience de l’EPA dans la médiation orientée vers une cible jeune, et Alassane Waongo a évoqué aussi l’ouverture du musée national à un public jeune.

Il en est ressorti que les musées africains francophones, héritage de l’Institut français d’Afrique noire (IFAN) dont la vocation était de collecter les objets culturels et cultuels des colonies pour mieux comprendre ces communautés et mieux agir sur elles selon le Pr Jean Célestin Ky, doivent faire leur mue et entrer dans la post-colonie. Le Musée ne doit pas rester un magasin de curiosités mais être un lieu où se côtoient le passé et le présent, l’inerte et le vivant pour donner à voir au public son histoire et le préparer à entrer dans le futur. Et l’art contemporain doit pouvoir aller boire à la source des collections muséales pour s’en inspirer et se réinventer. C’est le gage d’un dialogue continu entre le passé et le présent, entre l’art du présent et le patrimoine.

Pour que l’art contemporain puisse se nourrir du patrimoine, il faut nécessairement que ce patrimoine lui soit accessible. Ce qui n’est pas évident pour un continent qui a été dépossédé d’une grande partie de son patrimoine. Il a par ailleurs été question de la restitution des objets du patrimoine par la France et de la position du Burkina face à cette restitution qui a, on s’en souvient, été annoncée à l’Université Joseph Ki-Zerbo par le président français, Emmanuel Macron.

« Je ne peux pas accepter qu’une large part du patrimoine culturel de plusieurs pays africains soit en France. (…) Le patrimoine africain doit être mis en valeur à Paris mais aussi à Dakar, à Lagos, à Cotonou, ce sera une de mes priorités. Je veux que d’ici cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique »,  lançait-il le 28 novembre 2016 depuis Ouagadougou.

Presque deux ans après, comment le Burkina Faso se prépare au retour de ces objets ?  Il semble que le pays des hommes intègres s’y prépare et que, bientôt, une communication sera faite sur la position du Burkina. De manière générale, les participants ont conscience que l’annonce de Macron participe plus de la communication  politique que d’une volonté de restitution de ce patrimoine. D’ailleurs, les participants noteront  le glissement sémantique qui s’est vite opéré dans le furtif passage de « la restitution » à  « partage et à la circulation » des objets d’art. Certains ont regretté que l’Afrique francophone reste focalisée sur la France et manque l’occasion d’élargir la revendication à d’autres pays comme l’Allemagne, l’Angleterre, les pays scandinaves, etc.

Les participants, bien que saluant le retour de ces objets sur leur sol, ce qui n’est que justice, encouragent les Etats africains à constituer des équipes pluridisciplinaires pour répertorier les objets importants pour chaque communauté et à revendiquer leur retour. Car il est à  craindre que sous prétexte de restituer des objets, on ne noie le continent sous une avalanche d’objets « morts » et qui ne parlent  plus à l’Afrique ni à l’Europe. Et puis, il ne s’agit pas dans cette opération de rapatriement des objets d’un repli sur soi, car l’Afrique a besoin que les autres continents puissent voir son génie à travers les œuvres de son patrimoine ainsi que de voir le patrimoine des autres civilisations. Il s’agit d’inventer des modalités nouvelles en rapport avec le patrimoine mondial pour que nul ne soit lésé.

Les conversations des musées ont permis en trois jours, en mettant sur une même table des universitaires, des conservateurs de musée et des artistes  que la théorie éclaire la praxis, que la pratique informe aussi le spéculatif de sorte à développer une pensée sur le patrimoine en prise avec le réel. Espérons que ces conversations se poursuivront par des collaborations entre les musées du Burkina, du Bénin, du Sénégal et de l’Allemagne et par un dialogue suivi entre l’université et les musées d’Afrique. Il faut que ce colloque soit un point d’inflexion et qu’il soit un tournant dans le processus de décolonisation véritable des musées d’Afrique.

 

Saïdou Alcény Barry

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