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Ouverture anarchique d’écoles de santé : «C’est aux autorités de faire respecter l’ordonnance» (Ramata Edwige Ilboudo, fondatrice de Sainte-Edwige)

Les écoles privées de santé poussent comme des champignons après l’orage, aussi bien à Ouaga que dans les autres villes du Burkina. Une situation qui n’est pas sans poser une question de santé publique : ces établissements ne respectent ni les cahiers des charges ni le contenu de la formation requise, avec au finish une formation au rabais. Pour aborder cette épineuse question, qui de plus indiqué que Ramata Edwige Ilboudo, directrice générale et fondatrice des écoles privées et de l’Institut privé supérieur de santé publique Sainte-Edwige ? Cette pionnière dans la formation des disciples d’Hippocrate s’est prêtée, avec la prudence d’une sage-femme, à nos questions. C’était au cours d’une interview le vendredi 12 octobre 2018.

 

 

Vous êtes promotrice, pour ne pas dire leader, de la formation privée des agents de santé au Burkina ; qu’est-ce qui vous a motivée à embrasser ce domaine ?

 

Je ne sais pas par où commencer, mais comme toute action a une histoire, je dirai que j’ai eu cette motivation quand j’étais directrice du plaidoyer au ministère de la Promotion de la femme où une de mes missions était de veiller à la santé des femmes du Burkina. Dans ce cadre, lors d’une rencontre à l’UNICEF, j’ai appris que le taux de mortalité maternelle était de 1100 décès pour 100 000 naissances vivantes. J’en étais abattue, car le taux national à l’époque faisait état de 484 décès pour 100 000 naissances vivantes. A comparer les deux données, le fossé était grand. J’étais mal à l’aise. Je me suis demandé pourquoi les statistiques sur le plan international sont plus élevées que sur le plan national. Alors qu’on sait que c’est le système des Nations unies qui a les moyens d’aller jusque dans les villages reculés et de recenser toutes les femmes anonymes qui sont décédées. Cela a créé en moi une grande frustration et je me suis demandé ce qu’il fallait faire pour que les femmes ne meurent pas en donnant la vie.

Un jour, en partance pour une mission, dans l’avion, j’ai lu un document de l’OMS qui disait : «On a beau former des infirmiers, on a beau former des gynécologues, tant qu’on ne formera pas des sages-femmes, les femmes vont continuer de mourir en couches parce que la sage-femme est la spécialiste de la mère et de l’enfant». Je me suis donc dit, tiens, j’ai le bagage intellectuel, j’ai… j’ai… et j’ai. Alors si c’est des sages-femmes qu’il faut former pour que les femmes ne meurent plus en voulant donner la vie, je pouvais le faire. J’ai alors entrepris les démarches.  Deux ans après, j’ai eu l’autorisation en 2005 pour ouvrir une école de sages-femmes. Puis quelques années après, sur demande des parents d’élèves, l’Ecole privée de formation en santé Sainte-Edwige.

 

Ainsi naquit Sainte-Edwige comme est communément appelée cette école. Dites-nous en un peu plus.

 

Sainte Edwige, c’est l’un de mes prénoms. L’histoire a aussi montré que Ste Edwige a été une grande dame dans l’éducation, elle a, par exemple, créé la première université de théologie en Europe.

En matière d’infrastructures, notre école est assez bien bâtie : nous avons, entre autres, les salles de classe, des laboratoires de compétences, 2 laboratoires de biologie, une infirmerie qui offre une consultation infirmière, une consultation de médecin, une salle d’accouchement. A ceux-ci s’ajoute une crèche gratuite pour les mamans où elles peuvent  laisser leurs enfant et nounou en attendant les intercours pour s’en occuper. Ce qui permettra aux mères d’être rassurées et de donner le meilleur d’elles-mêmes en classe. Il y a, en plus, une bibliothèque, une salle informatique, une cafétéria, un internat. Bref, nous disposons de ce qu’il faut pour qu’un étudiant soit à l’aise pour étudier.  

 

Quelles sont les différentes filières de formation ?

 

Actuellement, nous formons les technologistes biomédicaux, les infirmiers et infirmières d’Etat, les sages-femmes d’Etat, les agents de santé communautaires, les gestionnaires des hôpitaux et les infirmiers brevetés en professionnel.  Ils ont le niveau BEPC à Bac.

 

C’est connu, les élèves qui sortent des écoles privées de santé ont très souvent des difficultés à s’intégrer à la vie professionnelle. Sainte-Edwige a-t-elle une politique d’accompagnement ?  

 

La politique de Sainte-Edwige est inscrite dans sa devise qui est « conscience, compétence et succès ». Quand quelqu’un est conscient, il fait bien son travail, il devient compétent dans son domaine et va forcément réussir. Etant moi-même du domaine de la santé et ayant enseigné au moins 15 ans à l’Ecole nationale de santé publique, il y a des b.a.-ba de la formation sur lesquels je mets un point d’honneur. Je prends un exemple élémentaire, à savoir la ponctualité. On ne peut pas se permettre d’aller au travail à l’heure qu’on veut. Dans le domaine de la santé, si vous faites 5 mn de retard, vous pouvez trouver  à l’arrivée que le cas du patient s’est compliqué. Pour éviter cela, l’agent de santé doit être à l’heure à son poste. C’est pourquoi je ne tolère pas les retards. Nous sommes là pour sauver des vies et non pour augmenter le nombre de cadavres.

En tout cas, dans presque toutes les provinces du Burkina Faso, nos anciens étudiants occupent des postes de responsabilité.  Et ça, vous pouvez le vérifier.

 

Vu la renommée de votre école, accueillez-vous des étudiants d’autres nationalités ?

 

Nous en accueillons. Nous avons présentement des Béninois, des Tchadiens. Nous avons eu à former des Centrafricains, des Camerounais, des Ivoiriens et des Maliens. Nous avons reçu des étudiants de toute la sous-région pratiquement. 

 

Sainte-Edwige n’est-elle pas aujourd’hui confrontée à la concurrence avec le nombre pléthorique d’écoles de formation en santé ?

 

Quand personne ne vous imite dans votre domaine, c’est que ce n’est pas bon. Quand on vous imite, c’est la preuve que c’est bon. Mais il faut savoir prendre toujours le bon exemple. Les Chinois ont imité le Faso Dan fani du Burkina Faso et on voit la différence. Dans tous les cas, je ne vois aucun problème en la concurrence. Il faut juste bien faire ce que tu sais faire. J’ai été formée à former les infirmiers et les sages-femmes et ça, je sais bien le faire. Je m’y investis d’ailleurs. Dans tous les domaines, il y a la concurrence. Il faut ça pour que les meilleurs percent et que les médiocres disparaissent.

 

Mais il faut dire que dans le domaine de la santé, c’en est trop. Ces écoles qui s’ouvrent comme des boutiques…

 

Vous me provoquez là. Mais c’est une provocation à laquelle je ne vais pas répondre. Cette question vous devez la poser au ministre de la Santé ou à son secrétaire général et vous le savez bien. Vous voulez me pousser à parler, mais je ne parlerai pas. 

La concurrence existe dans tous les domaines. Même quand vous prenez les partis politiques, il y en a plein. Il faut ça pour que les meilleurs percent et que les médiocres disparaissent.

 

Sans vouloir vous pousser à bout, ne pensez-vous pas que l’Etat doit recadrer un peu l’ouverture de ces écoles ?

 

Voilà encore une question que vous devez poser au ministère de la Santé. Je ne peux pas répondre à sa place. Je sais que les écoles ont des cahiers de charges. Et moi je respecte les cahiers de charges. Seulement, est-ce que les autres les respectent ? Je ne saurai vous le dire. En tout cas, il y a une inspection technique qui est chargée de vérifier si les écoles respectent les cahiers de charges et de prendre des mesures. Moi, je m’investis à bien former mes élèves. Le reste, chacun fait son travail.

 

Depuis 2010, l’Organisation ouest-africaine de la santé (OOAS) a mis fin au recrutement direct des accoucheuses auxiliaires et infirmiers brevetés. Mais, contre toute attente, en 2015, il y avait des élèves béninois inscrits à l’Ecole nationale de santé publique. Quelle a été la réaction des promoteurs des écoles privées de santé ?

 

Vous, vraiment, vous êtes une provocatrice hein ! Je ne répondrai pas à cette question non plus. Je préfère garder mon analyse pour moi. A partir du moment où l’Ecole nationale de santé publique est une structure de l’Etat, c’est aux autorités sanitaires de répondre à cette question. C’est mieux pour vous d’aller là-bas pour avoir de plus amples informations. Nous avons appris la nouvelle comme vous et ça nous a intrigués aussi.

 

Mais les écoles privées de santé sont soumises à des règles nationales et communautaires…

 

Je viens de dire qu’il y a des cahiers de charges. Je viens de dire aussi que je ne peux pas vous dire si ce cahier de charges est respecté. Il faut d’abord respecter les textes au niveau national pour respecter ceux communautaires. Je ne saurais vraiment vous dire si les écoles privées répondent aux critères imposés par le cahier de charges parce que, si l’Etat a donné l’autorisation d’ouvrir, je me dis que le minimum y est. Seulement est-ce que l’Etat se donne la mission de vérifier ? Ça, c’est autre chose.

 

En tant que doyenne dans le domaine de la formation privée en santé, avez-vous des propositions pour une amélioration de la qualité de cette formation ?

 

Je pourrais en avoir. Parce que nous sommes là pour accompagner. Je pense que chaque Burkinabè est interpellé pour apporter sa pierre à la construction de la Nation. Une population en bonne santé permet au pays d’avancer. Mais si la population est malade ou mal soignée, ça retarde le développement du pays. A cet effet, je demande à l’Etat de nous accompagner en aidant les promoteurs des écoles privées à être en règle. Dans le domaine de la santé, on ne peut pas permettre que les choses se passent dans l’à-peu-près. Une vie humaine est une vie humaine. Soit tu sais t’en occuper, soit tu ne le sais pas. Mais ça ne saurait être de l’à-peu-près qui pourrait conduire à un pied sous terre ou à un handicap à vie. Alors, il faut imposer aux écoles le respect de la réglementation nationale. Il y a des textes, il faut les respecter ou, au besoin, les relire. Si tu as ouvert ton école, tu dois être en mesure de respecter les règles. Si non, que les sanctions suivent. Les autorités ont déjà fait un pas en imposant l’examen unique national et j’applaudis, mais l’arbre ne doit pas cacher la forêt.

 

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