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Procès putsch manqué : Quels sont ces noms que le parquet ne veut pas citer ?

Au  deuxième jour de son interrogatoire à la barre du tribunal militaire de Ouagadougou, le colonel-major Boureima Kiéré a été confronté à une série de messages qu’il aurait émis ou reçus de différentes personnalités dont des autorités militaires de l’armée ivoirienne. Le parquet militaire qui lui a lu successivement les retranscriptions des messages a choisi de ne pas révéler l’identité de certains émetteurs, pour ne pas mettre à mal les relations entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire. Ce procédé a été fustigé par les avocats des parties civiles pour qui tout doit être déballé pour la manifestation de la vérité. «Nous ne voulons pas de procès mouta-mouta », a conclu Me Séraphin Somé, de la partie civile. Quels sont alors ces noms que le parquet militaire ne veut pas citer ?

 

«Veuillez vous rasseoir, l’audience est reprise. Nous appelons à la barre le colonel-major Boureima Kiéré avec pour conseils la SCPA Themis-B et Me Michel Traoré. En rappel, vous êtes poursuivi pour des faits de complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat, de complicité de meurtre et de complicité de coups et blessures volontaires». Il était 9h05 et le tribunal venait ainsi de prendre place dans la salle d’audience. Dans la foulée, la parole a été donnée à Me Dieudonné Bonkoungou, un des avocats de l’accusé, pour ses questions et observations.

«Monsieur le président, comme on dit souvent, la nuit porte conseil, nous préférons, à ce stade, nous réserver en attendant notre tour de parole de manière générale », a indiqué l’avocat qui permettait de ce fait au procureur militaire de poursuivre avec ses questions.

«Mon colonel, le chef de corps adjoint a expliqué qu’il a été contacté par le général qui lui a demandé de sonner l’alerte et que vous l’avez contacté relativement à la même situation, est-ce que vous confirmez ou infirmez que c’est le général qui lui a dit de sonner l’alerte ? », a demandé, en guise d’introduction, le parquet militaire.

Avant de répondre, l’accusé a pris un bref instant pour présenter ses civilités aux différentes parties au procès avant d’indiquer que c’est effectivement les propos que le commandant Korogo lui a tenus en guise de compte rendu. Toutefois, il a laissé entendre que le général ne lui a pas confirmé cette instruction.

«Le général, dans son P.-V d’interrogatoire au fond, dit qu’il n’a jamais signifié au commandant Korogo de sonner l’alerte, qu’il s’agissait d’une simple rencontre », a fait observer le parquetier avant d’aborder l’étape de l’hôtel Laïco où l’accusé était dans la délégation de «Golf».

«Qu’est-ce qui vous a amené à vous joindre à cette délégation ? », a interrogé l’accusation. «Je me suis joint à cette délégation car c’était une réunion de médiation, une réunion de sortie de crise », a répondu le colonel-major. «Avez-vous été à Laïco sur instruction de la hiérarchie militaire ? », a ajouté le parquetier. «Non », a réagi le chef d’Etat-major particulier de la présidence du Faso au moment des faits. «Vous étiez dans la liste de la délégation du CND », a insisté la partie poursuivante. Le natif de Koumbia, après avoir répondu par la négative, a dit n’avoir pas eu connaissance d’une liste de membres du Conseil national de démocratie. Le ministère public qui n’en démordait pas a soutenu que des gens, au cours de cette rencontre, ont parlé au nom du CND et ont été présentés comme membres dudit conseil. «Non, monsieur le parquet, il a dû dire ses collaborateurs, il n’a pas été question de membres du CND. Moi, je suis allé parce que c’était une réunion de sortie de crise, je n’ai pas du tout été obligé », s’est justifié le quinquagénaire.

 

«Signer la déclaration CND ne fait-elle pas de vous un membre ? »

 

«Mon colonel, vous avez expliqué les difficultés que le RSP a connues en 2011 (mutinerie) et dit que c’est grâce à votre influence que vous avez pu ramener certains à la raison. Pourquoi vous n’avez pas mis cette influence à contribution cette fois-ci ?», a poursuivi le procureur militaire. Selon les propos du mis en cause, ce n’était pas les mêmes contextes : en 2011, il était question de primes de logements, de frais d’alimentation alors que les faits de septembre 2015 ont conduit à l’enlèvement des autorités de la Transition. Le décoré de la médaille d’honneur militaire et celle de commandeur de l’ordre national a reconnu qu’il était présent au bureau du chef de corps par intérim, le commandant Korogo, où il était question de l’amendement et de la désignation de la personne chargée de lire la proclamation du CND.

Il a, selon ses propos, assisté à la phase de désignation du lecteur mais a soutenu que la finalisation, l’amendement, n’a pas été faite devant lui. «Est-ce que le fait de signer la déclaration du CND ne fait pas de vous un membre de fait de ce conseil ?», a renchéri le procureur. «Non, cela a été fait dans un contexte général où la hiérarchie militaire a décidé d’accompagner le général pour le maintien de l’ordre. Mais ça ne veut pas dire que je suis membre du conseil », a répliqué l’officier supérieur.

Mais pour l’accusation, même si la hiérarchie militaire avait décidé d’accompagner le général pour le maintien de l’ordre, cela ne dédouane pas l’accusé car sa responsabilité pénale reste engagée. «Comme vous parlez d’aspect pénal, mes conseils vont répondre. Le général m’a instruit de signer et je me suis exécuté, je ne suis pas membre du conseil », a martelé le colonel-major qui a estimé que sa position vis-à-vis des événements n’a varié à aucun moment (opposition au putsch).

Interrogé sur la motivation principale des auteurs du coup de force, il a cité l’exclusion politique, le rapport sur la dissolution du RSP et la loi sur le personnel des armées. De ces trois motifs, il ne saurait identifier le principal grief car n’étant pas auteur du coup. «Pour moi, c’était la survie du RSP, pour les autres griefs, je ne me sentais pas concerné », a précisé le colonel-major.

 

«Les antagonismes entre clans au RSP se sont exacerbés sous la Transition»

 

«Dans le P.-V d’interrogatoire au fond vous concernant, vous avez répondu par l’affirmative par rapport à l’existence des clans au sein du RSP. Vous dites deux clans dont les antagonismes se sont exacerbés sous la Transition : le clan de Yacouba Isaac Zida et celui du général Diendéré. Vous précisiez que de manière résiduelle, il y avait les non-alignés et que les clans étaient alimentés par les jeux d’intérêt et l’argent qui était utilisé par chacun pour recruter le maximum », a indiqué le parquetier avant de demander à l’accusé s’il a un commentaire.

«Je vais faire des précisions monsieur le parquet : dans toute communauté, il y a des groupuscules, le RSP n’échappe pas à cela, c’est quand Zida est arrivé au pouvoir que les choses se sont accentuées et l’argent c’était lui qui l’utilisait pour recruter le maximum. Pour le général, c’était le plus gradé du corps mais je n’ai pas dit qu’il avait un clan, je sais qu’il y a ceux qui étaient pour la survie du corps », a explicité l’accusé qui entendait faire cette mise au point.

La réplique du procureur, elle, ne s’est pas fait attendre : «Mon colonel, je suis d’accord que dans tout groupe, il y a un sous-groupe, si vous prenez trois personnes, il peut y avoir deux qui s’accordent et elles isolent l’autre sauf que vous êtes en train de dire autre chose. Dans tous les cas, le tribunal va aviser». «Non, je n’ai pas donné une autre version monsieur le procureur», a fait savoir l’accusé.

«Selon les renseignements à votre disposition, est-ce qu’on vous a fait cas d’un coup en préparation à une date autre que le 16 septembre, mon colonel ? »,  a voulu savoir le ministère public. L’accusé, lui a signifié qu’ils recevaient tout le temps des alertes d’un réseau informel qui leur donnait des informations et que lui, il se référait au général Diendéré afin que des dispositions soient prises pour contrer ces velléités. Il ne sait d’ailleurs pas si ces alertes ont précipité les événements du 16 septembre. En réalité, dès le 12 septembre 2015, alors qu’il était hors de Ouagadougou, il a reçu un message d’une source faisant état de ce que des jeunes du RSP avec le colonel Yacouba Ouédraogo, ancien ministre des Sports, veulent chambouler la Transition.

Le parquet a poursuivi son interrogatoire en abordant, cette fois, le rapport d’expertise des téléphones. Des messages ont été lus sauf que, délibérément, les identités de certaines personnalités ivoiriennes ont été tues. Ce qui a suscité une observation de Me Prosper Farama, un des avocats des parties civiles : «Nous avons une préoccupation, nous avons remarqué que le procureur a donné l’identité de certaines personnes mais pas d’autres. Est-ce qu’il y a une raison juridique qui empêche qu’on nous donne ces noms afin que nous puissions réagir efficacement. Vous avez cité Boureima Ouédraogo du journal « Le Reporter », le « Courrier confidentiel » par rapport au message du 12 septembre, nous demandons au parquet de nous donner les autres noms ».

En guise de réponse, le procureur militaire a estimé que toutes les parties au procès disposent du même dossier qui contient le rapport d’expertise et qu’il n’a pas jugé nécessaire de citer nommément des autorités ivoiriennes de peur de «remuer le couteau dans la plaie » ou simplement de mettre davantage à mal les relations entre nos deux pays. Me Farama s’est alors voulu plus ferme : «D’un point de vue juridique, la justice ne peut pas s’occuper de questions politiques et diplomatiques, sinon on ne va rien dire ici.  Nous, nous ne voyons pas en quoi, cela peut influer sur nos relations, nous ne sommes pas là pour enfoncer un couteau dans une plaie mais si quelqu’un a posé un acte, qu’il assume et d’ailleurs l’amitié, ce n’est pas ça ! On ne doit pas venir soutenir un coup d’Etat où des gens ont été tués ».

Son confrère Me Séraphin Somé, lui, est inquiet car «on est en train de couvrir cette audience d’une suspicion terrible». Il n’exclut pas le fait que la partie civile ait l’entier dossier mais qu’ « on ne doit pas être dans un jeu de cache-cache, d’autant plus qu’il s’agit d’un procès public ». «Lorsque le général Bassolé viendra à la barre, qu’en sera-t-il ? Vous pouvez ordonner le huis clos mais nous ne voulons pas d’un procès mouta-mouta », a-t-il soutenu.

Avocat de la défense, Me Dieudonné Bonkoungou, lui,  est très étonné de cette «réaction tardive de la partie civile». «C’est maintenant que vous vous réveillez de votre léthargie ? C’est maintenant que vous voyez qu’il y a un procès mouta-mouta ? Je crois que toutes les parties ont les pièces, chacun aura la parole, donc pourra citer les noms qu’il lui plaira mais je ne pense pas que cela puisse constituer un incident, sauf à nous rejoindre sur des aspects que nous avons décriés depuis le début du procès», a-t-il déclaré.

Et Me Maria Mireille Barry d’ajouter : «Je m’attendais à ce que cette question soit mentionnée dès le départ. On cite le ‘’Courrier confidentiel’’, ‘’Le Reporter’’ mais on cache certains noms, c’est une suite, cela a commencé depuis la lecture du P.-V de Zida. Si je dois utiliser un message dans le cadre de la défense de mon client, je le ferai. Nous avons dit que les messages évoqués sont des manipulations, si on les a envoyés devant la barre, c’est pour accréditer des thèses, je suis désolé mais  nous allons les évoquer ». Le parquet militaire qui s’était auparavant concerté sur la question, a dit s’en remettre à la sagesse du tribunal, conduisant le président Seidou Ouédraogo à suspendre l’audience à 11h05.

Une vingtaine de minutes plus tard, le président de la chambre de première instance du tribunal militaire de Ouagadougou réapparaissait avec les autres membres de sa juridiction, avec une position tranchée. «Nous avons écouté les différentes parties. Il faut relever que le siège (ndlr : les membres de la juridiction) ne doit pas interférer dans la manière dont le parquet militaire présente les éléments à charge contre les accusés. Cela lui est loisible. Maintenant, si le tribunal constate que le secret-défense est en cause, nous allons réagir », a-t-il fait savoir tout en permettant au procureur militaire de poursuivre avec ces questions et observations.

L’interrogatoire du colonel-major Boureima Kiéré se poursuit ce matin, 14 novembre 2018.

 

San Evariste Barro

Aboubacar Dermé

 

Encadré 1

Des soldats roulaient des véhicules de 15 millions

 

Répondant à une question en rapport avec ses déclarations : «les clans étaient entretenus par des jeux d’intérêt et l’argent… », le colonel-major Boureima Kiéré a indiqué que c’est le Premier ministre d’alors qui utilisait énormément d’argent pour le recrutement des soldats.  Il a ainsi confessé que  Yacouba Isaac Zida donnait de fortes sommes à des soldats, raison pour laquelle certains avaient dans leurs comptes bancaires 16 millions de francs CFA ou circulaient avec des véhicules de 15 millions de francs CFA. A la question de savoir  ce qu’il a fait pour mettre de l’ordre face à cette situation voici sa réponse : «Il y a un rapport qui a été transmis à l’état-major de l’armée de terre mais jusque-là, rien n’a été fait, la hiérarchie n’a pas réagi mais en tout cas, des éléments ont tiré sur nous au camp ».

 

A.D.

 

Encadré 2

«Moi, demander de l’argent au général pour aller manger du porco ! »

 

Le procureur militaire  a débuté la lecture de la série de messages reçus ou émis par le major Kiéré. Le message qu’il a envoyé au général Diendéré, «Golf » le 12 septembre 2015, à 11h 00 mn 07 s disait ceci : «Bonjour… il y a Boureima de Reporter et Courrier confidentiel (ndlr : Boureima Ouédraogo) qui dit que des jeunes du RSP et le colonel Yacouba Ouédraogo veulent chambouler la Transition ». Le second message précise : «Ils ont plein de sujets sur le RSP, si possible, trouvez-moi des moyens je vais les amener devant bière et porc au four pour soutirer des informations sur les noms ». Un autre sms : «suivez au moins s’il n’y a pas d’organisation bizarre par rapport à l’arrivée du vieux ce soir », le parquetier a précisé que le vieux désigne le président Michel Kafando qui rentrait de Dakar. Contenu d’un autre message : «Il paraît que c’est un certain Nion, Rambo, qu’ils travaillent avec la RCI ». Des sms qui n’ont pas manqué de susciter une réaction de l’accusé : «Ce sont des messages qu’on m’a transférés. Si c’est  moi qui les avais envoyés, je n’allais pas dire un certain Nion, Rambo, ni demander au général Diendéré de l’argent pour aller manger du porco (ndlr : porc au four) et boire la bière, j’ai reçu ces messages d’un informateur ». Ambiance !!!

 

A.D.

 

Encadré 3

«A la tombée de la nuit, coupez l’électricité… »

 

Poursuivant la lecture des retranscriptions de la centaine de messages, le ministère public a déclaré que «Golf épouse» (Fatoumata Diendéré) a envoyé un message au colonel qui disait ceci : «J’ai besoin de vous pour régler le problème de technicien à la télé ». Le message signé du Dr Daouda Zouré, lui, laissait voir : «Mon frère, mon soutien, tenez bon ». Le même émetteur revient peu après en ces termes : «Obtenu soutien Balai de Bobo pour vous».

Un message venu de la CI (officier général) indique : «Demande au grand frère d’entrer en contact avec moi d’urgence». Message du colonel vers un numéro ivoirien : «Bonjour mon frère, la mission est en route, je te rappelle dès qu’ils seront à Banfora ». Deux messages d’un numéro ivoirien au colonel : « On raconte que des éléments du RSP auraient arrêté les ambassadeurs de la France et USA, c’est vrai ? Ok, prenez toutes les dispositions pour contrôler le sud, surtout le sud, c’est le ventre mou du dispositif, il faut verrouiller tout le sud, sinon ça va être compliqué ».

Autre sms venant de la CI : «A la tombée de la nuit, coupez l’électricité » et un autre de préciser : «Postez une arme puissante à chaque entrée et faites deux ou trois détonations, coupez les communications téléphoniques ».

Alors que le général Diendéré avait remis le pouvoir aux autorités de la Transition, un message du général Vagondo Diomandé au colonel : «On envisage l’arrestation du général après le départ des chefs d’Etat ». 

 

Rassemblé par A.D.

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