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Procès putsch manqué : « Même le CEMGA est resté jusqu’au 21 septembre avec Diendéré » (Colonel-major Boureima Kiéré)

Lors de son troisième jour d’audition, l’ancien chef d’état-major particulier de la présidence du Faso, le colonel-major Boureima Kiéré, a reconnu avoir « accompagné le coup d’Etat de septembre 2015 mais dans un contexte particulier ». Un contexte marqué, selon lui, par les errements de la hiérarchie militaire qui n’a pas clairement tranché contre le putsch. Pour preuve il a déclaré que « même le CEMGA est resté jusqu’au 21 septembre 2015 avec Diendéré ».

 

 

 

Poursuivi pour complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat, meurtres, coups et blessures volontaires, le colonel-major Boureima Kiéré n’en finit pas de recharger son arme favorite à ce procès : cibler les hauts gradés de l’armée qu’il accuse d’avoir manqué de fermeté envers les putschistes. Face à presque toutes les questions de la partie civile, il expliquait en effet ses actions aux côtés du général Diendéré par l’absence de ligne claire fixée par le commandement. A titre personnel, n’a-t-il cessé de répéter, il était contre l’arrêt brutal du régime de la Transition.

« Lorsque vous avez lu la déclaration (Ndlr : celle annonçant le putsch) à la CRAD (Ndlr : commission de réflexion et d’aide à la décision), vous saviez clairement que c’était un coup d’Etat. Pourquoi avoir continué d’accompagner les auteurs dans cet élan ? », a demandé Me Awa Sawadogo de la partie civile au natif de Koumbia dans le Tuy en début d’audience. Et ce dernier de se défendre en ces termes : « C’était dans le cadre d’une réunion militaire et sur instruction du général Diendéré que j’ai lu le communiqué. Le général a dit qu’il assumait et la hiérarchie s’est engagée à l’accompagner avec le maintien de l’ordre. Dans ce contexte, on ne pouvait pas s’opposer directement au coup d’Etat ». 

Son interrogatrice a alors voulu savoir pourquoi le choix s’est porté sur sa personne pour porter à la connaissance des membres de la CRAD le contenu de la déclaration. « Je ne pense pas qu’il y ait une raison particulière », a répondu le quinquagénaire qui a  dit  également ignorer qui était à l’origine de l’acte fondateur du CND. « Je n’ai pas non plus posé la question au général Diendéré », a ajouté l’officier supérieur lorsque l’avocate est revenue à la charge.

Interrogé par Me Pierre Yanogo sur ses liens de subordination, l’accusé a indiqué qu’il relevait hiérarchiquement du chef d’état-major général des armées (CEMGA). « Pourquoi, alors que le CEMGA a dit qu’il n’assumait pas le putsch, vous avez obéi aux ordres du général Diendéré de qui vous ne releviez pas ? », a renchéri le conseil des parties civiles. « Ce n’est pas un refus catégorique, une position tranchée. S’il dit être contre le coup d’Etat, il n’y a pas de raison qu’il accompagne pour le maintien de l’ordre », a répondu le colonel-major. Me Yanogo a alors lu un extrait d’audition du chef d’état-major général des armées au moment des faits, le général Pingrenoma Zagré, qui indique que la hiérarchie a fermement demandé à Golf de renoncer à son entreprise qui rame à contre-courant des efforts pour dépolitiser l’armée. Mais l’accusé n’en démord pas : « On ne peut toujours pas dire que la position est claire », a-t-il réagi.

« Quand on vous écoute, il y a de deux volets : la hiérarchie dit qu’elle est contre mais qu’elle va accompagner avec le maintien de l’ordre. Mais quand vous lisez une déclaration qui fait du général Diendéré le Président, ça entre dans le cadre du putsch ou bien du maintien de l’ordre ? », a de nouveau questionné l’homme en robe noire. Pour l’ex-chef d’état-major particulier de la présidence du Faso, « tout est lié ». Et, soutient-il, même le maintien de l’ordre participe à la consolidation du pronunciamiento. Comme le commandant Abdoul Aziz Korogo, il  assure avoir servi de médiateur entre les auteurs du coup d’Etat et le haut commandement. Une assertion que réfute Me Yanogo : « Entre le 16 et le 21 septembre, vous n’avez pas été médiateur. Vous étiez une partie de l’affaire puisque vous étiez dans le cortège de Diendéré et exécutiez ses instructions ». Réponse de l’accusé : « Même le CEMGA est resté jusqu’au 21 avec Diendéré ».

Selon lui, c’est uniquement à cette date qu’il a compris que l’armée s’opposait au coup de force lorsque le général Pingrenoma Zagré l’a instruit d’aller voir le cerveau présumé du putsch pour le convaincre de rendre le tablier.

Pour fragiliser le principal argument de celui qui était aussi membre de la CRAD, Me Séraphin Somé a énuméré, pêle-mêle, des actes qu’il a commis durant les événements en lui demandant s’il pensait qu’il s’agissait là d’un accompagnement du putsch. Sa lecture, devant le CRAD, du communiqué, la mission qu’il a instruite à la frontière ivoirienne, le fait qu’il était de la délégation de Golf qui est allée rencontrer les chefs d’Etat de la CEDEAO ont, entre autres, fait l’objet d’une réponse négative. Par contre le décoré de la médaille d’honneur militaire a estimé que sa signature apposée sur le document  proclamant le général Diendéré président du CND s’apparente à un accompagnement du putsch.

Me Somé pour qui cet aveu constitue une avancée en a tiré cette conclusion : « Mais c’est suffisant pour justifier pourquoi on vous poursuit pour complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat ».  Et le mis en cause de tempérer : « Je vous ai expliqué le contexte et on doit prendre en compte cette situation ».

A la suite de cet échange avec le conseil de la partie civile, son avocate, Me Maria Mireille Barry, a demandé une suspension de 10 minutes.

A la reprise, Me Prosper Farama s’est saisi du micro pour dresser le portrait qu’il fait de l’accusé : « Je sens en vous quelqu’un pétri de certaines valeurs dont le sens de  l’honnêteté. La seule chose qui me gêne, c’est le manque de fermeté », a-t-il relevé. Prenant aux mots l’officier, qui affirme avoir accompagné le coup au même titre que les chefs militaires, Me Farama a estimé que « même si la hiérarchie n’est pas poursuivie, cela n’interdit pas que vous, on vous sanctionne ». Et de s’attarder sur la mirobolante somme de 160 millions de francs CFA que le colonel-major a reçue des mains de Diendéré. « Est-ce que vous étiez trésorier ? Est-ce que vous étiez caissier ? ».

Sentant le haut gradé agacé, Me Farama a dit comprendre pourquoi l’accusé pouvait être blessé par ces interrogations. « Mais moi, ça ne me choque pas, ce sont des fonds privés. Si un jour vous-même, Me Farama, vous me donnez de l’argent à garder, je vais le prendre », a-t-il répliqué. Et Me Farama de réagir : « Merci, mais ça va m’étonner qu’un jour j’ai 160 millions à vous confier ». Réponse de l’accusé : « Que Dieu vous en donne plus ».

L’audition du colonel-major se poursuivra le vendredi 16 novembre 2018 à la salle des Banquets de Ouaga 2000.

 

San Evariste Barro

Hugues Richard Sama

 

 

Encadré 1

« Pourquoi la hiérarchie n’est pas là ? »

 

Au fil de l’audition du colonel-major Kiéré, le rôle joué par la hiérarchie militaire durant le putsch apparaît de plus en plus trouble aux yeux de certains acteurs du procès. Pour Me Farama, si d’aventure les propos de l’ex-chef d’état-major particulier venaient à être confirmés, « ce que le CEMGA a fait serait grave ». Dans cette éventualité, la hiérarchie militaire serait ni plus ni moins qu’une complice du coup d’Etat et c’est au tribunal à ce moment d’apprécier. Avocat du général Diendéré, Me Olivier Yelkouny s’étonne d’ailleurs que les hauts gradés de l’armée ne soient pas sur le banc des accusés au même titre que les autres.

 

H.R.S.

 

Encadré 2

Le coup d’Etat le plus étrange du monde

 

Après le coup d’Etat le plus bête du monde, voici le coup d’Etat le plus étrange du monde. L’expression est de Me Prosper Farama qui note des étrangéités que révèle l’interrogatoire des accusés : « des auteurs (du putsch) qui sont à la fois médiateurs, la hiérarchie militaire qui fait des honneurs aux putschistes, des personnes qui jouent un double, voire un triple jeu ». Surtout il pointe le fait que, depuis le début du procès, tous les accusés, du soldat du rang aux officiers en passant par les sous-officiers, ont affirmé avoir reçu et exécuté des ordres. Tout en espérant que les derniers à passer à la barre choisiront une autre ligne de défense, il se désole que, pour l’heure, on ne sache pas qui est le donneur d’ordres. Finalement, c’est un « coup d’Etat fantôme, un coup d’Etat étrange », s’est-il exclamé.

 

Encadré 3

Un téléphone hypersensible

 

Des échanges entre Me Pierre Yanogo et l’accusé il est ressorti que, pendant le putsch, le colonel-major a envoyé par SMS à trois reprises une liste de militaires à un soldat prénommé N’Do. Selon le conseil, il s’agissait principalement de noms d’officiers, notamment des membres de la CRAD. Interrogé sur le sujet, Boureima Kiéré a soutenu que c’était « une erreur de manipulation ». Selon lui, il avait mémorisé ses noms pour pouvoir appeler les intéressés en cas de besoin.

Une explication qui n’a pas convaincu Me Yanogo qui a fait remarquer que « l’erreur de manipulation », s’est produite à trois reprises et pour des listes chaque fois différentes. « Si c’était la même liste, on pouvait comprendre », a-t-il jugé. Et de poursuivre : « Si ce sont des gens à éliminer, il faut le dire, si ce sont des gens pour qui il fallait prier, il faut le dire aussi ». « Pas du tout »,  a réagi le mis en cause.

 

H.R.S.

 

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