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Santé sexuelle et de la reproduction des jeunes : Et si on s’achetait un condom à l’école comme à la boutique ?

 

Il est reconnu de nos jours que l’école, lieu de culture par excellence, constitue aussi un endroit privilégié d’information et d’éducation à la santé de la reproduction et à la santé en général. A cet effet de nombreux acteurs de la santé préconisent l’intégration des services de santé sexuelle et de la reproduction des adolescents et jeunes aux centres médicaux, en l’occurrence ceux scolaires. Ces services sont-ils disponibles dans les infirmeries des écoles du Burkina  pour celles qui en sont dotées ? Les élèves peuvent-ils se présenter librement dans ces centres et demander un produit de santé sexuelle ou de la reproduction comme, par exemple, le condom, la pilule ou le stérilet? Les coûts des produits leur sont-ils accessibles ? Consultation à l’infirmerie du lycée Marien N’Gouabi de Ouagadougou et au Centre pour jeunes de Manga. 

11h environ au lycée Marien N’Gouabi de Ouagadougou, le vendredi 9 novembre 2018. Le temps de la récréation passé, la plupart des élèves ont rejoint les classes. Mais sous le gros arbre du parking, debout ou assis sur des motos, par affinités, devisent quelques-uns. Certains ont fini leurs cours de la mi-journée,  d’autres scrutent l’arrivée d’un professeur qui traine les pieds.

 

A l’infirmerie du lycée, juste à l’entrée de l’établissement à gauche attendent pour consulter deux jeunes filles assises sur un long banc. Renseignement pris, l’une a accompagné l’autre voir l’infirmière pour des maux d’yeux. Arrive-t-il que les élèves se réfèrent à l’infirmerie de leur école pour des services de santé sexuelle et de la reproduction ? En termes simples, comme nous l’avons demandé à un groupe d’élèves, est-ce qu’il leur arrive, par exemple de passer à l’infirmerie s’acheter soit un condom pour les garçons ou une pilule du lendemain pour les filles ? C’est à peine si nos interlocuteurs n’ont pas crié au sacrilège !

 

«Hiyé ! Moi, à l’infirmerie, dire que je veux une pilule ?», s’est estomaquée Marina Carole Ouédraogo, 18 ans, élève de 2nd A2.  Moment de silence suivi d’un remuement de tête: «Wayi, je ne peux pas».

 

 

 

«Je préfèrerais la honte de l’achat de la pilule à celle de la grossesse»

 

 

 

Pour cette jeune fille, le sujet est assez délicat pour qu’elle en parle publiquement puisque, a-t-elle relevé, c’est sûr qu’à l’infirmerie elle trouvera des camarades qui vont la regarder certainement d’un mauvais œil.  «Je trouve que c’est honteux. Quoi qu’on dise, tout sujet qui touche à la sexualité reste  tabou et je ne peux pas me présenter comme ça dire que je veux une pilule»,  a-t-elle confié avant de faire des propositions : «Il faut essayer peut-être de former les jeunes à ne pas avoir honte, c’est une barrière psychologique sur laquelle il faudra jouer pour que les filles par exemple n’aient plus honte de demander ce genre de services afin d’éviter les grossesses en étant à l’école. Mais si c’est à choisir, je préfère la honte de l’achat de la pilule à celle de la grossesse».

 

Nouridine Ouédraogo est de la même classe. Lui non plus ne se voit pas « dans ça » : «Non, je ne l’ai pas encore fait même si je pense qu’il est normal de se protéger pour éviter certaines maladies et les grossesses non désirées ».

 

A-t-il une fois voulu s’acheter un condom à l’infirmerie de l’école et ce n’était pas disponible ? : «Non.  Je trouve que l’école n’est pas un bon cadre où acheter des préservatifs. Nous sommes là pour étudier et non pour ce genre de choses. C’est vrai, chacun a sa façon d’être mais en tout cas, à l’école, moi, je me sentirais gêné. Si c’est pour demander des conseils pour éviter les maladies ou les grossesses indésirées, je ne dis pas non», a-

 

t-il répondu.

 

Selon l’infirmière de l’établissement, Zourata Sawadogo, l’offre de services de santé sexuelle et de la reproduction n’est pas effective parce que le besoin n’est pas exprimé. «Il arrive que des élèves, suite à des activités de sensibilisation à la santé sexuelle et de la reproduction, viennent nous voir pour demander des éclaircissements sur certains sujets. Mais c’est rare qu’ils nous demandent des méthodes contraceptives, et s’il arrive qu’ils nous demandent ce genre de services, on les réfère dans les centres dédiés aux jeunes comme celui de l’ABBEF. En 6 ans de carrière dont 3 ans passés à l’infirmerie du lycée Zinda, je n’ai jamais fait ce genre de prestation », a t-elle indiqué.

 

Dommage quand on sait que l’intégration des services de santé de la reproduction au milieu scolaire demeure une opportunité pour palier le manque d’information des élèves sur la santé de la reproduction. Et le manque d’informations sur les conséquences d’une sexualité précoce et irresponsable induit les problèmes de santé auxquels les adolescent(e)s sont très souvent confrontés, à savoir les infections sexuellement transmissibles, le VIH, les grossesses précoces et/ou non désirées qui conduisent souvent à des avortements clandestins.

 

Ces conséquences, faut-il encore le relever, constituent un frein à la scolarisation et au maintien des jeunes à l’école, donc un frein au développement.

 

 

 

Doter les centres médicaux scolaires de moyens

 

 

 

Ne serait-il pas donc judicieux de donner les moyens aux centres médicaux scolaires pour ce genre de prestations ? « Si les intrants  sont disponibles et que les élèves nous en demandent, on ne peut pas refuser. Mais je crains même qu’on ne puisse pas faire certaines prestations comme placer un stérilet parce que le cadre n’est pas approprié. Voyez vous- même (elle est assise dans une salle exiguë qui lui sert de bureau et en même temps de salle de consultation. Le plastique du lit d’examen déchiré laisse apercevoir un vieux matelas : ndlr), je suis seule, et c’est l’unique salle de consultation que nous avons alors que pour faire ça les filles ont honte, elles ne veulent pas que les autres les voient en train de le faire. Donc ça va être difficile si on ne nous accompagne pas tant en ressources humaines que matérielles », a confié Mme Sawadogo.  

 

Autre lieu même mœurs. Manga, la cité de l’épervier. Ce lundi 12 novembre, la ville est en plein chantier avec les travaux de construction du 11-Décembre. Manga se fait belle pour accueillir les festivités de la fête de l’indépendance de notre pays. A notre arrivée sur les lieux aux environs de 11h45, l’envie nous prend de nous connecter via le téléphone portable pour voir l’actualité du net. Une information bouleversante nous accueille. «64 filles enceintées dans le cadre des travaux du 11-Décembre à Manga :», venait en effet de publier un internaute. Vrai ou faux ? Difficile pour nous de vérifier une telle information. Mais selon certaines personnes sur place dont un professeur, un ouvrier aurait enceinté, à lui seul, sept filles de la localité et l’affaire serait même en justice.

 

C’est dire que le problème des grossesses non désirées se pose avec acuité dans le chef-lieu du Centre-Sud. Selon les données de la Direction provinciale de la Femme, de la Solidarité nationale et de la Famille (DPFSNF) de Manga, 14 cas de grossesses non désirées (GND) ont été traités en 2016 contre 17 en 2017. Et dire que ces chiffres ne  concernent que des cas litigieux dont les auteurs dénoncés par les filles refusent de s’assumer ; l’affaire est alors souvent réglée en justice. Il y a lieu de se poser certaines questions : qu’est-ce qui est fait pour soigner cette entorse à l’éducation des jeunes et adolescent(e)s ?

 

Que font les victimes, c’est-à dire les filles surtout, pour ne plus se laisser prendre au piège des GND et /ou précoces ?

 

En effet, plusieurs possibilités sont aujourd’hui offertes aux adolescents et jeunes pour prévenir les GND. Mais encore faut-il que ces méthodes soient accessibles et que les principaux concernés y adhèrent.

 

 

 

Six jeunes fréquentent par jour le centre pour jeunes de Manga

 

 

 

Il est 12h30 au Centre médical avec antenne chirurgicale  (CMA) de Manga pendant que nous méditions toujours sur la question. L’établissement hospitalier abrite également un centre pour jeunes, mais à notre arrivée, la responsable avait déjà regagné son domicile. Alors que nous prenons des renseignements avec la sage-femme de permanence à la maternité du CMA afin de la joindre, arrivent deux jeunes filles, des élèves, à en juger par leur tenue et aussi leurs sacs à dos. Elles prennent place sur le banc de consultation pendant que nous discutons avec la sage-femme. Quand cette dernière eut fini avec nous, elle les invita à entrer tour à tour dans une salle à côté. Nous patientons dehors. Quelques minutes plus tard, les deux jeunes filles, sortent. Qu’est-ce qui justifie leur présence à la maternité ? Elles se regardent et nous comprenons qu’il faut plus de tact pour leur faire parler. Nous nous présentons alors comme une journaliste faisant un travail de terrain pour contribuer à la lutte contre les grossesses en milieu scolaire, qui constituent une entrave à l’éducation des jeunes filles. Suffisant pour que les langues commencent  à se délier : «Il y a un an, suite à des activités de sensibilisation aux grossesses dans notre école, nous étions venues mettre le Norplant (méthode contraceptive qui assure une protection contre la grossesse pendant au moins 5 ans) mais depuis ce temps je suis devenue maladive et je veux l’enlever maintenant», a confié N. K., 20 ans, élève en classe de 3e au lycée Nouvelle vision.

 

Même plainte chez sa camarade, A. B., du même âge, élève, elle, du lycée privé les Bâtisseurs : «Chez moi quand les règles viennent, ça coule sans cesse et mon cycle est devenu irrégulier».

 

Et la sage-femme est d’accord pour vous retirer vos implants ? «Oui, elle nous a remis une ordonnance de compresses et gants à acheter pour qu’elle le fasse», répond l’une d’entre elle. Mais savent-elles seulement les risques énormes qu’elles courent en se débarrassant de leur contraceptif, d’autant plus que toutes deux disent avoir des copains ? Relançons-nous. « Oui », nous ont-elles répondu, promettant de faire attention. « Nous allons rester fidèle à un seul homme et utiliser le préservatif », dit A.  

 

Selon la sage-femme qui a requis l’anonymat car n’ayant pas reçu une autorisation de ses responsables pour nous parler, ils sont nombreux, les élèves qui viennent demander des services de contraception. Mais, c’est exceptionnellement, notamment quand le Centre pour jeunes est fermé,  comme c’est le cas au moment de notre passage, qu’ils s’adressent à la maternité. «C’est au Centre pour jeunes qu’ils se sentent bien et ils vont là-bas, ils disent par exemple que chez nous, il y a beaucoup de tanties qu’elles ne souhaitent pas rencontrer», nous a t-elle confié.

 

Des propos qui seront confirmés plus tard par Aguiratou Zoundi, sage-femme d’Etat en service au Centre pour jeunes. A l’en croire, en effet, le centre offre aux jeunes et adolescents des prestations gratuites de planification familiale et de consultation prénatale (CPN). En moyenne 5 à 6 jeunes sont reçus par jour avec une dominance  des filles.

 

 

 

Alima Séogo Koanda

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Encadré

 

 

 

Quelques prescriptions de la loi sur la Santé de la reproduction (SR)

 

 

 

Depuis 2005, le Burkina Faso dispose d’une loi sur la santé de la reproduction. Voici quelques extraits.

 

 

 

Article 2

 

 

 

La Santé de la reproduction est l’état de bien être général tant physique, mental, moral que social de la personne humaine pour tout ce qui concerne l’appareil génital, ses fonctions et son fonctionnement.

 

 

 

Article 6

 

Les prestations de service de santé en matière de reproduction sont constituées par l’ensemble des méthodes et techniques qui contribuent à la santé et au bien être en matière de procréation

 

 

 

Article 8 

 

 

 

Tous les individus, y compris les adolescents et les enfants sont égaux en droit et en dignité en matière de SR. Le droit à la SR est un droit fondamental garanti à tout être humain tout au long de sa vie, en toute situation et en tout lieu.

 

Aucun individu ne peut être privé de ce droit dont il bénéficie sans discrimination aucune fondée sur l’âge, le sexe, la fortune, la religion, l’ethnie, la situation matrimoniale ou sur toute autre considération

 

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