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Procès putsch manqué : « Je n’étais que le conseiller de Macky Sall » (Ex-bâtonnier, Mamadou Traoré)

Après cinq jours d’audience, l’audition du colonel-major Boureima Kiéré s’est achevée hier, 21 novembre 2018, dans la salle des banquets de Ouaga 2000 par les observations finales de ses avocats, lesquels ont plaidé que les faits reprochés à leur client n’étaient pas constitués. Lui a succédé à la barre l’ancien bâtonnier Mamadou Traoré, poursuivi pour trois infractions.

 

 

 

Un avocat confronté à la justice et à ses pairs. Ancien bâtonnier (2012-2015) de l’Ordre des avocats du Burkina Faso, Me Mamadou Traoré, 59 ans, doit répondre des faits de complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat, meurtres, coups et blessures volontaires. Divorcé et père de deux enfants, celui qui se présente au moment des faits comme un conseiller du président sénégalais Macky Sall, dépêché à l’époque pour tenter de résoudre la crise, a nié les chefs d’accusation qui pèsent sur lui avant d’exposer son emploi du temps le 16 septembre 2015 et jours suivants

« Dans la journée du 16, j’étais à mon cabinet où je préparais une importante rencontre du Barreau. J’ai quitté le bureau vers 15h - 15h 30. Vers 18h, ma collaboratrice m’a appelé pour m’informer qu’il y avait des mouvements en ville et que cela était sans doute dû à des problèmes au Conseil des ministres », a-t-il débuté. Selon le récit de l’officier de l’ordre national, vers 22h, il a reçu un appel de son client, Macky Sall, président en exercice de la CEDEAO. Le chef de l’Etat sénégalais lui indiquait avoir appris des nouvelles inquiétantes sur la situation qui prévalait au Burkina. « Il m’a dit que comme je connais beaucoup de monde, d’essayer d’entrer en contact avec le général Diendéré pour lui demander de faire tout ce qui était en son pouvoir pour aider à résorber la crise et de veiller à ce que rien n’arrive à son homologue, Michel Kafando, qu’il n’arrivait pas à contacter ».

Le mandaté affirme dès lors avoir essayé d’entrer en contact avec le cerveau présumé du putsch, que ce soit par appels ou par SMS sans grand succès. Finalement, a expliqué l’auxiliaire de justice, le général réagira plus tard, pour l’informer qu’il se trouvait au camp Naaba Koom II et qu’il pouvait l’y rejoindre. « Je suis arrivé au camp vers 22h 30 - 23h. J’ai attendu longuement dans une pièce, puis je suis sorti dans la cour. J’ai vu arriver le colonel Yonaba (Ndlr : Saïdou Yonaba, médecin personnel de l’ancien président de la Transition). Il était au téléphone et je l’ai entendu dire : « Le vieux, ça va » J’ai compris qu’il parlait de Michel Kafando. Quelque temps après, le général Gilbert Diendéré est venu, il s’est excusé, m’expliquant qu’il avait une rencontre. Je lui ai passé le message du président Macky Sall et je suis rentré chez moi aux alentours de minuit », a relaté l’accusé qui bénéficie depuis le 6 juin 2016 d’une liberté provisoire.

Le 17 septembre, l’ancien bâtonnier a déclaré s’être rendu très tôt le matin à un « doua » vers le marché de Sankar-yaar. Revenu à son domicile, il a vu comme tous les Burkinabè par le petit écran la proclamation de prise de pouvoir du CND. Alors qu’il s’apprêtait à joindre Macky Sall, il a reçu un appel de la présidence sénégalaise. Le président en exercice de la CEDEAO l’informait qu’il serait au Burkina le lendemain dans le cadre de la médiation.

Selon l’avocat, il se trouve que pendant ces journées d’incertitudes il avait des clients qui étaient bloqués à Ouagadougou du fait de la fermeture de l’espace aérien. Il a alors entrepris de demander l’aide du chef présumé des putschistes : « J’ai appelé Diendéré et je me suis rendu au palais pour lui exposer le problème. Il m’a assuré que la mesure serait levée et m’a conseillé d’entrer en contact avec le directeur du protocole de la présidence ».  D’après le mis en cause, il a décidé de se rendre à Laïco où a lieu la médiation parce qu’il était sûr d’y trouver le directeur du protocole. Il a pu effectivement, selon ses dires, entrer en contact avec ce dernier qui lui a remis le numéro du directeur de l’Aviation civile. Et c’est pendant qu’il était en train de faire la demande d’autorisation de vol pour ses clients qu’il a été apostrophé par un homme qui l’informait qu’il était demandé par le président Sall.

Le natif de Bobo-Dioulasso a raconté ensuite avoir été introduit dans la suite du dirigeant sénégalais. « Il m’a expliqué la gravité de la situation et souhaité que j’aille faire parvenir un message au général Diendéré sur, entre autres, la nécessité de reconduire le processus de Transition», a narré Mamadou Traoré qui a ajouté être de nouveau allé à la présidence pour livrer au destinataire le message du numéro un sénégalais.

Le 19 septembre au soir, l’ex-bâtonnier, considérant que la médiation était sûrement à sa fin, s’est rendu à Laïco pour « dire au revoir » à Macky Sall. Selon l’accusé, c’est pendant ses échanges avec le chef d’Etat qu’il a reçu un appel de Golf, l’informant qu’il souhaitait s’entretenir une nouvelle fois avec Macky Sall. D’après Mamadou Traoré, le général est arrivé ensuite sur place où il a eu un entretien avec les médiateurs de la CEDEAO qui lui ont rappelé leur position qui s’articule autour du retour de la Transition. Après cette discussion qui, selon l’accusé, a été « longue et précise », son client lui a demandé quel conseil il pouvait lui donner. Il a alors fait au président sénégalais deux propositions : une aide financière aux blessés et une visite aux soldats du RSP pour leur expliquer les impératifs démocratiques.

« Que saviez-vous de la déclaration du CND ? », a interrogé à la fin  de ce récit fait avec une voix assurée, le président du tribunal, Seydou Ouédraogo. « Absolument rien ! », a répondu l’avocat. « Aviez-vous lu ou amendé le projet de déclaration ? », est revenu à la charge le juge. « Pas du tout Monsieur le président »,  a-t-il de nouveau réfuté.

« Pourquoi le président Macky Sall se sentait obligé de passer par vous pour échanger avec Diendéré ? » A cette question du parquet, l’ancien bâtonnier a expliqué que du fait de sa qualité d’avocat il était au-dessus des parties et pouvait être utile, du fait de sa connaissance des réalités locales, au médiateur qu’était Macky Sall.

Pour mettre à mal sa défense, le ministère public a lu des extraits de P-V d’audition d’autres accusés qui tendent à montrer que l’avocat avait plutôt un parti pris. D’abord, le général Gilbert Diendéré qui a affirmé aux enquêteurs que Mamadou Traoré faisait partie de sa délégation qui a rencontré les chefs d’Etat de la CEDEAO à Laïco. Une assertion que dément l’accusé. Pour lui, c’est parce qu’il  servait d’élément de liaison entre Macky Sall et Diendéré que ce dernier lui a demandé d’être là lors de la rencontre à Laïco, alors que, a-t-il maintenu, « moi j’étais avec Macky Sall ».

Pendant que le quinquagénaire soutient avoir quitté le camp Naaba Koom le 16 septembre aux environs de minuit, d’autres témoignages affirment qu’il y est resté plus longtemps. Le colonel Yonaba, le capitaine Zoumbri et le commandant Korogo ont indiqué aux enquêteurs avoir vu l’ancien bâtonnier dans le bureau de chef de corps, où était discuté le projet de déclaration, après 3h du matin et à 7h. « A moins d’avoir le don d’ubiquité, ce n’est pas possible. A 7h, j’étais au doua de ma tante, je n’ai pas assisté à quoi que ce soit », a nié l’avocat.

« Comment vous vous y êtes pris pour entrer à Naaba Koom sans difficulté ? », a voulu savoir l’accusation. Et le mis en cause de répondre : « J’ai appelé Diendéré qui m’a dit où il était. Je dois préciser qu’une ou deux fois, j’ai été arrêté. Je me suis présenté et indiqué que j’avais rendez-vous avec Diendéré. Certainement que le général avait pris des dispositions pour que je puisse arriver ».

Alors que l’ancien bâtonnier maintient que son rôle dans les événements se limitait à conseiller Macky Sall, le procureur militaire s’est demandé si les conseils qu’il a prodigués n’avaient pas débordé le cadre d’une relation entre un avocat et  son client. Dans un long développement, il a argué que « le parquet se méprend sur le rôle d’un conseil ». Pour lui, « un avocat est un tout et le droit est par essence politique ». Son audition se poursuit ce matin à partir de 9 heures.

 

San Evariste Barro

Hugues Richard Sama

Dernière modification levendredi, 23 novembre 2018 09:31

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