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Procès putsch manqué : Le retour de Faisal

 

L’interrogatoire de l’ancien bâtonnier Me Mamadou Traoré  s’est poursuivi hier 22 novembre 2018 dans la salle des Banquets de Ouaga 2000. Après sa déposition liminaire  la veille, où il a expliqué le motif de sa présence au camp Naaba Koom II dans la nuit du 16 septembre 2015, il s’est prêté aux questions du parquet militaire et des avocats des parties civiles. Pour ces acteurs, il n’y a pas de doute, Me Mamadou Traoré est resté au camp jusqu’à 7h du matin contrairement à ses déclarations à la barre. Le procureur militaire s’est dit convaincu que l’accusé jouait, en réalité, le rôle de conseiller juridique du général Gilbert Diendéré  lors des événements. Le président a annoncé le retour à la barre, ce vendredi 23 novembre 2018, de l’accusé Ousséini Faisal Nanéma.

 

 

 

 

«Veuillez-vous rassoir, l’audience est reprise. Monsieur Traoré Mamadou, vous êtes appelé à la barre avec pour conseils choisis les Bâtonniers Moussa Coulibaly et Patrice Monthé. En rappel, vous êtes poursuivi pour complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat, meurtres et coups et blessures volontaires. La parole est donnée au procureur militaire pour la suite de ses questions et observations ». C’est ainsi que le président de la chambre de première instance du tribunal militaire de Ouagadougou a introduit l’audience d’hier. Seidou Ouédraogo, puisque c’est de lui qu’il s’agit, permettait ainsi au parquet militaire d’interroger l’accusé.

 

Mais plutôt que d’aller droit au but, le procureur a souhaité réagir sur une intervention d’un des avocats de la défense, Me Idrissa Badini. Celui-ci avait affirmé, la veille, que le parquet s’acharne sur l’accusé. «Je ne sais pas si nous avons le même entendement de ce mot, mais à travers nos questions, nous cherchons à éclairer le tribunal, nous cherchons la manifestation de la vérité. Nous pensons avoir procédé exactement comme nous l’avons fait avec les autres accusés qui ont déjà déposé à la barre. Nos questions sont posées en toute sincérité, courtoisie, mais s’il y a eu acharnement, c’est son opinion, son point de vue. Nous, nous sommes en harmonie avec notre serment. Je le comprends parce que c’est peut-être sa façon à lui d’apporter son aide ou de défendre l’accusé même s’il ne s’est pas constitué auprès de l’ancien Bâtonnier. Il ne faut pas qu’on cherche à nous accabler, le danger, c’est de vouloir confiner les gens à un service minimum. Il ne faut pas qu’on fasse croire aux gens qu’étant donné que c’est une robe noire,  nous sommes en train de lui aménager une parcelle, une porte de sortie que d’autres n’auraient pas eue. Nous ne sommes pas dans cette logique, nous administrons nos questions sans haine, sans affection» a fait observer le ministère public.

 

Passé cette mise au point, l’accusation a voulu savoir, de l’inculpé, la date exacte de la rencontre à l’hôtel Laïco. «C’est dans la soirée du 19 septembre 2015», a répondu l’ancien Bâtonnier. En évoquant le P.-V d’interrogatoire au fond du lieutenant-colonel Mamadou Bamba, le parquet a indiqué que le lecteur de la proclamation du CND a vu des civils au cabinet militaire lors d’une rencontre avec le groupe de soutien à la Transition. «Vous y étiez ? », a-t-il poursuivi. «Monsieur le président, je confirme, je redis et je répète, j’ai assisté à une seule réunion avec le président Macky Sall. Je n’ai jamais été à une rencontre avec un groupe », a répondu Me Traoré.

 

Et le parquetier de faire une autre remarque : «Dans cette déclaration, le colonel Bamba dit avoir également assisté à une seule rencontre, mais la rencontre du groupe de soutien s’est déroulée le 17 septembre dans l’après-midi, donc largement avant celle du 19 ; avez-vous une observation à faire ? ». « Je n’ai pas d’observation sur quelque chose qui ne me concerne pas», a réagi l’accusé.    

 

 

 

«Mon entretien avec le général a duré 5 mn au maximum »

 

 

 

En poursuivant dans ses questions, le ministère public s’est attardé sur l’emploi du temps de l’ancien Bâtonnier quand il est arrivé au camp dans la nuit du 16 septembre. «Vous êtes arrivé entre 22h30 et 23h, vous dites avoir attendu pendant longtemps. Est-ce qu’on peut avoir une idée exacte de la durée de cette attente ? », a-t-il interrogé. «Je n’en ai pas une idée exacte, je dirais 40 minutes », a précisé l’inculpé. «Et combien de temps a duré votre entretien avec le général ? Etes-vous allez directement chez vous ? », a ajouté le parquet. «Mon entretien avec le général a duré 2, 3, 5 minutes maximum. A l’issue de cela, je suis rentré chez moi vers minuit », a déclaré Me Traoré.

 

La partie poursuivante, elle, a fait savoir qu’il y a quelque chose de curieux dans une déclaration du colonel Saïdou Yonaba, médecin personnel du président de la Transition au moment des faits : «Il dit vous avoir aperçu entre 6h et 7h du matin, le 17 septembre. Il dit exactement ceci : je n’étais pas présent, je suis venu dans le bureau pour faire le point au général Diendéré (il venait d’ausculter le chef de l’Etat) et il  y avait tous les officiers et des civils dont le Bâtonnier Mamadou Traoré,…Le colonel dit entre 6h et 7h du matin et vous dites que vous êtes rentré vers minuit, cette rencontre serait impossible», a fait observer l’accusation. Elle a également cité les propos de l’ex-CEMGA, le général Pingrénoma Zagré, de l’ancien secrétaire général du ministère de la Défense, le colonel-major Alassane Moné, et de Monseigneur Paul Ouédraogo. Tous ont confirmé que la rencontre afin de trouver une sortie de crise avec les militaires du RSP a pris fin vers 3h30. Selon le parquetier, c’est à l’issue de cette rencontre, qui n’a pas produit les effets escomptés, que le général a décidé de brandir la déclaration du CND. Une déclaration qui a été vue par le capitaine Oussène Zoumbri, le commandant Abdoul Aziz Korogo ; lesquels ont également identifié spontanément l’ancien Bâtonnier dans la salle où il était question de son amendement et de la désignation du lecteur.

 

La réaction de l’inculpé ne se fit pas attendre : «Je n’ai pas eu la chance de connaître beaucoup de personnes que vous venez de citer, je ne connais pas leurs agendas. Le président du tribunal a voulu qu’on soit courtois et poli sinon j’aurais dit des choses assez importantes. J’ai par contre eu la chance d’être soigné par le médecin-colonel Yonaba, j’ai une culture de la reconnaissance. Mais s’il dit que j’étais au camp jusqu’à 7h du matin, monsieur le président, cela pose une question de logique. Où étais-je pendant tout ce temps ? Qu’est-ce que je faisais pendant tout ce temps ? Pour rester courtois et poli, le colonel Yonaba ne peut pas dire que j’étais au camp jusqu’à  7h du matin. Je n’avais rien à faire là-bas après ma rencontre avec le général Diendéré », a répliqué Me Mamadou Traoré.

 

Dans sa défense, l’ancien Bâtonnier n’a pas manqué de qualifier de Torquemada l’instruction de ce procès où «chacun raconte ce qu’il veut pour sauver sa tête. Je ne peux pas entrer dans le schéma mental des uns et des autres, Yonaba était accusé, mais il a bénéficié d’un non-lieu ». C’est une allusion directe au grand inquisiteur de l’Espagne, Tomas de Torquemada. Mais pour Me Prosper Farama, «c’est exagéré car les accusés bénéficient d’un traitement autre que ce qui se faisait au 13e siècle (cf. encadré Qui est Tomas de Torquemada ?).

 

L’accusation a trouvé encore curieux que le président sénégalais Macky Sall soit passé par l’inculpé pour entrer en contact avec «Golf» qui est bien connu des chefs d’Etat de la sous-région. Mieux encore, pourquoi le numéro un sénégalais n’a pas contacté son ambassadeur résidant à Ouagadougou  au moment des faits ? «Monsieur le procureur, je pense que nous tournons en rond depuis hier, mais je vais me conformer à cet exercice. Ce n’est parce que les chefs d’Etat le connaissent qu’ils doivent l’appeler directement et tout ne se fait pas à travers les représentations diplomatiques. Quand on n’est pas dans certaines positions, il ne faut pas s’y mettre. Un exemple qui est de notoriété publique : quand la mère de Dadis Camara, en exil au Burkina Faso, est décédée, le président guinéen Alpha Condé, par mon entremise, a souhaité que le général Diendéré le raccompagne en Guinée ».

 

 

 

«Des charges infamantes, injustifiées et infondées»

 

 

 

Invités à se prononcer, les conseils de Me Mamadou Traoré dont Me Moussa Coulibaly, lui aussi ancien Bâtonnier mais du Niger, a invoqué une sagesse africaine : «Celui qui sait qu’il ne sait pas saura, mais celui qui ne sait pas et qui prétend savoir  ne saura jamais ». «Monsieur le président, vous avez écouté les explications de Me Traoré, cela fait presque 24h. Il a répondu à toutes les questions aussi précisément que possible. Il a expliqué ce qu’il sait et ce qu’il a fait, mais le ministère public a tenté de vous convaincre des charges qui pèsent sur lui. Me Traoré n’a fait qu’exercer sa mission d’avocat, il a été un intermédiaire qui a porté un message dans un contexte aussi trouble. J’ai entendu certaines personnes s’émouvoir de ce qu’il n’a pas eu peur d’aller au camp, la nuit, afin de porter son message. Oui, il l’a fait, c’est son sacerdoce, il a été sollicité et il a exécuté la mission. Il a été constant dans ses déclarations. Beaucoup parlent d’honoraires qu’il aurait perçus, non il n’a rien perçu. L’exécution de cette mission l’a conduit devant votre barre, il est porteur de charges aussi infamantes, injustifiées qu’infondées », a soutenu l’ancien Bâtonnier nigérien.

 

Son confrère camerounais, Patrice Monthé, est surpris par des «règles de procédures souvent inversées». Selon ses explications, il y a des «choses inadmissibles, des contrevérités et des inepties qui ont été dites ». «Monsieur le président, dans l’action de recherche de la vérité, vous devez être indépendant, impartial et équitable. Le parquet tente de faire dire au malheureux capitaine Zoumbri ce qu’il n’a pas dit : j’ai vu la déclaration sur le bureau du chef de corps adjoint, étaient présent Abdoul Karim Traoré,  Abdoul Karim Traoré de Perfectum Afrique, le journaliste Adama Ouédraogo dit Damiss, l’ancien Bâtonnier Mamadou Traoré, …. Je pense que la déclaration a été rédigée par les civils. Monsieur le président, personne ne peut dire que c’est l’ancien Bâtonnier qui l’a rédigée. Par ailleurs, le colonel Abdoul Karim Traoré (A.K.T.) dit que dans le bureau du chef de corps adjoint, il ne peut pas confirmer la présence de militaires et de civils en même temps, à moins qu’il n’ait pas fait attention aux civils, mais personne n’en parle depuis l’instruction de ce dossier. De plus, le général Diendéré, concernant l’accusé, dit ceci : je pense qu’il m’a dit avoir eu un contact avec Macky Sall qui m’invitait à trouver une solution qui réponde aux exigences de la CEDEAO. Personne n’en parle non plus, on ne cherche pas la vérité, on charge simplement les accusés », a développé l’ancien Bâtonnier camerounais qui dit attendre les plaidoiries pour mieux convaincre la juridiction de l’innocence de son client. Un client qui n’a pas non plus reconnu les infractions de conséquence qui lui sont reprochées : meurtres et coups et blessures volontaires.

 

Dans l’après-midi, à l’issue de l’interrogatoire de Me Traoré, c’est le général Gilbert Diendéré qui a été appelé à la barre  conformément à la liste 15. Cependant, ses avocats feront noter l’absence de Me Mathieu Somé pour des raisons de santé. Les autres avocats constitués auprès du général ont alors demandé à la chambre de renvoyer l’audition de «Golf», le présumé cerveau de l’affaire.

 

Cette requête a eu un écho favorable auprès du président Seidou Ouédraogo qui a annoncé dans la foulée  le retour à la barre de Nanéma Ousséini Faisal  ce vendredi à 9h. En rappel, il est poursuivi pour complicité de dégradation volontaire aggravée de biens et de recel. Il vous souviendra également que l’audition de l’administrateur de société avait été interrompue pour conflit d’intérêts entre celui-ci et le caporal Dah Sami. Les deux accusés  ayant le même conseil, Me Arno Sampébré, se sont  en réalité chargés mutuellement dans le cadre de cette affaire : par exemple, le premier a accusé le second de meurtre, conduisant son avocat à se déporter du dossier.

 

 

 

San Evariste Barro

 

Aboubacar Dermé

 

 

 

Encadré 1

 

Ainsi, la rumeur était vraie !

 

 

 

Dans la matinée de ce 22 novembre 2018, des informations sur les réseaux sociaux faisaient état de ce que le général Gilbert Diendéré serait à la barre à partir de 11h. Il n’en fallait pas plus pour amener le  public à converger vers la salle des Banquets de Ouaga 2000 pour écouter le cerveau présumé du coup d’Etat du 16 septembre 2015. Le public a été ainsi convaincu que la «bombe» Diendéré allait exploser pour la manifestation de la vérité. Du coup, les chaises qui étaient désespérément vides jusque-là ont été occupées. Même si ce n’est pas à 11h que «Golf » s’est présenté à la barre, il y était dans l’après-midi, mais son audition a été renvoyée au 26 novembre 2018.

 

Ainsi, la rumeur était vraie !

 

 

 

A.D.

 

 

 

Encadré 2

 

Qui fut Tomas de Torquemada ?

 

 

 

Tomas de Torquemada était le premier grand inquisiteur de l'Inquisition espagnole. Une fonction qu’il occupa pendant 15 ans jusqu’à sa mort en 1498. Il était connu comme quelqu’un qui s’acquittait de sa mission avec un zèle redoutable et une détermination implacable. Sous son commandement, 10 220 personnes auraient été brûlées, 6 860 autres condamnées à être brûlées en effigie, et 97 321 furent «réconciliées» avec l'Église. Des chiffres, cependant considérés comme largement exagérés par les historiens modernes qui estiment aujourd'hui le nombre de personnes envoyées au bûcher comme étant probablement plus proche de 2 000.

 

 

Sources : Internet

Dernière modification ledimanche, 25 novembre 2018 18:06

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