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Procès putsch manqué : Le général Diendéré demande pardon aux victimes

Il aura fallu six jours d’audition du général Gilbert Diendéré pour que le tour de parole arrive enfin aux conseils de la partie civile. Mais avant que ceux-ci ne s’expriment, le cerveau présumé du coup d’Etat a, à travers une lettre adressée aux victimes,  fait acte de contrition. C’était hier, mardi 04 décembre 2018.

 

En début d’audience, l’avocat togolais du général Diendéré, Me Jean Yaovi Degli, avait monopolisé le micro pour le contre-interrogatoire de son client. Un exercice qui a pour l’essentiel consisté à demander à l’ex-chef d’état-major particulier de la présidence du Faso des précisions sur sa déposition et à y trouver des éléments à décharge.

A la fin de cet exercice qui aura duré toute la matinée, le président du tribunal, Seidou Ouédraogo, a annoncé que la parole revenait maintenant à la partie civile. Ce qui a provoqué des réactions de satisfaction au sein de l’assistance. Il n’y avait pas que le public qui attendait avec impatience cette confrontation. Mais avant cette phase, l’accusé-vedette de ce procès a voulu dire un mot.

« Le moment tant attendu pour moi est enfin arrivé, le moment où je vais m’adresser aux parties civiles », a dit en guise d’introduction le cerveau présumé du putsch de septembre 2015. Puis il s’est lancé dans un acte de contrition adressé aux victimes dont voici quelques extraits que nous avons saisis au vol :

« C’est vous qui avez subi directement les torts, je me dois d’être sincère avec vous ».

« Depuis fort longtemps, j’entends vos cris, j’entends vos pleurs, je partage vos douleurs ».

« C’est moi qui ai assumé la responsabilité morale du putsch… Comment pourrais-je faire croire que je n’ai rien à y avoir. Je ne revendique pas une telle innocence. Je ne peux pas me débiner et nier mes responsabilités… Que ces actes me soient personnellement imputables est un fait, c’est ma responsabilité…. Ma responsabilité sociologique et juridique ne saurait être occultée ».

« Je porte la responsabilité du changement de régime le 17 septembre 2015 mais sa planification, son exécution, on pourra toujours en débattre ».

« Je demeure convaincu que si ce qui est arrivé n’était pas arrivé, la Transition n’allait pas aboutir à un pouvoir régulièrement élu. Le coup d’Etat a permis d’alerter sur les projets machiavéliques et les desseins inavoués. Cette erreur, si erreur s’en est, a permis de conduire la Transition jusqu’au bout ».

« J’ai cru comme en 1983 que mon peuple était en danger et que je devais éviter le chaos prévisible ».

« Jamais je n’ai voulu quitter le pays quand j’étais recherché mort ou vif. Même dans ma vie privée et familiale, je ne me suis jamais débiné sur mes responsabilités… J’étais conscient de l’humiliation que j’allais subir et de la peine que j’allais connaître. Je savais que je risquais la peine capitale, mais la moindre des choses que je dois aux victimes et au peuple burkinabè, c’est la vérité. C’est pourquoi j’ai décidé de rester. Je me tiens devant vous par devoir de redevabilité ».

« J’apparais comme le responsable de tous vos maux … Je  suis convaincu que vous accepterez mon pardon. Cet acte de contrition vient du plus profond de mon cœur. Que Dieu ouvre vos cœurs pour que vous puissiez accepter mon pardon ».

A la fin de cet examen de conscience qui a été écouté religieusement par le public, le président du tribunal a voulu savoir si l’accusé voulait verser ce document dans le dossier. Réponse du général par l’affirmative.

Prenant enfin la parole, Me Prosper Farama a tenu d’abord à réagir au mea culpa de Golf : « Nous avons entendu ce qui a été dit, c’est davantage à nos clients que vous vous adressez. En tant qu’avocats des parties civiles, ce n’est pas à nous de pardonner ou de proclamer une quelconque réconciliation. Il serait prétentieux pour nous de vouloir répondre à leur place. Nous espérons qu’au soir de ce procès, l’engagement des accusés de dire la vérité, toute la vérité, sera respecté ».

Me Farama a déclaré que pour leur part, les avocats des victimes, avec « la plus grande détermination, le plus grand professionnalisme possible, vont tout faire pour obtenir la vérité ». Il a conclu en annonçant que tous les avocats de la partie civile prendront la parole pour cuisiner le général. Sur ce, il a remis le micro à Me Séraphin Somé, le premier à aller à l’assaut du général.

Si le général avait commencé son audition par une présentation des facteurs qui expliquent, selon lui, la survenue des événements de septembre 2015, Me Somé a voulu également commencer par là. Il retient du récit du natif de Yako que le premier facteur explicatif est lié aux frustrations au sein du RSP. Des frustrations personnelles de Diendéré lui-même et du colonel-major Kiéré, ostracisés par le Premier ministre Zida et des inquiétudes portant sur la volonté des autorités de la Transition de dissoudre le régiment. Mais pour lui, l’histoire militaire du Burkina est faite d’unités dissoutes. Il cite à ce propos le cas du CNEC (Centre national d’entraînement commando) de Pô et du BIA (Bataillon d’intervention aéroporté) de Koudougou, en précisant que leurs membres n’ont pas cherché pour autant à faire un coup d’Etat.

« Des militaires ont été humiliés, assassinés, mais leurs frères d’armes n’ont pas cherché à faire de coup d’Etat », a-t-il lancé. Les largesses que faisait Blaise Compaoré aux soldats du RSP et dénommées, entre autres, « Merci Papa », ont, selon Me Somé, créé des frustrations chez les autres militaires, qui n’ont pas cherché pour autant à interrompre le régime. « On a vu des militaires dégarnis au profit du RSP mais ils n’ont pas essayé de faire un coup d’Etat. Où était le RSP ? Le RSP était celui-là qui profitait de cette situation. C’est pendant la Transition que le RSP s’est découvert des vocations de justicier. »

Pour Me Séraphin Somé, la spoliation des ressources de l’Etat par le Premier ministre évoquée par les putschistes durant la Transition a toujours eu cours durant le long règne de Blaise Compaoré. « Où était le RSP pour s’insurger ? Des pans entiers de l’économie étaient entre les mains d’un clan, le RSP trouvait ça juste. Lorsqu’il y avait les détournements, où était le RSP ? » s’est demandé l’avocat.

Concernant la dissolution du régiment, Me Somé, après avoir écouté les accusés à ce procès, a estimé que ça a été « une bonne chose », au vu de ses nombreux éléments indisciplinés. Dans cet ordre d’idées, il a cité, entre autres, les mutineries de 2011 où les soldats ont même constitué une menace pour le chef de l’Etat qu’ils étaient censés protéger, l’enfant terrible de Ziniaré ayant été obligé d’aller se réfugier dans son village natal. « La culture de la violence et de la mort était ancrée au RSP », a déclaré l’avocat.

L’interrogatoire du général Diendéré par les avocats de la partie civile se poursuit ce matin à 9h à la salle des Banquets de Ouaga 2000.

 

San Evariste Barro

Hugues Richard Sama

 

 

Encadré 1

Ce message de Zagré qui appuie la défense de Diendéré

 

Me Jean Yaovi Degli a fait mention d’un message que le chef d’état-major général des armées de l’époque a envoyé le 21 septembre à toute la hiérarchie militaire, intitulé : « Préoccupation sur la situation nationale ». Dans ce texto, le général Pingrenoma Zagré demandait au commandement militaire de « bien faire connaître à tout le personnel des forces armées nationales » l’attitude de la hiérarchie durant le coup d’Etat qui a consisté, selon lui, à « éviter l’affrontement entre militaires » et à « éviter l’installation du chaos ».

« Que représente ce message et quel est votre avis là-dessus »,  a interrogé Me Degli. Et Diendéré de répondre : «  J’ai transmis ce message à la justice militaire pour montrer que contrairement à ce que la hiérarchie affirme, elle ne s’est pas opposée au coup d’Etat. Pour des gens qui auraient opposé un refus catégorique, ce n’est pas ce genre de message qu’ils auraient envoyé. L’option n’aurait pas été d’éviter l’affrontement mais de s’opposer parce qu’on n’est pas d’accord ».

 

H.R.S.

 

Encadré 2

« En 1983, Jean-Baptiste Ouédraogo sait là où on l’a amené »

 

Un des arguments phare du général Diendéré que ce qui est devenu par la suite un coup d’Etat n’était pas prémédité. Pour conforter cette thèse, son avocat a convoqué l’histoire pour montrer que l’officier général s’y connaît en interruption brusque de régime. Répondant à une question de son avocat, l’ancien ange gardien de Blaise Compaoré est revenu sur l’épisode du coup d’Etat du 4 août 1983 au cours duquel il a joué un rôle clé en prenant possession de la radio nationale avec ses hommes.

« Aviez-vous pris des dispositions pour que d’autres forces ne viennent entraver votre action ? », a voulu savoir son avocat qui a eu droit à une réponse par l’affirmative. « Peut-on dire qu’en matière de coup d’Etat, vous vous connaissiez et que vous n’êtes pas un enfant de chœur ? »

« Dire que je m’y connais, c’est trop dire », a répondu le sexagénaire, qui reconnaît néanmoins qu’en 2015 s’il avait voulu faire un coup d’Etat, il s’y serait pris autrement. « Si c’était un putsch, j’allais aller directement à la radio ou à la télé lire ma déclaration. Si c’était un coup d’Etat, on n’allait pas mettre le président et le Premier ministre dans des maisons climatisées, permettre que leurs femmes et des ambassadeurs viennent les voir. Le président Jean-Baptiste Ouédraogo peut témoigner, dès qu’on l’a pris (Ndlr : le coup d’Etat de 1983), il sait où on l’a amené ».

 

H.R.S.

 

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