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Procès putsch manqué 05 décembre: «Je ne sais pas si j’ai affaire à Me Kam ou à M. Kam du Balai citoyen » (Général Gilbert Diendéré)

Les avocats des parties civiles au procès du coup d’Etat manqué du 16 septembre 2015 ont poursuivi avec leurs séries de questions à l’endroit du général Gilbert Diendéré, hier 5 décembre 2018 dans la salle des Banquets de Ouaga 2000. Au tour de parole de Me Guy Hervé Kam, «Golf», après avoir répondu à des questions de forme, s’est ensuite muré dans un silence total, estimant que Monsieur Guy Hervé Kam peut être considéré comme faisant partie de ceux qui ont provoqué les événements du 16 septembre et jours suivants dans la mesure où il a «aidé» le lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zida à accéder au pouvoir.

 

 

Dès la reprise de l’audience, c’est Me Prosper Farama de la partie civile qui a passé en revue trois points qui montrent à suffisance, selon lui, l’implication du cerveau présumé du coup d’Etat manqué du 16 septembre 2015.

Premier point : le général était-il médiateur, porte-parole des auteurs du coup ou acteur au vu de ses responsabilités directes dans cette affaire ? L’avocat y a répondu en posant une longue série de questions.

« Après l’action, il y a eu une réunion au poste de commandement. Tous les officiers ont expliqué qu’il y avait un cordon de sécurité autour du bâtiment et un élément en arme à l’intérieur. Or, vous, vous nous dites que c’était simplement une rencontre d’information. Pensez-vous que pour une rencontre d’information, on avait besoin de tout cela ? », a demandé Me Prosper Farama.

Pour l’accusé, c’est une question qui avait été déjà posée à plusieurs reprises donc il n’entendait plus se prononcer là-dessus, ouvrant une brèche à l’avocat : «une simple information, avec une équipe de combat, un élément armé, casque et gilet pare-balles, de mon point de vue, c’est parce que le général a senti le besoin qu’il devait y avoir cette sécurité autour de lui. Il a eu des rencontres avec les officiers du RSP mais je pense que le dispositif, cette fois-ci était inhabituel ».

Me Farama se lancera par la suite dans la lecture d’un P.-V d’interrogatoire du colonel-major Boureima Kiéré ; lequel disait grosso modo que, à cette même rencontre, il régnait un climat de peur et eu égard à «la mise en place d’un dispositif de combat inhabituel, aucun officier ne pouvait dire qu’il était pour ou contre ce qui venait de se passer ».

« Mon général, est-ce que cette peur était justifiée si tant est qu’il s’agissait d’une simple rencontre d’information selon vous», a ajouté le conseil. «Me, je n’ai pas à dire si cette peur était justifiée ou pas, c’est à eux de l’expliquer. Je ne fais pas de commentaire sur les propos de mes coaccusés », a réagi le général de brigade.

Et le défenseur des parties civiles de renchérir : «Parlant de cette même rencontre, presque tous les officiers disent que vous vous êtes excusé d’avoir convoqué les gens de manière imprudente et que tout le monde ne pouvait pas être au courant alors que nous croyions que vous, vous n’étiez pas au courant, le tribunal appréciera ».

Me Farama a rappelé que l’accusé Relwendé Compaoré, parlant du général, disait ceci : «Le général a pris la parole, il a dit que la gendarmerie a saisi des cartes d’électeurs et que les élections n’allaient pas se tenir dans de bonnes conditions, que c’est pourquoi il a anticipé. Comme le général ne veut pas commenter les propos de ses coaccusés, le tribunal appréciera cette anticipation».

 

«Ce ne sont pas les propos d’un médiateur »

 

«Le colonel-major dit que ce qu’il a pu entendre est que c’est l’exclusion politique qui a milité pour  l’enlèvement des autorités de la Transition, quelqu’un d’autre a parlé de cartes d’électeurs. Est-ce que ce sont des propos de quelqu’un qui vient en médiateur ? La réponse est non », a fait savoir Me Farama avant d’aborder la première rencontre de la CRAD (Commission de réflexion et d’aide à la décision). Là, il a voulu savoir si le général était de ceux qui ont proposé d’assumer les événements qui venaient de se produire.

«Je vous ai tout expliqué lors de mon exposé, je vous ai dit comment ça s’est passé, ce qui a été dit et fait, je ne veux pas revenir là-dessus sinon on va prendre une semaine encore », a indiqué le mis en cause. L’avocat fera encore recours aux propos du chef d’état-major particulier de la présidence du Faso au moment des faits, il dit : «A l’issue de l’éclairage du général qui a du reste souhaité que la hiérarchie militaire entérine et endosse la responsabilité des faits. Mais de l’autre côté, ils ont proposé une médiation. Comment quelqu’un qui partait en médiateur peut demander à la hiérarchie d’entériner et d’endosser des faits ? Et le colonel-major Kiéré n’est pas le seul à le dire, il y a aussi les propos de l’évêque. Il est encore besoin pour vous de nous convaincre, de convaincre le tribunal par rapport à ces propos qui montrent que vous n’êtes pas allé intervenir en tant que médiateur mais que vous étiez un acteur », a fait observer Me Prosper Farama.

Le conseil notera dans la foulée, qu’après l’échec de la médiation entreprise par les Sages, le général se serait retiré seul au camp pour rédiger la proclamation dont il avait les grandes lignes «en poche quand les sous-officiers sont allés le chercher. Est-ce qu’un médiateur rédige des déclarations pour l’une des parties en crise ? ».

Deuxième point : Me Farama tentera de démontrer l’autorité du général sur la troupe bien que celui-ci n’occupât aucune fonction dans la chaîne de commandement du RSP. Le général, lui, a préféré parlé de considération, de respect au regard de son expérience dans le corps. Mais l’avocat n’en démord pas. Morceaux choisis : «A une question adressée au colonel-major Boureima Kiéré sur les clans qu’il y avait au sein du RSP, il a répondu en ces termes : il y avait deux clans, un favorable au lieutenant-colonel Zida et les autres à Diendéré. Donc mon général, vous, vous n’avez aucune fonction, mais vous avez un clan ? ».

Réplique de «Golf » : «Je ne vois pas où se trouve le problème. Ce que le colonel-major Kiéré dit par rapport à l’autorité dont vous parlez, c’est du respect, ça ne contredit pas ce que j’ai dit, cela ne veut pas dire que je donnais des ordres dans le commandement du corps pendant la Transition. C’est uniquement du respect, de la considération».

Troisième point : Me Farama a abordé, enfin, l’autorité qu’avait le général sur les hommes qui détenaient les autorités de la Transition. A ce propos, l’avocat a cité une phrase du général, «j’ai libéré les membres du gouvernement et le président Kafando avant les discussions avec la communauté internationale». « Mon général vous avez dit j’ai libéré, je le répète», a insisté l’avocat.

«Me, vous n’avez pas bien lu, je dis j’ai fait libéré», a réagi «Golf» dont les explications n’ont pas convaincu l’homme en robe noire qui a aussitôt fait appel à une question qu’un des conseils de l’accusé, lui-même, a eu à lui poser : «Auprès de qui avez-vous eu à négocier la libération des membres du gouvernement ? ».

«Ceux qui détenaient les autorités sont déjà passés à la barre, je n’ai pas besoin de revenir là-dessus, je n’ai pas besoin de citer des noms », s’est contenté  d’affirmer le mis en cause en guise de réponse. A l’opposé, c’est le colonel-major Boureima Kiéré qui a confié avoir plaidé auprès du général la libération des ministres (femmes) et de celle du président Kafando dès les premières heures du putsch. A écouter l’avocat, aucune libération ne pouvait se passer sans l’aval du général.

 

« Nous allons vous insulter, mais sache que nous on cherche à manger »

 

Après Me Prosper Farama, c’est son confrère Me Guy Hervé Kam qui est monté au créneau pour interroger le général. Mais il a d’emblée présenté ses excuses au président du tribunal pour son absence remarquée depuis une dizaine de jours. A l’issue d’autres observations en rapport avec les questions de forme du dossier, il a lu des propos du général, qui disait ceci : ‘’on a voulu changer les choses’’ pour expliquer le coup. « Mon général, à quel moment, avez-vous voulu changer les choses ? ».

Et l’accusé de se lancer dans un long réquisitoire contre l’avocat : «Avec tout le respect que je vous dois, j’ai répondu à vos questions de forme mais pour les questions de fond, il m’est difficile de faire la différence entre Me Guy Hervé Kam et Monsieur Guy Hervé Kam, porte-parole du Balai citoyen. Je le dis parce que Monsieur Guy Hervé Kam peut à mon avis être considéré comme l’un des acteurs, des responsables de cette affaire qui nous réunit ici. Nous avons eu l’information, nous avons vu les images, il était avec le lieutenant-colonel Zida au camp Guillaume. Après, nous avons su par un responsable du Balai citoyen, à travers une interview, qu’ils ont fait un deal avec Zida, je ne sais pas de quoi il s’agit mais il y a eu une distribution de 50 millions de francs CFA aux responsables des différentes OSC (Organisation de la société civile) en la présence de Monsieur Guy Hervé Kam. Ensuite, il a été question de 100 millions de francs CFA qui lui ont été remis. Il y a la personne qui le lui a remis, elle peut donner le jour, dire à quelle heure, et où est-ce que cet argent a été remis. Au cours de la Transition, qu’est-ce qui s’est passé contre le RSP ? Des propos diffamatoires. Il y a quelqu’un au niveau du RSP qui a dit un jour à propos de Monsieur Guy Hervé Kam qu’il a appelé en disant mon ami, mon frère, je ne sais plus trop : nous allons vous insulter mais sache que nous on cherche à manger… ».

Pour le général, quand quelqu’un a tout ça dans la tête, c’est difficile de répondre à Monsieur Guy Hervé Kam qui se trouve dans la salle en tant que Me Kam. «Vous pourrez poser vos questions, mais c’est mon droit le plus absolu de ne pas y répondre », a ajouté le mis en cause.

La réplique de l’avocat ne s’est pas fait attendre : «Avec votre intervention, je comprends pourquoi, en 2014, le président Blaise Compaoré n’a pas vu l’insurrection venir. Ce n’est pas à un jeune désœuvré à qui on donne 1000 francs CFA, qui utilise 100 francs pour mettre des mégas en vue de calomnier, qu’on a donné cette information. Ce n’est pas à un journaliste qu’on a donné cette information, c’est à un officier général présenté comme le meilleur ‘’sécurocrate’’ de l’Afrique de l’Ouest. Des gens avaient dit que si le Burkina Faso ne veut pas Diendéré, eux, ils étaient prêts à le récupérer. Lorsque cette personne donne de telles affirmations, fausses, si d’aucuns lui donnent des informations qu’il n’a pas pu vérifier, vous voyez que le président Blaise Compaoré avait un renseignement qui n’en était pas un ».

Selon Me Kam, peut-être que la haine du général envers les OSC lui a fait oublier que pour la trahison, il encourt la prison à vie, pour les meurtres, ce sont 10 à 20 ans d’emprisonnement. «Mon général, ce que vous dites n’est pas vrai et même si c’était vrai, ça ne vous désengage point, défendez-vous, ne vous occupez pas de Monsieur Kam et faites venir votre témoin », a-t-il conclu.

Passé cette passe d’armes, l’avocat entamera un monologue d’environ deux heures en posant des questions et en tirant des observations sans que «Golf » ne pipe mot ; lui qui était accoudé à la barre, la tête baissée.

Morceaux choisis d’un propos du général qui serait contradictoire selon l’avocat des parties civiles : «Le général disait la dernière fois qu’il n’y a pas eu d’autopsie et d’études balistiques permettant de savoir de quoi sont morts les manifestants. Le même général disait au cours de l’instruction que l’action en elle-même n’a pas été violente, que ce sont les réactions des populations et avec le maintien d’ordre qu’il y a eu des dérapages. Sans être à la base, il dit : en tant qu’être humain, je ne peux pas cautionner ces actes. Si les hommes l’ont fait, ils ont été contraints à le faire. C’est au regard de ces morts que j’ai décidé de remettre le pouvoir ». Etant confronté à un silence, c’est-à-dire à aucune observation du natif de Yako, l’avocat ajoutera qu’ayant été informé de la mort d’un jeune homme le 17 septembre 2018, le général, lui-même, avait instruit de dire aux hommes de rester dans la caserne. « Le 18 dans la soirée, il a instruit les gens de ne  pas sortir pour éviter d’autres situations, quelles autres situations si le général veut bien répondre ? Le  général sait qu’il y a eu des éléments du RSP qui ont tué, qui ont blessé », a soutenu Me Kam.

L’interrogatoire du général aux deux étoiles se poursuivra le vendredi 07 décembre 2018, dans la salle des Banquets de Ouaga 2000.

 

San Evariste Barro

Aboubacar Dermé

Bernard Kaboré (Stagiaire)

 

Encadré

« Il faut fouiller les poches de tous les accusés pour trouver la vérité »

 

Presque tout l’interrogatoire de l’après-midi du général Diendéré a semblé être un tête-à-tête avec Me Awa Sawadogo de la partie civile, qui a chargé le cerveau présumé du putsch de mille et une questions. A celles impliquant des coaccusés, le natif de Yako, droit dans ses bottes a indiqué qu’il ne donnera ni réponse ni commentaire.  L’avocate a regretté cette attitude, qui selon elle ne permet pas la manifestation de la vérité.

Si c’est avec insistance qu’elle veut entendre le général sur des déclarations de coaccusés, a indiqué Me Sawadogo, c’est parce que depuis le début du procès, presque tous les mis en cause ont eu des déclarations contradictoires alors qu’ils ont tous mis la main sur le cœur pour signifier qu’ils allaient dire la vérité et rien que la vérité. L’avocate pour conclure a dit être convaincue que « la vérité se trouve quelque part dans la poche de certains accusés.»

A cette supposition, voici la réplique du général: « Dans ce cas, il faut donc fouiller les poches de tout le monde pour trouver la vérité ». Cela a été dit sur un ton d’humour qui a décontracté la salle.

« Monsieur le président, je me réfère à votre tribunal pour voir dans quelle mesure ces fouilles pourront être faites », a répondu Me Sawadogo sur le même ton.

 

B.K.

 

Encadré

Trois faits constitutifs du soutien de la hiérarchie militaire

 

Depuis le début de son interrogatoire, le général Diendéré n’a manqué aucune occasion pour déclarer qu’il a eu le soutien de la hiérarchie militaire. A l’audience de ce 5 décembre, il a encore saisi une occasion, répondant à des questions de l’avocate des parties civiles, Me Awa Sawadogo. Cette dernière a voulu savoir s’il y a eu un «acte concret» d’approbation et de soutien de cette hiérarchie militaire.

Le mis en cause a répondu par l’affirmative avant d’être invité à en citer quelques-uns.

Le premier acte, a fait savoir l’officier général, c’est le fait pour les plus hautes autorités militaires d’avoir donné leur accord pour le maintien de l’ordre.

Le deuxième, selon « Golf » est le fait d’avoir mis à la disposition des ‘’putschistes’’ un hélicoptère pour le convoi du matériel de maintien d’ordre.

Autre signe non à négliger selon le président de l’éphémère Conseil national de la démocratie, la présence de cette même hiérarchie à ses côtés au moment où il accueillait la délégation de la CEDEAO à l’aéroport international de Ouagadougou.

 

B.K.

Dernière modification levendredi, 07 décembre 2018 08:41

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