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Procès putsch manqué : Quand Me Degli fustige l’attitude du parquet

 

Le général de brigade Gilbert Diendéré était encore à la barre de la chambre de première instance du tribunal militaire de Ouagadougou le 10 décembre 2018 dans la salle des Banquets de Ouaga 2000. Au 9e jour de son audition, le présumé cerveau du coup d’Etat manqué du 16 septembre 2015 s’est prêté à un contre-interrogatoire de son conseil, Me Jean Yaovi Degli. A l’issue des échanges avec son client, l’avocat togolais n’a pas manqué de faire savoir au parquet militaire qu’il n’a pas gobé une insinuation de celui-ci taxant la défense du général d’être dans une logique de mensonge, de construction d’un tissu de mensonges.

 

 

Dès la reprise de l’audience, c’est l’un des avocats du général Gilbert Diendéré qui est revenu sur des questions posées à son client par ses confrères des parties civiles ; une manière pour lui de déconstruire ces questions et observations qui accablent le général.

 

L’avocat a débuté son contre-interrogatoire en s’appuyant sur l’intervention de son confrère Me Prosper Farama. «Mon confrère a parlé de l’encerclement du poste de commandement et fait cas d’un climat de peur qui aurait justifié un certain nombre de choses même si cela n’a pas été objectivement établi. Il dit que cette peur serait due à votre personne. Mon général, est-ce que vous étiez armé ? » a demandé Me Jean Yaovi Degli pour introduire. «Ce jour-là, je n’étais pas armé », a répondu le général de brigade, après avoir traduit son respect aux différents membres de la juridiction et aux parties au procès. « Est-ce qu’à cette rencontre, vous avez eu des propos menaçants à l’endroit des officiers ? », a ajouté l’avocat inscrit au barreau togolais. «Je n’ai menacé personne, Maître », a indiqué le général deux étoiles, permettant à son avocat de poursuivre : «Me Farama disait que vous êtes passé du rôle de médiateur à celui d’acteur. Est-ce que vous avez pris le rôle qui a consisté à assumer la situation ou cela s’est produit après des discussions et par la suite d’un constat ? Expliquez-nous comment ça s’est passé.? »

 

«Maître, j’ai expliqué depuis plus de deux semaines que c’est après avoir constaté l’échec de la médiation, après que les médiateurs ont constaté la vacance du pouvoir et après que la hiérarchie militaire a fait des propositions que j’ai pris sur moi l’initiative de prendre cette responsabilité. Ce n’est pas dès le départ que j’ai pris cette responsabilité d’assumer », a signifié l’ancien chef d’état-major particulier de la présidence du Faso qui a aussi souligné que ce sont les membres de la délégation constituée pour rencontrer le personnel du RSP (Pingrénoma Zagré, Alassane Moné, Jean Baptiste Ouédraogo et Mgr Paul Ouédraogo) qui ont proposé à l’armée de prendre ses responsabilités.

 

Selon l’avocat togolais, il a été aussi reproché à son client de n’avoir pas recueilli l’avis de la troupe avant de prendre quelle que disposition que ce soit. «Mon général, est-ce que dans l’armée, lorsqu’il y a un problème, on réunit la troupe ou ce sont les chefs des différents groupes ou encore comment ça se passe ? » lui a-t-il demandé. «Il est pratiquement difficile de s’adresser à toute la troupe de cette façon. Il y a toujours des représentants qui parlent au nom de la troupe. Un exemple : à la crise de décembre 2014, au camp, nous n’avons pas pu discuter, il a fallu constituer une délégation pour discuter avant de revenir vers la troupe », a fait savoir l’accusé.

 

 

 

 

 

« Notre aventure est terminée, à quoi vous referez-vous exactement ? »

 

 

 

 

 

Concernant le document qui a été lu sur les antennes de la télévision nationale, le général, la main sur le cœur, a confié qu’il ne l’avait pas en poche lorsque les sous-officiers sont venus le chercher afin que des solutions soient trouvées. Selon ses propos, il ne l’a pas rédigé en tant que médiateur et l’a fait après l’échec des négociations, un document qui, du reste, avait été lu devant la hiérarchie militaire qui ne sait même pas privée de l’amender avant sa lecture officielle. «Mon général, il vous reproche également d’avoir affirmé à la date du 25 septembre 2015 que ‘’notre aventure est terminée’’ ; est-ce à dire que vous assumez l’arrestation et la séquestration des autorités de la Transition ou à quoi vous référiez-vous exactement ? » a poursuivi Me Degli.

 

Pour le mis en cause, il faisait référence à la décision de prendre ses responsabilités de diriger le pays à partir du 17 septembre, après la proposition et l’accord de la hiérarchie militaire. «Cela ne veut pas dire que tous les actes qui ont été posés viennent de moi, je n’ai pas donné l’ordre de frapper ou de tuer quelqu’un. Ce sont des actes répréhensibles, et je n’ai pas donné l’ordre d’arrêter et de détenir les autorités », a précisé «Golf». Il a, par ailleurs, eu l’occasion de revenir sur des propos du président béninois d’alors (ndlr : Yayi Boni) qui l’avait choqué : en effet, alors que les négociations de sortie  de crise n’avaient pas encore abouti, l’ancien président avait laissé entendre au sortir d’une réunion que le pouvoir allait être remis à Michel Kafando, président de la Transition. «Le 20 septembre, il y avait une rencontre avec la classe politique pour mettre les choses au clair, et j’avais besoin de temps pour informer certains que j’estime nécessaire d’informer avant que cette information ne soit balancée à la presse », a-t-il expliqué pour justifier le fait qu’il avait été choqué. Pour le général, cela pouvait mettre en colère des hommes qui n’allaient pas comprendre cette décision, telle qu’exposée.

 

Au-delà des questions et observations faites par Me Prosper Farama, l’avocat du général a aussi passé en revue celles faites par Me Guy Hervé Kam, Me Ali Neya, Me Pierre Lassané Yanogo et Me Awa Sawadogo.

 

Alors qu’on croyait son intervention terminée, Me Degli a souhaité revenir sur un incident : «Le 7 décembre dernier, au moment où je m’apprêtais à déposer un croquis à votre dossier, j’ai eu une réaction de la part du ministère public. Une réaction qui pourrait se comprendre en trois points : d’abord, le parquet a déjà son opinion, sa vérité sur l’affaire que vous êtes appelé à juger, monsieur le président, et que ce croquis soit versé ou pas, rien ne va changer ; ensuite, le parquet a inféré que le général et sa défense veulent déposer un croquis qui pourrait poser un problème de secret militaire en disant que ce croquis fait la description d’un poste de commandement ; enfin, le ministère public a insinué que nous sommes des menteurs, que nous sommes dans une dynamique de mensonge, de construction d’un tissu de mensonges », a exposé l’avocat. Par la suite, il a invoqué des dispositions de la Déclaration universelle des droits de l’homme et des peuples (texte qui a exactement 70 ans puisque datant du 10 décembre 1948) pour expliquer grosso modo que le général peut faire recours à des moyens en vue d’assurer efficacement sa défense et qu’il est censé même bénéficier de la présomption d’innocence. A travers le plan du bâtiment que l’avocat veut verser au dossier, il a estimé que cela pourrait donner une idée en rapport avec le fait que l’enceinte aurait été encerclée par des hommes. «En parlant de dynamique de mensonge, j’ai très mal perçu cela. Je n’ai pas beaucoup d’années d’expérience, mais j’ai 30 ans de service. Le verbe est libre, mais il y a aussi des limites : l’outrage. Je respecte mes confrères et les différentes parties au procès et j’aimerais qu’on m’accorde le même respect. Je comprends le parquet militaire qui voit que notre manière de défendre le général pourrait le mettre en difficulté, puisqu’il a la tâche de faire établir la culpabilité de notre client au-delà de tout doute raisonnable. Mais lorsqu’il y a un doute…Donc je souhaiterais que cela ne se répète plus ici », a suggéré Me Degli.

 

 

 

 

 

«Quand vous avez parlé des errements du parquet, c’est aussi excessif »

 

 

 

 

 

Dans la réplique du procureur militaire, il a fait savoir que «nous ne pensons pas avoir offensé la défense du général. Maître a été le premier à nous envoyer des piques mais nous n’avons pas réagi. Nous ne donnons pas de coup en dessus de la ceinture mais quand il a dit ‘’soutenir le parquet dans ses errements’’, c’est aussi excessif. Nous sommes dans un tribunal militaire qui a ses règles, il dit avoir déjà plaidé dans des juridictions du genre et sait comment ça se passe.  Nous, au parquet militaire, nous sommes garant de l’ordre public, nous ne pensons pas qu’il est nécessaire de venir présenter le plan d’un point stratégique », a déclaré le ministère public pour qui il n’y a pas eu d’injures. «C’est plutôt lui qui nous a insultés», a conclu le parquetier.

 

 Pour le général Diendéré qui s’est senti également visé, les propos du procureur militaire ne sont ni plus ni moins que des injures. Et Me Degli de revenir à la charge avant de tempérer les choses : « des errements de procédure, c’est un terme consacré mais si le parquet considère qu’il a été heurté, je lui présente mes excuses ».

 

Me Degli n’a pas non plus manqué d’attaquer un autre point de la réaction du procureur militaire. «Si le parquet a indiqué qu’il a déjà son opinion, sa vérité infuse et immuable au-delà de toutes les vérités, c’est alors sur quelle base ? Pour certains, les événements qui se sont produits sont une mutinerie qui a été mal gérée avant de se muer en prise d’otages, pour d’autres, c’est le général qui a perpétré un putsch, d’autres encore disent que ce sont des sous-officiers qui l’ont organisé et ont amené le général pour qu’il assume, d’autres encore parlent du Premier ministre d’alors, Yacouba Isaac Zida. Au moment même où le procès se tient, il y a d’autres tribunaux dans la ville, avec leurs procureur et avocats, il y a beaucoup de commentaires. Monsieur le président, ce sont là des vérités, et dans toutes ces vérités, il faut que le tribunal trouve la vérité en se fondant sur les faits, mais dire que quelqu’un a déjà la vérité, je défie quiconque. Elle n’est connue que de Dieu. Si le parquet a sa vérité, le général doit être autorisé à avoir sa vérité, et permettez-lui de se défendre comme il l’entend, il a déjà dit qu’il est  responsable de ceci, mais pourquoi ne pas puiser des éléments pour le condamner ou le relaxer ou encore adoucir sa peine ?», a longuement développé l’avocat togolais.

 

Il a dans la foulée cité des interviews du président de la Transition, Michel Kafando, la première victime des événements du 16 septembre 2015. «Dans le journal le Pays et dans Jeune Afrique, la première victime pense que ce n’est pas le général qui a fait le coup, il dit non à une question qui  lui a été posée. Il dit aussi : j’avais  discuté avec lui en tête-à-tête et je ne pense pas qu’il irait jusque-là. Il dit enfin qu’il pense que c’est peut-être sous la pression que le général a assumé. Donc vous voyez que c’est l’une des vérités qui est aussi celle de notre client. Et il vous dit que si vous voulez plus de vérités, il n’y a pas que ceux-là qui devaient être dans le box des accusés, ces personnes ne devaient même pas être là selon le général», a poursuivi le conseil en faisant allusion à la hiérarchie militaire tant indexée par «Golf ».

 

Selon Me Mathieu Somé, Fatou Bensouda, procureure de la Cour pénale internationale (CPI), au lieu de trouver des preuves contre Jean Pierre Bemba, a plutôt mis en avant sa conviction. Résultats des courses, le fils de Jeannot Bemba Saolona a été acquitté. «Si le parquet a dit le 7 décembre 2018 à 10h40 qu’il a sa conviction sur cette affaire, cela veut dire qu’il n’a plus besoin de preuve pour établir la culpabilité ou non de l’accusé, en faisant fi de l’article 427 du Code de procédure pénale. Nous attendons plutôt du parquet qu’il apporte des preuves pour gagner la conviction de l’opinion et du tribunal », a fait observer Me Somé.

 

L’audition du général Gilbert Diendéré reprendra ce matin 12 décembre 2018 à partir de 9h.

 

 

 

San Evariste Barro

 

Aboubacar Dermé

 

 

 

Encadré 1

 

Que dit l’article 427 du Code de procédure pénale ?

 

 

 

« Hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d’après son intime conviction.Le juge ne peut fonder sa décision que sur des preuves qui lui sont apportées au cours des débats et contradictoirement discutées devant lui ».

 

 

 

Encadré

 

«Le parquet instruit même à surcharge»

 

 

 

A l’issue de l’intervention des conseils de l’accusé, les autres avocats de la défense ont eu la parole pour, qui tenter de défendre leurs protégés, qui faire des observations sur l’instruction du dossier d’une manière générale. Me Silvère Kiemtaremboumbou, lui, a embrassé ces deux aspects : «Le 3 décembre 2018, le parquet a cherché à savoir en quelle qualité  les sous-officiers sont venus le chercher, le même parquet a dit que le général a donné des ordres et le mis en cause a rétorqué de donner un exemple. Le ministère public a pris le cas de l’avion qui a été affrété pour aller chercher le matériel de maintien d’ordre. Il dit que la hiérarchie militaire ya été impliquée, mais que ça n’engage pas sa responsabilité à partir du moment où elle obéissait au chef suprême des forces armées, président du CND. A partir de quand fait-on cette distinction ? Des gens ont respecté ses ordres, mais n’en ont pas été inquiétés, c’est dangereux. Soit tout le monde est poursuivi ou personne n’est poursuivi. Il n’y a aucune sécurité procédurière quand on procède ainsi», a expliqué Me Kiemtaremboumbou. Et d’aborder un autre volet qu’il qualifie de discrimination dans cette affaire : «Pourquoi le parquet dit que des personnes ne peuvent pas être poursuivies et que d’autres peuvent l’être alors qu’elles étaient toutes dans la même situation ? Dans les cortèges, il y avait des éléments du RSP et des gendarmes. Pourquoi eux, ils ne sont pas ici ? La conséquence est qu’on doit appliquer le même traitement à ceux qui sont là. Je pense à Timboué Tuandaba, à Kaboré Adama, à Minata Guelwaré sinon le parquet instruit uniquement à charge et même à surcharge», a conclu l’avocat.

 

 

A.D.

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