Menu

Procès putsch manqué : « Le parquet fait beaucoup d’affirmations mais peu de preuves »(Me Jean Yaovi Degli)

 Le général Gilbert Diendéré était de nouveau à la barre du tribunal militaire le vendredi 14 décembre 2018 pour son 11e jour d’interrogatoire. Une audience qui été principalement marquée par des joutes verbales entre l’accusé, ses avocats et le procureur militaire. Selon son conseil, Me Jean Yaovi Degli, le parquet militaire fait beaucoup d’affirmations mais fournit peu de preuves.

 

 

Après déjà 11 jours d’audition, l’interrogatoire du général Gilbert Diendéré semble tirer vers sa fin, c’est ce qu’a dit le parquet vendredi en précisant que c’était sans doute son dernier tour de parole. Un dernier round de ce combat entre l’accusation et la défense que le ministère public a essentiellement mis à profit pour réagir sur des observations faites par les avocats de «Golf» ou par l’accusé lui-même lors des audiences précédentes. Premier conseil a être contredit par le procureur militaire, Me Jean Yaovi Degli qui, par rapport à l’infraction d’intelligence avec l’ennemi qui pèse sur son client, avait indiqué qu’elle n’était pas constituée puisque le Burkina Faso n’était en guerre ni avec la Côte d’Ivoire ni avec le Togo, deux pays d’où est arrivée de l’aide pour les putschistes de Ouagadougou. Selon le parquet, la notion d’ennemi est «dynamique» et va au-delà de la définition  classique qu’on  lui attribue. L’ennemi peut être ainsi, selon la définition qu’il retient, «un groupe, une organisation qui par ruse ou intelligence pose des actes dans le but de déstabiliser un régime».

Outre le matériel de maintien d’ordre ramené des frontières ivoirienne et togolaise, le représentant de la force publique met en avant des échanges téléphoniques entre des «agents étrangers» et le cerveau présumé du coup d’Etat dont le verbatim laisse peu de place au doute. «Tous les appels concourraient au changement de régime», a en effet affirmé l’accusation. Le procureur militaire en veut pour preuve des messages envoyés par un certain Roger qui suggérait au temps fort du putsch «la neutralisation de personnalités», «l’envoi de commandos pour attaquer des positions de l’armée loyaliste» ou la création d’un «Conseil de salut public».

En réponse toujours à l’avocat togolais de l’ex-chef d’état-major particulier de la présidence du Faso qui plaidait pour pouvoir verser comme preuve devant le tribunal un croquis du PC du camp Naaba Koom II où a eu lieu le 16 septembre la réunion entre Diendéré et les officiers, le ministère public, s’appuyant notamment sur l’article 9 du statut du personnel des forces armées, a argué que la requête ne pouvait pas aboutir. D’après cet argumentaire, les militaires doivent faire preuve de discrétion sur des infos ou des documents dont ils ont connaissance. En plus, a soutenu le procureur militaire, «les plans des lieux sensibles sont des documents classifiés». Et d’assurer : «Loin de nous l’idée de faire obstacle au droit de la défense».

De même, la partie poursuivante n’a pas la même lecture que l’avocat du principal accusé du message adressé aux chefs militaires par le chef d’état-major général des armées le 21 septembre 2015.  Pendant que Me Degli interprète cette communication du général Pingrenooma Zagré comme un signe de sa complicité avec les putschistes, le ministère public considère, lui, qu’il s’agit là d’un simple message militaire en vue d’informer la troupe d’une situation donnée. «C’est comme ça dans le milieu militaire, ce message n’avait pas pour vocation de soutenir le coup d’Etat», a-t-il souligné.

Poursuivant sa mise au point, le procureur militaire a apporté une précision sur une déclaration du général Gilbert Diendéré, lequel avait affirmé qu’un avion de reconnaissance, le Diamond Aircraft 42 (DA42), qui pourrait être utile au front dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, était cloué au sol pour une panne de 10 millions de francs CFA. A en croire le parquetier, si le coucou est immobilisé, ce n’est pas pour une affaire de 10 millions mais pour «un problème d’exécution d’un contrat de maintenance». Selon ses propos, le «problème» serait résolu dès le lendemain de l’audience (15 décembre 2018).

A la défense, qui l’accuse de n’avoir pas de preuves sur les infractions d’homicides volontaires,  le procureur a indiqué que «tous les éléments concourent à dire que les auteurs des crimes étaient habillés en tenue spécifique du RSP, la tenue Léopard».

Réponse du berger à la bergère, le général Gilbert Diendéré, après avoir écouté patiemment l’accusation et griffonné des notes dans son calepin, a donné la réplique en commençant par là où a terminé le ministère public. «L’absence de preuves, ce n’est pas nous qui le disons, mais le procureur lui-même. Dire que les éléments portaient la tenue RSP, c’est bien mais il y a 1300 personnes qui portaient cette tenue au RSP. Ce que les gens veulent savoir, c’est qui a fait quoi et non pas globaliser et faire des raccourcis », a-t-il tonné.

Concernant le DA42, l’ex-ange gardien de Blaise Compaoré préfère se jeter des fleurs au lieu de  polémiquer : « Je pense qu’on devrait remercier le général Gilbert Diendéré pour avoir levé le lièvre. Que ce soit 10 millions ou 20 millions, l’essentiel est que les dispositions ont été prises pour régler le problème».

Sur le message du CEMGA,  voici la réaction de «Golf» : « Le problème, ce n’est pas d’informer les gens. Depuis le 17, tout le monde savait qu’il y avait un problème. Pourquoi attendre jusqu’au 21 pour envoyer un message aux militaires ? Le CEMGA devait dès le 17 dire qu’il n’était pas d’accord».

L’accusé a affiché également son désaccord avec le procureur militaire sur le caractère secret du plan du PC de Naaba Koom.  «Ce qui a été produit ici n’est pas un document classifié. Ce qui aurait été classifié ce serait un plan type du bâtiment. Alors que là c’est un document que j’ai fait à la main», a-t-il défendu.  Ce croquis lui aurait permis de montrer qu’il n’a pu faire encercler le poste de commandement lors de la rencontre avec les officiers comme l’ont, d’ailleurs,  signifié certains des participants à cette réunion.

 

A propos des échanges avec le fameux Roger que le général affirme d’ailleurs ne pas connaître, il a soutenu n’avoir jamais réagi aux  conseils de l’intéressé : «Je n’ai même pas prononcé une seule phrase. En quoi ce qu’il dit m’engage ? Je n’ai pas fait ce qu’il a dit». Et d’en conclure : «Ce n’est pas un motif pour dire que j’étais en intelligence avec l’ennemi». En appui à son client, Me Degli soulignera que, durant les événements, des individus avaient publié «à dessein» le contact du président du CND. N’importe qui,  a-t-il ainsi expliqué, pouvait joindre téléphoniquement le cerveau présumé du putsch pour dire ce qu’il voulait. «Pour qu’on puisse parler d’infraction, il aurait fallu que le général suscite l’intervention ou les propos de ces personnes», a estimé l’avocat avant de lancer que : «Au niveau du parquet, il y a beaucoup d’affirmations mais peu de preuves et de démonstrations ».

Le général sera de nouveau à la barre ce 17 décembre 2018, pour son 12e jour d’interrogatoire.

 

Aboubacar Dermé

Hugues Richard Sama

 

« On dirait des civils ! »

 

Durant l’audience, le général Gilbert Diendéré s’est montré quelque peu exaspéré par l’attitude du parquet militaire qui, à l’entendre, semble ignorer les pratiques et les règles militaires, alors que le procureur est lui-même un galonné. « J’ai l’impression que nous sommes devant un tribunal civil »,  « On dirait des civils ! », «  … Et voilà comment ils raisonnent ! », s’est-il offusqué à plusieurs reprises avant d’être rappelé à l’ordre par le président du tribunal, Seidou Ouédraogo. Piqué au vif, Alioun Zanré s’est senti obligé de «rassurer» le général sur le fait qu’il était bel et bien un militaire. «Je suis de la classe 89 », a notamment précisé le commandant Zanré.

 

H.R.S.

 

 

Le message de Fatou à Kiéré

 

Pour tenter de prouver que le coup d’Etat a été prémédité contrairement à ce que « le père spirituel du RSP » n’a cessé de défendre, le ministère public a lu un SMS signé de «Golf épouse» et adressé au colonel-major Boureima Kiéré le 17 septembre 2015 aux environs de 5h. « J’ai besoin de vous pour pouvoir régler le problème de technicien à la télé », a écrit Fatou Diendéré. «Est-ce en rapport avec la lecture de la déclaration du CND ? » a voulu savoir le parquetier. « On m’a lu un SMS que je n’ai pas envoyé, que je n’ai pas reçu et dont je ne suis pas au courant. Donc je ne veux pas répondre. Je ne vois pas en quoi mon épouse va se mêler de problème de technicien à la télé», a réagi l’accusé. Relancé par le procureur militaire, il ajoute : «Elle est aussi accusée dans cette affaire. Attendez qu’elle vienne et vous lui poserez la question». La conviction du parquet est en tout cas faite que ce message est la preuve que le coup était prémédité sinon Fatou Diendéré, qui n’avait pas participé aux tractations de la nuit, ne pouvait pas être informée qu’une déclaration de prise du pouvoir devait être faite le 17 à la télé.

H.R.S.

Dernière modification lemardi, 18 décembre 2018 17:23

Ajouter un Commentaire

Code de sécurité
Rafraîchir

Retour en haut