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Yacouba Sawadogo de Gourga : Notre homme de l'année

Pioche, daba et bien d'autres outils de travail de la terre en main, il a arrosé par sa sueur une  terre aride et latéritique. En quatre décennies de dur labeur, les fruits ont été au rendez-vous : une forêt d’environ 30 hectares  a poussé sur des terres jusqu’alors infertiles avec  quatre-vingt-dix (90) espèces d’arbres et d’arbustes. Si cela correspond aux espérances de l'octogénaire du village de Gourga, dans le Yatenga, la reconnaissance internationale ne faisait pas partie de son objectif. Pourtant Yacouba Sawadogo, puisque c'est de lui qu'il s'agit, a été lauréat du prix Nobel alternatif, qu’il a reçu le 23 novembre 2018 à Stockholm. Cet amoureux fou de Mère Nature est notre homme de l'année dont on décompte les dernières heures.

 

Dans un contexte de changement climatique qui fait courir les dirigeants mondiaux de Paris à Born en passant par Marrakech, la lutte contre la sécheresse reste une préoccupation majeure, surtout pour un pays sahélien comme le nôtre. Comment utiliser rationnellement le peu d'eau que Dame nature consent encore à nous donner ? Comment faire se reconstituer le couvert végétal, qui perd du terrain sous l'action anthropique avec une croissance démographique galopante ? Comment redonner à nos terres leur fertilité d'antan ; elles qui ont tant été balayées par les vents dont la fréquence et la vitesse sont de plus en plus saisissantes, faute de végétaux comme réceptacle naturel ?

Agronomes, botanistes, écologistes et climatologues ne chôment pas dans leurs laboratoires et se succèdent sur toutes les tribunes pour tirer la sonnette d'alarme sur les menaces diverses que subit notre planète. Sans être d'aucune école, sans se revendiquer d'un courant de pensée écologique, Yacouba  Sawadogo a réussi là où les collectivités ont échoué. Combien de ‘’forêts’’ dites communales ne peuvent pas être le repère du moindre levraut ou  hérisson, faute de buissons ? En tout cas, à chaque saison pluvieuse, les médias se font l'écho de cérémonies folkloriques de plantation d'arbres où l'intérêt des participants pour les plantes s'arrête dès que les caméras et les micros s'éloignent. A Gourga, un village limitrophe de Ouahigouya, dans laprovince du Yatenga, Yacouba Sawadogo a développé une pratique de Zaï forestier dès les années 80.

Elle consiste à creuser de petits trous de 40 centimètres sur des terres latéritiques et à y mettre du composte. Ces poquets creusés en pleine saison sèche retiennent l'eau qui s'infiltre plus facilement et régénère le sol. Considéré comme le fou ou l'idiot du village et ayant fait l’objet de quolibets, ce cultivateur n'a pas renoncé à sa passion. Pour lui, la vie n'a de sens que si nous restons fidèles à nos convictions et à notre foi en un monde meilleur. Persévérant dans l'effort, ses outils archaïques de travail n'ont pas quitté ses mains calleuses. Sous la chaleur torride, sa sueur a permis à la nature de reprendre ses droits sur une trentaine d'hectares qui ont vu pousser quatre-vingt-dix espèces d'arbres.

Sur le site, on peut entendre aujourd'hui le gazouillement des oiseaux couvert par le feuillage fourni des arbres, voir un lièvre se sauver parce que surpris dans son gîte par une présence indésirable, admirer les papillons et les libellules, apercevoir les mouches, les sauterelles et autres insectes s'agglutiner sur les fleurs pleines de vie de la flore, marcher sur des hautes herbes qui envahissent le périmètre, bref observer un îlot de verdure en plein désert. Cette œuvre à laquelle ce paysan a dédié sa vie lui vaut aujourd'hui ce qualificatif : "l'homme qui a arrêté le désert". Quoi de plus normal que le Prix Right Livelihood ou Prix Nobel alternatif 2018 lui soit décerné.

Il a fait le voyage sur les bords de la mer baltique, où il a reçu à Stockholm le 23 novembre 2018 son prix, d’une valeur de 96 000 euros, soit plus de 60 millions de F CFA. Il est le 167e lauréat du prix international et le 3e Burkinabè à l’avoir eu, après Bernard Lédéa Ouédraogo (en 1990) et le Pr Joseph Ki-Zerbo (en 1997). Il a hissé le nom de son pays au rang de ceux qui s'illustrent par des pratiques innovantes en vue de maximiser leur résilience aux changements climatiques. Ce qui lui a valu d'être reçu à son retour par le président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré, le 3 décembre 2018 et d'être  élevé au Grade d’officier de l’Ordre national.

Et dire qu'il s'est battu dans l'indifférence totale de ces concitoyens et a même failli être exproprié par les autorités communales à travers une opération de lotissement ! Comme quoi, nul n'est prophète chez soi et il a fallu cette reconnaissance internationale pour sortir le téméraire de Gourga de l'ombre de ses ...arbres.

 

Abdou Karim Sawadogo

Encadré

 

"Mon nouveau défi, ériger  un centre de médecine traditionnelle"

 

Après avoir passé 45 ans à constituer une forêt qui lui a valu le prix Nobel alternatif 2018, Yacouba Sawadogo, natif de Gourga, âgé de 78 ans, envisage à présent de construire un centre de médecine traditionnelle pour contribuer à la santé de la population.

 

 

L'air taciturne, le visage serein, Yacouba Sawadogo est très réservé dans ses propos. Il se définit comme un homme d’actions, pas un beau parleur. A son jeune âge, il a été envoyé par son père au Mali pour l'école coranique. Revenu au pays, il s'est lancé dans des activités commerciales en ouvrant une boutique au grand marché de Ouahigouya. Même si son commerce prospérait, il a décidé de tout abandonner pour se consacrer à l'agriculture et à la préservation de la nature. "J’ai été révolté par la grande sécheresse dans les années 1970 qui a plongé les populations du Mali et du Nord du Burkina Faso dans la souffrance.

 

Cette sécheresse a provoqué la mort de plusieurs personnes, car elles n’avaient rien pour se nourrir. Beaucoup ont été obligés de se déplacer vers d'autres contrées où le climat était favorable. Pour ma part, j'ai pensé qu'il fallait s'adapter au climat de notre région. Il ne fallait pas  faire de la rareté des pluies une fatalité. Après des nuits blanches, j’ai fini par arrêter mon commerce pour me consacrer à la terre.

 

Au départ, on me considérait comme un fou et il a fallu  que je démontre que je savais ce que je voulais", relate Yacouba Sawadogo. Aujourd’hui, il estime avoir atteint les objectifs qu'il s'était fixés, à savoir la restauration du sol avec des éléments nutritifs, la préservation de l’environnement, la lutte contre  l'insécurité alimentaire, l'usage de plantes pour apporter la santé à l'homme.

 

En plus de planter les arbres dans la forêt, dans son champ Yacouba Sawadogo pratiquait le Zaï, les cordons pierreux, les diguettes pour bien canaliser les quelques gouttes de pluies qui tombent. Cette technique a fait de lui un producteur modèle qui remplit plusieurs greniers à chaque récolte. S'il reconnaît avoir eu plusieurs distinctions grâce à ses efforts inlassables, le plus prestigieux, affirme-t-il, est le prix Nobel alternatif qu'il a reçu en Suède tout dernièrement.

 

Dans certains milieux proches du bénéficiaire, on évalue ce prix à 190 000 euros, soit plus de 126 millions 486 000 francs CFA. Mais Yacouba Sawadogo se refuse de certifier ce montant. "Je me garde de conjecturer sur ce que je n'ai pas touché de mes doigts et palpé. Cela reste pour moi une promesse et j'attends de voir", nous rétorque-t-il. Cependant il ne manque pas d'idées pour l'utilisation à bon escient des retombées de son prix. ‘’Je vais tout consacrer à la forêt, la renforcer pour l'agrandir afin qu'elle me survive. Le combat qui me reste, c'est la construction d'un centre médical traditionnel digne de ce nom. J'ai franchi une étape en me dotant de plusieurs arbres. L'autre défi, c'est de mettre ces arbres au service de l'humain. C'est en cela que beaucoup sauront que l'arbre est un trésor. Depuis quelques années, chaque jour je soigne au moins une personne par les plantes", dévoile-t-il avant de demander à toutes les bonnes volontés de le soutenir pour que ce projet de centre médical prenne forme. Une autre idée de Yacouba Sawadogo est de construire un centre d'élevage à l'intérieur de la forêt. Déjà, il a aménagé un grand trou avec d'autres petits trous aux alentours pour permettre aux oiseaux de se désaltérer.

 

 

 

Toujours habité par le chagrin

 

 

 

L'époux de 3 femmes et père de 27 enfants dit avoir baptisé sa forêt Bangr-Raaga, c'est-à-dire ‘’le marché du savoir’’,  traduisant  son engagement à faire en sorte que son initiative serve au monde entier.

 

A vue d’œil, le lauréat du prix alternatif donne l'air d’être un homme comblé, mais en échangeant avec lui, l'on se rend vite compte  qu'il est  habité par un souci. Son cœur est rongé par l’amertume. La déception se sent dans ses propos. Depuis ce lotissement de 2004 qui a envahi une partie de la forêt du vieux, il dit être déçu par la méchanceté des hommes. Il dit ne pas comprendre que certains prennent plaisir à détruire son dur labeur.

 

Après plusieurs rencontres de concertation avec les autorités communales, la mairie a décidé d'annuler les parcelles attribuées sur une partie de sa forêt. 14 attributaires se sont vu reloger ailleurs, mais il y a des réfractaires qui disent qu'ils ne bougeront pas. Un d'entre eux a déjà construit sur sa parcelle. Yacouba Sawadogo dit qu'il ne se sentira en paix que quand ce problème sera définitivement réglé. Au retour du lauréat à Ouahigouya, le 04  décembre 2018, le gouverneur de la région du Nord, Hassane Sawadogo, a promis d'entreprendre des discussions pour que soit préservée la forêt de Yacouba Sawadogo, qui pour lui n'est plus une propriété personnelle, mais un patrimoine mondial. Yacouba Sawadogo croise les doigts, implorant le ciel qu'elle soit tenue.

 

 

Emery Albert Ouédraogo

 

 

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