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Théâtre : Les Bouts de bois de Dieu au Cito

Après une première programmation en mai 2018, Le Cito a accueilli de nouveau en décembre l’adaptation du roman Les Bouts de bois de Dieu d’Ousmane Sembène. C’est une adaptation de Luis Marques dans une mise en scène de Luca Fusi et d’Aguibou Bougbali Sanou. Luca Fusi convoque un théâtre total pour rendre compte de la grève entreprise par les cheminots de la ligne Dakar-Bamako en 1947 pour plus de justice et de dignité.

 

 

Etrange qu’Ousmane Sembène, qui a porté la plupart de ces grands textes à l’écran, n’ait pas daigné le faire pour Les Bouts de bois de Dieu, le second roman dans sa longue bibliographie. L’explication se trouve certainement dans la difficulté à trouver les ressources pour une telle adaptation qui aurait nécessité les moyens colossaux d’une superproduction. On se rappelle que Danny Glover s’était engagé à porter le roman à l’écran dans les années 2008-2009, mais ce doit être un des éléphants blancs du cinéma, ce texte ! Pour le faire, il aurait fallu une reconstitution des quartiers coloniaux, avec le quartier des cheminots, les gares, les locomotives, des décors d’époque, etc. Des exigences de vérisme dont ne s’embarrasse heureusement pas le théâtre. Voilà pourquoi aucune adaptation ne résiste à une transposition sur les planches.

Il faut dire que ce n’est pas la première fois que ce roman est porté sur la scène : Hugues Serge Limbvani l’a adapté et mis en scène en 2008 au Théâtre de la Tempête à Paris avec une équipe internationale. La mise en scène de Luca Fusi est minimaliste, d’une grande économie dans les décors. Une double ligne de rail à l’arrière-scène figure l’univers du rail. Une arène de lutte traditionnelle, avec du sable et délimitée par des sacs, matérialise le champ de bataille ; des costumes gris pour tous les cheminots ; chemise blanche pour les patrons Blancs ; boubou brodé pour le commerçant et voilà campé l’univers des Bouts de Bois de Dieu.

Les péripéties de la grève sont livrées aux spectateurs par le truchement du récit d’une vieille dame, flétrie par les années. Elle fut témoin de cette bataille qu’ont livrée les ouvriers de l’Afrique de l’Ouest contre l’injustice des colons français en 1947. Elle était la petite Adjibidji pendant la grève, et c’est une vieille femme, incarnée par Halima Nikiéma, qui s’épanche, et ses souvenirs se matérialisent sur la scène.

La pièce réunit une belle brochette de comédiens de talent, mais la mise en scène a privilégié le collectif. C’est plus à travers la danse, la chorégraphie, la musique de Roger Wango que se tisse la trame de cette lutte sans merci. Seule Halima Nikiéma, parce qu’elle est la narratrice, peut déployer son talent, et elle en a à revendre. Comment deviner que sous cette vieille qui traîne son corps voûté par les années, à la voix hésitante et à la gestuelle lente qui semble tirer avec ses doigts les fils de la mémoire, comment deviner sous cette relique la comédienne au jeu d’habitude très physique ?

Toutefois, si aucun comédien n’émerge du collectif comme aucune goutte ne se distingue dans la mer étale, il arrive qu’une vague s’élance et retienne l’attention : c’est par exemple le combat entre le bélier Vendredi d’El hadj Mabigué et Ramatoulaye, chorégraphié comme une corrida ; c’est la mort du petit cheminot tué par Isnard dont la mise en scène rappelle la photographie très connue de la mort du petit Hector Pieterson porté par son ami en pleurs lors du massacre des écoliers de Sharpeville en 1976.

Cette adaptation a opté pour la fidélité au roman avec quelques économies, elle a fait le choix de montrer la face glorieuse de la lutte et de rejeter hors scène les vilenies et les trahisons. Elle célèbre non seulement la détermination des hommes à refuser l’iniquité mais aussi le combat des femmes pour nourrir la famille malgré les privations et raffermir la détermination des hommes. Bien sûr, il y a des tentatives d’accrocher le wagon de l’actualité du Burkina dont le front social est en ébullition à la locomotive de cette grande grève à travers des références à notre histoire récente. Mais si cette grève est la première des ouvriers de l’Afrique de l’Ouest francophone, elle est universelle et intemporelle, car elle traduit la perpétuelle lutte d’hommes et de femmes pour plus de justice et de dignité.

En somme, Luca Fusi  et Aguibou Sanou réussissent une belle mise en scène dynamique qui fait que le spectateur s’accroche malgré la longueur de la pièce.  La pièce se clôt sur le sifflement de la locomotive qui redémarre sous les hourras des ouvriers qui ont fait plier le patronat.

Saïdou Alcény Barry

 

 

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