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Explosion de Kossoghin : Il y a 5 ans, c’était Larlé

 

L’explosion qui a secoué les habitants du quartier Kossoghin de Ouagadougou  dans la matinée du lundi 14 janvier 2019 et qui a fait un mort et une quarantaine de maisons soufflées  n’est pas sans rappeler la déflagration qui eut lieu le 15 juillet 2014 à Larlé. Ce drame, on s’en souvient, avait occasionné cinq décès et la destruction de plusieurs constructions. Que sont devenues les victimes de cette tragédie ? Est-ce qu’elles ont été dédommagées ? Ont-elles bénéficié du soutien des autorités pour reconstruire leurs habitats ? Cinq ans après, nous sommes repartis sur les lieux dans la matinée d’hier, mardi 15 janvier 2019. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la douleur est toujours vive chez certaines personnes.

 

 

Le 15 juillet 2014, vers 18h, le temps s’est arrêté pour de nombreux habitants du quartier Larlé de Ouagadougou. Une explosion a balayé tout sur un grand rayon. Cinq ans après, de nouvelles maisons se dressent sur ce qui n’était qu’amas de ruines. Qu’il s’agisse du propriétaire de la cour où la déflagration a eu lieu ou même des voisins, chacun a réussi tant bien que mal à rebâtir son logement ou son commerce. Et si quelques-uns ont pu achever tous les travaux, ce n’est pas encore le cas pour beaucoup : les finitions sont en effet quasi inexistantes. Le cratère laissé béant par la détonation a été rebouché et on pourrait difficilement imaginer ce qui s’y est passé. Mais les mauvais souvenirs, eux, s’effacent difficilement, malgré le temps qui passe. La douleur est toujours très vive chez les riverains et beaucoup ont toujours les nerfs à fleur de peau. En témoigne la façon dont nous avons été accueillis sur les lieux.

 

En effet, devant la porte de la maison d’où l’explosion est partie, nous avons rencontré un monsieur à l’allure svelte, mais au caractère bien trempé. Il s’agissait du voisin immédiat qui n’a pas voulu nous donner son nom. De toutes les questions que nous lui avons posées, il n’a voulu répondre à aucune, affirmant que personne dans l’entourage ne voudra nous parler en dehors, peut-être, des commerçants installés au bord du bitume. Nous donnant quelques explications « en haut en haut », comme le disent si bien les Mossis, l’ancien CDR (Comité de défense de la révolution) finira par nous dire d’aller consulter nos archives si nous voulons avoir des réponses. Naturellement, vous comprendrez qu’on ne pouvait pas lui en tenir rigueur. Lui demander de se remémorer ce moment serait, en quelque sorte, une manière de remuer le couteau dans la plaie.

 

« Si je savais… »

 

Grégoire Ouédraogo, le propriétaire de la « cour à explosifs », après maintes hésitations, accepte néanmoins de revenir sur la tragédie qui a pulvérisé un bon nombre de maisons et occasionné 5 pertes en vie humaine. Comme il l’a affirmé aux enquêteurs en son temps, le tapissier assure qu’il ignorait royalement que sa maison était en réalité une véritable poudrière. Quelque deux semaines avant le drame, un homme dont il dit aujourd’hui avoir oublié le nom (Ndlr : Adama Pafadnam, le principal suspect), a loué un de ses magasins pour entreposer sa marchandise. Grégoire Ouédraogo déclare n’avoir pas posé de question sur la nature des produits et n’avoir rien constaté d’anormal. « Si j’avais su que c’étaient des explosifs, je n’allais jamais accepter », fait-il remarquer. Comme une mèche qui brûle progressivement vers une charge explosive, rien ne semblait donc pouvoir empêcher l’irréparable de se produire ce fameux 15 juillet 2014.

 

Ce jour-là, malheureusement, sa fille de 27 ans qui était restée à la maison avec une autre personne, a eu une grave blessure au niveau du visage. Et même si Rolande Ouédraogo a, à l’époque, subi une intervention chirurgicale, les séquelles de cet accident sont toujours perceptibles sur une partie de sa joue et de ses lèvres. Elle porte encore des traces de brûlures sur le corps et est contrainte de porter des verres, puisqu’elle a perdu un œil dans l’explosion. Nous avons eu l’occasion de la voir lors de notre visite, avec son bébé au dos. La jeune femme, qui donne l’impression d’avoir retrouvé un peu d’équilibre, n’a pas voulu s’exprimer officiellement. Selon ce que nous avons pu voir, elle a vraiment eu un pincement au cœur lorsque nous lui avons parlé de ce qui s’est passé récemment à Kossoghin et de toutes les conséquences que cela a entraînées. Elle devait certainement, à ce moment-là, voir défiler sous ses yeux le drame qui s’était abattu sur eux. S’agissant de comment tout cela a pu se produire, la jeune femme n’a pas osé s’aventurer sur ce terrain.

 

Bien que la déflagration ait été liée à une mauvaise manipulation de produits dangereux, 5 ans après les théories de complot continuent en effet de foisonner. Entre le tir de roquette et l’attentat contre le Larlé Naaba, dont la cour est à l’autre côté de la rue, qui avaient notamment été évoqués, Aboubacar Niada ne sait pas quelle thèse privilégier, mais une chose est sûre, il n’accorde aucun crédit à la version officielle livrée par les autorités. Son atelier de couture a été rasé par la détonation. Depuis, les promesses ont afflué mais les victimes qui se sont constituées en association ont l’impression d’avoir été tournées en bourriques et oubliées par l’Etat. A part une aide de 200 000 francs CFA par commerce touché et le double par habitation, accordés par l’Action sociale, qu’elles estiment « insignifiantes », les personnes concernées n’ont pas encore reçu la moindre peccadille à titre de dédommagement. Il leur a fallu repartir de zéro avec leurs propres moyens et s’endetter, comme nous confie Nobila Issaka Sawadogo, propriétaire de boutique de pneumatiques. Il avait, en outre, loué un magasin dans la maison d’où est partie l’explosion. « Si ce ne sont la porte et la fenêtre, il ne restait plus rien », raconte-t-il. Amoché par le souffle, l’hôtel Yamba a fermé ses portes durant trois mois. Pour remettre l’infrastructure en état, plus de 4 millions de francs ont été nécessaires, nous indique son gérant, Hilaire Koama,  qui  a pris le soin de ranger les devis au cas où…

 

 

 

« Des gens ont profité de notre malheur pour se remplir les poches »

 

Aminata Ouédraogo habite à plusieurs mètres du lieu de l’explosion. Devant la porte, elle tient un petit restaurant. Au premier abord, on aurait du mal à croire qu’un incident de ce genre s’est produit en ce lieu. Pourtant, ce jour-là, après la déflagration, elle n’a rien pu ramasser de ce qui était dans son logis. C’est en tout cas ce qu’elle nous a fait savoir après un profond soupir. « J’avais au moins dix frigos. Aucun n’était récupérable. Tous mes meubles sont partis en fumée. La seule chose dont je pouvais me réjouir, c’est le fait qu’il n’y ait pas eu mort d’homme chez moi », a-t-elle déclaré, toujours autant solidaire des personnes qui ont perdu des proches dans le drame. Dame Ouédraogo ainsi que les autres membres de sa famille ont dû passer quarante-cinq jours dans l’école où les sinistrés avaient été logés avant d’avoir suffisamment de courage pour chercher des solutions qui leur permettraient de reconstruire leur habitation. Sur la question des dédommagements qui se font toujours attendre, la réponse de notre interlocutrice ne s’est pas fait attendre : « On nous avait promis de nous aider à rebâtir, mais rien, surtout après le départ du président Blaise Compaoré. Sous son règne au moins, on nous avait installés dans les écoles, on nous préparait du riz, on a acheté un ballon à nos enfants et on nous avait même installé un grand téléviseur. Après qu’il a été chassé du pouvoir, on n’a plus eu de nouvelles ». S’il y a une chose dont Aminata Ouédraogo est convaincue, c’est que des gens ont profité de leur malheur pour se remplir les poches ; même le fait que les riverains se soient organisés en association n’a pu l’éviter. « J’ai mal au cœur, je ne suis pas contente de nos autorités. Dorénavant, je ne vote plus pour qui que ce soit. Combien de fois nous avons été bernés au cours de ces cinq dernières années ? On nous dit que des financements ont été obtenus. On vient nous photographier et ensuite rien », a-t-elle déclaré avec une pointe de déception. Elle est certaine que ces mêmes personnes sont en train de se réjouir. A son avis, avec l’explosion de Kossoghin, c’est une nouvelle mine d’or qui s’ouvre à certains. « Néanmoins, nous allons continuer à espérer, d’autant plus que maintenant nous avons des ‘’collègues’’ », dira Aminata sur un ton ironique avant d’ajouter : « Si nous nous mettons ensemble, peut-être qu’on fera bouger les lignes. En tout cas, nous sommes maintenant dans le même bateau. »

 

 

 

Hugues Richard Sama

 

Zalissa Soré

 

                                                                                                                                             

 

Encadré

 

On prend les mêmes et on recommence…

 

 

 

- 15 cartons de gomma (GOMA 2ECO) ;

 

- 5 rouleaux de fils électrique de couleur jaune : Ricord (détonating Cad 6 mg) et safety fuse ;

 

- 2 cartons de charges explosives : Electronic detonator et Plain detonator (chaque carton contenant environ 5000 têtes explosives). Voilà l’arsenal que le sieur Adama Pafadnam avait entreposé à Larlé. Le 15 juillet 2015, il aurait instruit deux personnes d’aller en prélever une certaine quantité pour un client. Bonjour le drame !

 

Chargé de l’enquête, le lieutenant Issa Paré avait bien fait de rappeler au cours d’une conférence de presse que  « l’importation, l’achat, la détention, le stockage et l’utilisation des explosifs de toutes natures obéissent à des règles strictes et demandent une certaine technicité et des autorisations préalables. De même, avait-il ajouté, le stockage des différents composants de matières explosives dans un même local est très dangereux, et la moindre imprudence peut conduire à un drame ». C’est à croire que le pandore a prêché dans le désert puisque, cinq ans plus tard, les mêmes causes ont produit les mêmes effets. Et la famille Pafadnam semble avoir le monopole de la mort par explosion à Ouaga. Le locataire de la villa de Kossoghin dans l’arrondissement 9 serait, en effet, un frère d’Adama Pafadnam, « l’artificier maladroit » de Larlé. Quoi qu’il en soit, le laxisme que nous avions dénoncé à l’époque semble avoir toujours cours. Combien de drames comme ceux de Larlé et de Kossoghin faudra-t-il avant que les autorités compétentes prennent les dispositions pour empêcher certains individus de jouer littéralement avec le feu et la vie de paisibles citoyens en plein cœur de la capitale ? Il y a, en tout cas, fort à parier que d’autres dépôts sauvages existent dans la capitale et dans le reste du pays et il est de l’intérêt des voisins de dénoncer ces marchands de mort pour leur propre sécurité.

 

 

H. R. S.

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