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Arrondissement 10 de Ouagadougou : De juillet à octobre, Wiidtogin a les pieds dans l’eau

Le 17 janvier 2019, alors que  Dame Nature avait cessé d’ouvrir ses vannes il y a déjà quatre mois, un groupe de riverains du canal Ana na  yéélé, représentant  au moins les trois milles âmes qui crèchent à Wiidtogin, nous conte leur misère. Eux, qui  disent ne plus savoir  à quelle autorité se vouer, affirment qu’ils sont contraints par les inondations, causées par l’inachèvement de l’aménagement du canal, à quitter leurs domiciles  pour quatre mois à compter de juillet.

 

 

Wiidtogin, c’est le nom du quartier mitoyen du terminus du canal Ana na yéélé. Situé à l’est de la  sortie de la capitale,  auréolé de quelques villas huppées, le quartier n’a que  de piteuses routes avec des crevasses. Devant chaque porte, on caracole au mieux pour  accéder à sa maison.  Ce n’est assurément pas le quartier le mieux loti de Ouaga. Difficile d’accès, il est aussi invivable, selon ses habitants, dès la première averse.

 

« Depuis 2009, quand la saison pluvieuse s’installe, nous sommes au moins trois mille à déménager. Les riverains du canal vivent dans la souffrance et la misère. Quand nous venions ici nous ne savions pas que c’était ainsi. Sinon personne n’allait accepter de mettre son argent dans l’eau. C’est après un lotissement que nous avons été attributaires », a regretté amèrement Joseph Kaboré. Leurs explications et  leurs descriptions vous font voir leur calvaire : des laissés-pour-compte au milieu des eaux. 

 

Alors que nous fendions les herbes épineuses et les eucalyptus pour  constater la réalité du terrain, ils s’assemblent au bord du ruisseau. Ce ne fut pas d’ailleurs une promenade de santé puisqu’il fallait affronter la puanteur des excrétas et des ordures, et éviter les piqûres des herbes épineuses, l’espèce dominante dans les sillages.  

Alignés derrière quatre guides, qui s’enquièrent chaque fois des nouvelles de la nuit auprès des voisins dès qu’ils  les rencontrent, nous partons pour une randonnée. A la vue du sol, sans être un spécialiste, on se rend compte qu’il est marécageux.  Par endroits, l’eau continue de jaillir du sous-sol. 

 

« Voyez là ! La partie noire ce sont les traces des eaux. Quand elles stagnent, elles montent jusqu’à au moins un 1m20. Immédiatement après une pluie on atteint parfois 1m80 », décrit Joseph Kaboré l’indexe pointé sur la septième couche d’un mur de dix briques de hauteur. Ces traces noires,  on les  retrouve sur tous les murs.

 

Certains  attributaires de parcelles ont cru avoir été suffisamment prévoyants en construisant leurs bâtiments sur  des remblais de latérite d’un mètre de haut. Mais ils ont été rattrapés par les réalités du terrain. Les multiples parcelles non mises en valeur ou encore les concessions abandonnées en disent long  sur la situation  de l’espace. Selon les confidences de nos compagnons de route, certains, après coup, ont tenté de liquider  leurs terrains encombrants  sans avoir de preneur. Tout le monde a flairé la mauvaise affaire.

 

 

 Les guides, en file indienne et se faufilant  toujours entre les herbes épineuses et les feuilles d’eucalyptus,  nous mènent tout droit au bord d’un ruisseau où coulent encore des eaux de couleur rougeâtre. « Elles viennent des usines », assure Fayçal Sinini avant de poursuivre : «Ce canal inachevé que vous voyez au loin là-bas et dont la largeur vaut quatre-vingt mètres est ce qui constitue notre péril ici. Il draîne les eaux de la ville, du barrage de Tanghin. Le volume des eaux  est trop important.  Une fois à notre niveau, l’eau, n’ayant plus de passage, se déverse et inonde nos maisons. Voilà le problème »,  explique-t-il.

 

 

Pour la quasi-totalité  des riverains, leur problème vient du fait que le canal est aménagé à moitié. Chaque fois qu’il pleut, selon le groupe, ils ont les  pieds dans l’eau. Comme un refrain, ils répètent à qui veut les entendre que, dès juillet, ils déménagent pour revenir en octobre quand le niveau de l’eau est bas. « Qu’ils aient pitié de nous. Nous sommes des citoyens au même titre que les autres. Il n’y a pas de raisons que nous soyons délaissés », dit un des déplacés saisonniers qui a requis l’anonymat.

 

Ils se tournent désormais vers Roch

 

Le temps passe, et rien ne se passe alors que la saison des pluies va reprendre dans cinq mois en gros. Lassés  des promesses non tenues  du ministre de l’Urbanisme, du maire central et de celui de leur arrondissement, et n’ayant plus foi en l’association (Amicale des riverains pour l’aménagement du canal Ana na yéélé)qui les défend, ils se tournent vers le président Roch.

 

Et  leurs discours ressemblent à des  supplications du président du Faso. Groupés au bord du ruisseau périlleux, ils hésitent à ouvrir la bouche devant notre micro. Une dame du nom d’Albertine Ouédraogo, un peu claire,  moyennement élancée se jette enfin à l’eau :   «Nous souffrons beaucoup ici. A peine si nous ne sommes pas comme des rapatriés.  Ce n’est pas facile pour nous, les femmes, quand les maisons sont inondées.  Nous n’avons pas où dormir avec nos enfants. Chaque fois, on nous promet des lendemains meilleurs mais sans suite.  Qu’ils aient pitié de nous et ouvrent un passage à l’eau. C’est ce que nous leur demandons. Nous sommes aussi des enfants de ce pays», fulmine  Albertine Ouédraogo.

 

Elle qui ne décolère pas n’écarte pas l’idée d’une marche de protestation sur la mairie. Il n’en fallait pas plus pour que  les langues se délient.  Chacun s’arme de courage pour conter ses misères. A la suite d’Albertine, une autre dame,  de taille moyenne et bien balafrée sur les deux joues, sort du lot et, sans se faire prier, étale ses inquiétudes sur  l’avancée  des ravins que creusent les ruissellements d’eau qui ne sont plus qu’à une cinquantaine de mètres des logements.

 

«Si ça gagne du terrain encore, nos enfants,  nos maris et nous  serons tous dehors. On n’a pas de vie ici. Nous sommes des gens qu’on a oubliés. On ne comprend pas l’attitude de nos autorités et de notre association. Ils avaient donné novembre. Mais jusqu’à présent il n’y a rien, et nous n’avons pas d’informations. Voyez, ils sont en train de mettre l’électricité et  l’eau ; c’est quel drame que nous allons vivre ici ? De grâce nous demandons au président du Faso, père de toute la nation, d’avoir pitié de ses enfants. Qu’il vienne à notre aide », a supplié Elisabeth Bambara. Joseph Kaboré n’en dira pas plus.

 

Lui aussi  demande à  ‘’l’homme intègre’’  qui dirige actuellement le pays de les sortir de cette galère.

En sus les riverains du canal inachevé se désolent du fait que, depuis le début de leurs angoisses, le gouvernement ne fait rien pour eux, même quand il s’agit de se reloger.  Fort heureusement, jusqu’à présent, ils ne déplorent que des dégâts matériels.  «Nous remercions Dieu qu’aucune vie n’ait été perdue avec les crues du canal. Mais tout ce qu’il peut y avoir comme dégâts dans une maison en cas d’inondation, nous les connaissons chaque année et ce,  depuis 2009 »,  a soutenu Joseph Kaboré.

 

C’est sur une note d’espoir et d’exhortation à l’aide que les habitants de Wiidtogin nous raccompagnent jusqu’à nos engins en cette matinée. «Faites tout ce qui est en votre pouvoir pour qu’on nous entende. Nous n’en pouvons plus ! Aidez-nous », murmure un vieillard tout en nous précisant que la saison dernière, une de ses maisons s’est écroulée à cause des inondations. 

 

Lévi Constantin Konfé

Encadré

L’eau coule, les reptiles  avec

 

En cette matinée, les anecdotes ne manquent pas. Des récits de missions de sauvetage, des intrusions de reptiles dans certaines concessions rythment la tournée : ainsi ils relatent qu’en août 2016, un gendarme et un autre riverain ont eu la vie de leurs enfants et femmes sauvées de justesse par des voisins prompts. Le pandore était de garde alors que sa famille était prise au piège par des eaux après une pluie. Des voisins très avertis, alertés, ont décidé de braver les eaux. Selon les pompiers de circonstance, s’ils avaient tardé ce jour d’une poignée de minutes, l’irréparable se serait produit. Depuis lors il s’est relogé ailleurs.

Dans une autre cour en proie aux eaux ce jour,  il n’y avait que des enfants au nombre de trois à la maison. Alors que leurs parents étaient au boulot, eux, ils faisaient face  à l’eau qui submergeait tout dans la maison.  Ce jour, pour échapper à la noyade, ils ont eu l’ingénieuse idée de superposer des tables et des planches sur lesquelles ils ont trouvé refuge.

Outre le fardeau des eaux, certains riverains rapportent qu’ils font face à des reptiles (crocodiles et boas) chaque fois que les eaux montent à hauteur de leurs murs. « L’eau vient avec des crocodiles. Nous les avons souvent vus ici. Un jour après une pluie un de nos voisin a vu un boa dans son immeuble », raconte Joseph Kaboré.

 

LCK

 

 

 

 

 

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