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Débat : «Parler de problème d’intégration des Peulhs dans le Mogho est une erreur»

Avant-propos : Avec cet essai, je vais recevoir les foudres de quelques extrémistes, tribalistes, ethnicisés et communautaristes... Cela ne m’arrêtera pas. Je travaillerai avec tous ceux qui veulent donner une chance à notre projet national.

 

En ces temps de questionnements et de doutes, peut-être faut-il faire attention avec les termes que nous utilisons pour ne pas briser des socles séculaires à cause de cette conjoncture. Depuis les événements malheureux des attaques terroristes, les termes sont utilisés avec maladresse dans une époque où la communication n’a jamais été aussi cruciale qu’intense.

La moindre phrase prononcée ou écrite fait tout de suite le tour du monde et entre dans des foyers où elle ne serait jamais entrée autrement. Dans ce contexte, le mauvais usage des termes peut jeter de l’huile sur le feu au risque de briser du solide. Plusieurs éléments laissent croire que le manque d’information voire l’ignorance est un facteur de ce risque. Alors allons à l’exercice de définir certains termes selon leurs assertions originales et normales malheureusement galvaudées. Profitons également pour rappeler ce qu’est la Nation au Mogho.

 

Pourquoi un tel exercice maintenant ?

 

Le 1er janvier 2019, un groupe d’individus a assassiné le chef du village de Yirgou et six autres personnes. Une section du groupe d’autodéfense Koglweogo décide de représailles et massacre des communautés peulhes avoisinantes, car selon certaines versions, les agresseurs seraient des Peulhs ou auraient été hébergés par des Peulhs. Un effroyable bilan ! Plusieurs observateurs en déduisent tout de suite qu’il s’agit d’un problème interethnique, intercommunautaire ! Que nenni !

Les grands drames dans l’histoire prennent racine parfois quand on refuse de nommer correctement les choses : un groupe d’autodéfense existant hors de toute législation et toléré par les gérants de l’Etat du Burkina Faso a massacré une partie de la population burkinabè. Ce sont les faits. Des observateurs et commentateurs de tout acabit se sont lancés dans des interprétations tendancieuses et très dangereuses pour notre pays. Certains propos émanent de l’ignorance pure et simple de leurs auteurs quant à la structure profonde de la société qu’ils tentent d’analyser.

C’est ainsi que le Dr Siaka Coulibaly, dans une interview accordée au portail Lefaso.net, a lancé quelques phrases malheureuses qu’il nous semble opportun de souligner ici et de nuancer fortement par quelques rappels de faits sociaux.

Ainsi on a pu lire : « Cette question reste entière parce que la question peulhe inclut l’intégration de ce groupe qui est un groupe extraterritorial puisqu’il existe dans plusieurs autres pays, mais surtout celle de sa grande mobilité. Etant donné qu’ils se déplacent assez facilement, ils ont souvent posé des problèmes de gestion de terroirs, de ressources naturelles, de l’eau ou des pâturages dans un premier temps, mais dans un second, le problème de son intégration dans les autres groupes est aussi posé. Cette intégration, quand on fait l’observation à grande échelle, on se rend compte qu’elle est diversement réglée, selon les groupes en présence. »

 

Nécessité de nuancer le concept d’intégration

 

Avec respect, je me permets de dire au Dr Coulibaly mon total désaccord avec son propos et ma profonde tristesse quant à sa dangerosité. Cela n’a rien de personnel. Qu’entendez-vous par «intégration», répétée trois fois dans votre texte ? Nous devons chacun faire l’effort de ne pas utiliser facilement les vocables forgés dans des contextes sous d’autres cieux par d’autres. L’intégration à la française que vous semblez évoquer, non seulement n’est pas utilisée partout en Occident mais est surtout complètement étrangère à notre culture. Elle n’est pas recherchée. Jamais on ne demandera à quelqu’un de s’intégrer, car cela signifie lui enlever ses attaches avec sa filiation. Laquelle lui servait en général pour communier avec le divin.

L’intégration n’est pas une demande, elle n’est pas une exigence et n’est pas nécessairement souhaitée. Un des principaux quartiers de Ouahigouya est Bobossin (quartier des Bobo). La question de l’intégration ne s’applique pas sur le territoire du Mogho et je doute qu’elle s’applique d’ailleurs quelque part en Afrique. Même à un individu, on ne lui demande pas de s’intégrer et à plus forte raison une nation. Des individus peuvent adhérer. Des nations fusionnent. Les Peulhs sont des Peulhs. Ils n’ont pas vocation à être autre chose que des Burkinabè. Cela est valable aussi pour nous tous.

 

Le Mogho est une nation multinationale

 

Le Larousse définit une nation comme un « Ensemble des êtres humains vivant dans un même territoire, ayant une communauté d’origine, d’histoire, de culture, de traditions, parfois de langue, et constituant une communauté politique. » En référence à Monsieur Paré, notre professeur de philosophie qui avait suffisamment insisté sur ce point, ajoutons à la définition ceci : «…et ayant la volonté d’avoir un avenir commun».

Les Peulhs constituent une nation plus ancienne que la nation Moagha à laquelle fait partie des Peulhs, et avec d’autres. Parler d’une « question peulhe » est aussi une légèreté grave car il n’y a pas de « question peulhe ». Ne serait-il pas plus opportun de parler d’une question de partage ou de gestion du terroir entre groupes professionnels : Eleveurs et cultivateurs. Sachant que même cette généralisation est trop facile, car il y a des Peulhs qui ont des champs qu’ils cultivent dans les mêmes conditions que leurs concitoyens mossé. Ils participent et organisent, entre autres, des travaux champêtres communautaires (soa-ssoa-ga) auxquelles tout le monde participe !

Les Peulhs du Mogho possèdent des terres comme les autres composantes du pays. Cela n’est pas vrai partout en dehors du Mogho. Il y a des non-Peulhs qui possèdent aussi des troupeaux d’animaux qu’ils élèvent sur le même territoire.

Qu’en est-il de l’alliance historique des Peulhs et des autres populations du Mogho ?

Historiquement et de fait, est Mossi toute personne qui est née ou qui vit sur le territoire du Mogho et qui porte en même temps l’idée d’une communauté plurielle, fédérative.

Les Peulhs et les autres communautés qui vivent sur ce territoire et qui existent ailleurs sont considérés comme étant « les Peulhs du Mogho », « les Marka du Mogho », ou des Maransés, « les Zangweoto du Mogho », « les Yarsés du Mogho », à la différence par exemple des « Gambag Yarsé » (les Yarsés de Gambaaga dans le Nord-Ghana). N’importe quelle personne se référant à une carte détaillée trouvera sur le territoire traditionnellement reconnu comme le Mogho  nombre de quartiers, de villages ou de métropoles peulhs : Silmissin, Silmidougou, Silmii Yiri, Silmiugu, etc., sont des toponymes qu’on trouve dans tout le Mogho.

Il y a des noms de métropoles peulhs du Mogho qui n’ont pas la racine « Silmi » tels que Barkoundouba, une cité peulhe... Ils sont tous du Mogho. Des Mossé établis à l’extérieur du territoire sont appelés des « wékièng-mossé » (Mossé de l’étranger). Il n’y avait pas de Mossé ailleurs qui sont venus en immigrants ou en conquérants. Il est important que cela soit clair pour tous. Tout s’est créé sur place.

La plupart de ceux qui ont adhéré au projet national, comme c’est de coutume, ont dû laisser partir une partie d’eux-mêmes et ont acquis des autres membres. Ainsi les Ninissi (sous-groupe des Samo) sont devenus des Tansoaba, Gnognonsé des Tinguimbissi, des Dogons devenus, certains des Saanba. Les Dagbon (d’où est issue Yennega mais aussi d’où seront issus les Dagaaba ou Dagari) sont devenus des Nakombsé(suite probablement à l’union avec des Bissa). Les Mampursi (devenus Malfulshi puis Fulsé), les Tallensi sont-ils devenus des Talsé, Talga au singulier (hypothèse à vérifier) qui incluent désormais tous ceux qui ne sont pas de sang royal, les roturiers en quelque sorte ?

Dire que « tous les villages de l’Ouest comprennent des hameaux peulhs » est, d’une part, une méconnaissance des autres parties du Burkina et, d’autre part, et cela est plus dangereux  de laisser croire que les Peulhs ont partout des difficultés avec les autres communautés. Ce qui est archifaux car les communautés peulhes vivent sur le territoire du Burkina actuel depuis au moins mille ans. Il y a des chefferies peulhes au Mogho avec des monarques : Barkoundba-Silminaaba, Gombogo-Silminaaba, Komtam-Silmanaaba, Kourgou-Silminaaba…

Les interactions entre les différentes sous-nations Moagha sont multiples. C’est quand même au Mogho que l’on trouve des communautés qui se présentent comme étant des « Silmi-Mossé ». Elles sont à la fois Peulhes et Mossé avec des éléments culturels communs assez prononcés des deux côtés.

Aussi, analyser une société africaine en faisant abstraction de sa spiritualité générale, fausse non seulement les analyses mais pose des risques. Dans cette spiritualité, l’humanité est d’une grande complexité : un couple peulh peut « mettre au monde » un enfant moagha ou autre. Un couple moagha peut également « mettre au monde » un enfant peulh ou autre. Complexe peut-être, mais c’est ainsi !

Une anecdote pour illustrer un exemple de coexistence quasi fusionnelle entre Peulhs et Mossé. Dans les années 1990, à Ouaga, dans le quartier où j’ai grandi, une famille voisine, de foi chrétienne, Nakombsé d’origine, a demandé à mes parents de leur proposer un prénom musulman convenable pour leur fille car elle serait d’essence peulhe. La fille aînée de ces deux Mossé serait Peulhe, une Silmiga. Comme au Mogho les Peulhs étaient les premiers à embrasser l’Islam, ils déduisent que leur fille devrait être musulmane alors qu’eux-mêmes vont à l’église. Ainsi nous célébrions les fêtes musulmanes avec la fille qui portait un prénom arabe. (La jeune femme me lit peut-être et j’espère qu’elle ne m’en voudra pas).

Serait-ce pour la même raison qu’il est commun de voir des Peulhs qui portent des prénoms à connotation moagha tels : Bingba, Koudougou, Mossé, Yemdaogo, etc. ? Koumbou, Sambo, Silmiga, Silmi-Raogo, Yéro, etc., sont également des prénoms de Mossé qui ont une consonance peulhe. Bref, c’est difficile de croire que des groupes structurellement en conflit  s’échangent des prénoms et, mieux, se donnent la vie.

Le vocable mossé est surtout utilisé par les personnes extérieures au territoire ou par des personnes du territoire qui s’adressent à des étrangers.

Dans ce deuxième cas, on veut faciliter la tâche à l’étranger et on s’identifie au grand ensemble sans aller dans les détails. Si vous connaissez bien le pays, il pourra vous ajouter qu’il est un Tansoaban-bila (Tansoaban-damba au pluriel) qui habite probablement à Tanso-bon-go, Tanso-ban-tinga, etc., ou il est un Gnognoga (Gnognonssé au pluriel), il habite à Yonyongo ou ailleurs, il est un Sikoaba (Sikobsé au pluriel), un Yarga (Yarsés au pluriel), il habite à Yargo ou à Yarse-yiri, etc., il est un Sangnan (Saanba) habitant à Saaba, Saanb-tinga, Sangne-Yiri, etc. il est un Nakoamga (Nakombsé au pl.) habitant à Naa-Yiri, Nabiissin, Nabig-Yiri, Nabig Tenga, etc. Dans une célèbre phrase, Gérard Kango Ouédraogo dit : « Il n’y a rien de honteux pour un Nakombila d’échouer dans la conquête du pouvoir. »

Il parle de sa longue lutte politique pour le pouvoir d’Etat. Mais il n’a pas dit « un Mossi », il a plutôt dit « un Nakombila », un fils de Nakoamga. Celui qui est appelé Mossi ou qui se présente comme tel vit au Mogho certes, mais est probablement aussi Foulga (Fulsé au pl.), Gourounga (Gourounsé au pl.)… Les gens de Ouahigouya disent qu’à Yako ce sont des Gourounsé. Ceux de Yako estiment qu’à Koudougou ce sont des Gourounsé… Le Moagha peut être aussi Boussanga (Boussansé ou Bissa). Le Tansoaba et le Gounghin Naaba sont de descendance Niniga (Ninissi au pl.).

Le Tansoaba est le chef des armées du Mogho et il est le second personnage de l’Etat du Mogho après le Mogho Naaba. Les Ninissi font partie originellement de la nation samo. Au début du 20e siècle on a dénombré 12 villages samo dans le Yadtenga. Bien entendu que tous les Samo, les Gourounsis, les Peulhs et les Bissa ne vivent pas tous au Mogho et ne font donc pas partie de l’ensemble Mossé.

Ils vivent aussi sur leurs territoires propres et sont des nations voisines et alliées historiques des Mossé. Parler d’un « groupe extraterritorial » est une maladresse qui ne correspond nullement à une réalité historique. Sinon, on dira que les Gourmatchés sont un « groupe extraterritorial » car il y a des Gourmatchés au Niger, au Bénin et peut-être au Togo. Les Dagaaba (Dagari) sont à la fois au Ghana, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire… N’y a-t-il pas de Samo et de Bobo au Mali ? Le fait qu’il y ait d’autres communautés peulhes dans d’autres pays en ferait peut-être un groupe transnational.

A suivre…

 

Moussa Sinon (Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. )

 

Lectures pour aller plus loin (certains sont en ligne) :

- Histoires et Légendes des peuples du Burkina Faso

- Moogo - L’émergence d’un espace étatique ouest-africain au XVIe siècle 

- Princes & serviteurs du royaume : cinq études de monarchies africaines

- Tierce église, ma Mère ou la Conversion d’une communauté païenne au Christ 

- Une enquête historique en pays mossi 

- Parole et poésie du tam-tam : Manéga, culture et structures du peuple

The tribes of the ashanti hinsterland Vol II.

 

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