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Projecteur: Théâtreux burkinabè et engagement sélectif

Nous avons écrit que les hommes de théâtre du Burkina Faso ont un engagement à géométrie variable et que cet engagement était calculé à l’aune du gain politique ou pécuniaire. On nous a demandé d’être plus explicite. Nous le serons ici en espérant que plus de clarté ne nuira pas à la profondeur du propos. Ces hommes ont été très volubiles après l’Insurrection de 2014 ; on ne les entend pourtant plus : sur Yirgou, les koglwéogo, les FDS ainsi que sur le franc CFA. Pourquoi ?

 

 

Pourquoi nous parlons de l’engagement des hommes de théâtre et non des artistes en général ? Tout simplement parce qu’au Burkina Faso, c’est le champ artistique le plus structuré avec ses leaders, ses pouvoirs, ses penseurs, son histoire, etc. Cela est dû au fait que le théâtre burkinabè a été porté par deux universitaires à partir des années 70, et ils l’ont conçu comme un art d’intervention sociale. Universitaires et populaires grâce à leur théâtre qui a été vu dans les hameaux les plus reculés du pays, ils ont assumé des positions dans la société. Les héritiers de Jean-Pierre Guingané et de Prosper Kompaoré sont, pour la plupart, des artistes ayant fait des études universitaires et qui ont hérité aussi de cette position de créateurs qui ont leur mot à dire sur la société. De ceux-là, on peut citer Etienne Minoungou, Hamadou Mandé, Ildévert Medah, Athanase Kabré, Aristide Tarnagda. A côté de ceux-ci, on peut citer Odile Sankara, Aimé Coulibaly qui sont les héritiers d’Amadou Bourou. Et puis, il y a une nouvelle vague de créateurs tels Noël Minoungou, Mahamadou Tindano, Sidiki Yougbaré, Paul Zoungrana, Edoxi Gnoula,,,a…

Maintenant, allons plus loin. Nous disons que l’engagement à travers les créations est un engagement dont le sens relève plus de la construction du lecteur et du spectateur que parfois de l’auteur. Il n’est pas forcément perçu comme tel par le créateur. Par exemple, quand Prosper Kompaoré a monté Antigone de Jean Anouilh, juste après la mort de Thomas Sankara en octobre 1987, il n’y voyait pas la dénonciation de cet assassinat. Mais Blaise Compaoré qui a vu la pièce a trouvé qu’elle dénonçait son crime et le metteur en scène a dû répondre à une convocation de la Sûreté de l’Etat. Aussi, nous ne contestons pas que le théâtre burkinabè soit engagé, il l’est à travers ses créations mais là n’est pas notre propos. L’engagement à travers les œuvres a besoin de temps de maturation et de création. Certainement que des créations viendront plus tard, qui s’originent dans les questions actuelles.

Mais nous parlons de l’engagement du comédien, du metteur en scène, du dramaturge et de l’entrepreneur de théâtre dans les luttes et les préoccupations de sa société à travers d’autres canaux que l’œuvre.  Et les hommes de théâtre burkinabè se sont souvent engagés dans les questions politiques du pays. On l’a vu avec  la Coalition des intellectuels et des artistes, créée en 2010 et qui était codirigée par Mahamadé Savadogo et Etienne Minoungou. On l’a aussi vu avec le créateur des Récréatrales, qui narrait son engagement aux côtés des Insurgés d’octobre et sa vision pour le Burkina Faso sur les plateaux de télé, dans les journaux et sur les réseaux sociaux après l’Insurrection.

L’artiste est libre de s’engager dans les combats de son temps ou de s’engager dans la création hors de sa société. Nul ne peut exiger d’un artiste qu’il s’engage mais dès qu’il le fait et le revendique, il ne peut se payer le luxe de choisir ses combats. Parce que les combats s’imposent à lui mais ne procèdent de lui. Edward Saïd évoquait les « critères de vérité attachés à l’oppression et au malheur » et qui oblige l’intellectuel ou l’artiste à « dire la vérité au pouvoir ». S’il agit autrement et calcule ses engagements, il devient comme l’intellectuel professionnel, c’est-à-dire un artiste qui pense le travail intellectuel en termes de gagne-pain, un travail effectué en vue de se rendre vendable, présentable, apolitique… 

La question qui vaille ici est de savoir pourquoi certains hommes de théâtre, si prompts à embrasser des causes internationales et à exploiter l’actualité pour bénéficier des feux des projecteurs, sont invisibles sur les questions brûlantes de l’heure. Seule Eudoxi Gnoula a écrit un poème sur le massacre de masse des Peulhs de Yirgou, à notre connaissance. Aucune des célébrités des planches n’a pipé mot des dérives des kolgwéogo. L’armée est engagée dans la lutte antiterroriste et il est né un débat sur cette lutte et le respect des droits de l’homme. Il y a aussi le débat sur la sortie ou pas des pays comme le Burkina Faso du franc CFA.

Nous avons notre petite idée sur ce mutisme. Leur inhibition est liée à la peur de s’engager sur des sujets sensibles dont la conséquence est de ne plus bénéficier des subsides de l’Etat ou de vexer l’ex-puissance colonisatrice dont on sait qu’elle est revancharde. Refus de délivrer les visas et d’aides à la création sont les mesures de rétorsion encourues.

C’est pourquoi nous pensons qu’il faut les rappeler à leur engagement et leur dire que l’actualité les appelle sur le terrain. Engagé un jour, engagé toujours, est l’artiste. Car quand on affirme tresser le courage, on le fait sur toutes les têtes. Même sur la chevelure frisée de Peulhs de Yirgou.

Saïdou Alcény Barry

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