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Procès putsch manqué: « J’étais contre la Transition, mais je n’étais pas favorable à ce coup de force » (Général Honoré Nabéré Traoré)

L’ancien chef d’état-major général des armées Honoré Nabéré Traoré a ouvert le bal des généraux qui sont entendus en qualité de témoin dans le cadre du procès du putsch manqué de septembre 2015. Celui qui s’était proclamé chef de l’Etat le soir de l’insurrection populaire avant de remettre le pouvoir à Yacouba Isaac Zida a clairement affirmé sa position : « J’étais contre la Transition, mais je n’étais pas favorable à ce coup de force ».

 

 

Selon le récit du général Honoré Nabéré Traoré, le dernier chef d’état-major général des armées de Blaise Compaoré, il  a reçu, le 16 septembre 2015 vers 14h30, un appel du général Pingrenooma Zagré, le CEMGA à l’époque, l’invitant à une réunion de la Commission de réflexion et d’aide à la décision (CRAD) à 16 h au ministère de la Défense nationale et des Anciens Combattants (MDNAC).  Il a dit s’y être rendu vers 15 h. Le général Zagré y a pris la parole pour faire un « briefing de la situation ».

Dans cet exposé, le CEMGA a annoncé l’arrestation des autorités de la Transition. Une nouvelle qui sera confirmée par le général Gilbert Diendéré, arrivé un peu plus tard. Ce dernier, a indiqué Nabéré Traoré, a expliqué les griefs qui ont poussé les éléments du RSP à passer à l’action : exclusion de certains candidats du jeu électoral malgré les injonctions de la CEDEAO ; nomination au grade de général de division du Premier ministre Yacouba Isaac Zida et dissolution programmée du régiment. « Pour toutes ces raisons, ils ont décidé de porter un coup d’arrêt à la Transition, de remettre le pouvoir à l’armée et de repartir sur de nouvelles bases », a rapporté l’ancien CEMGA, selon qui « tout le monde a désapprouvé ce coup ».

Il se souvient que Golf a souhaité, avec insistance, l’accompagnement de la hiérarchie militaire. « J’ai besoin de votre aide », « J’ai besoin de votre soutien », aurait-il plusieurs fois  répété. L’ambiance, à entendre le sexagénaire, était devenue à ce moment-là très lourde : les  sorties des participants pour prendre un café étaient entrecoupées de longs moments de silence. Les Sages, une fois remis de leurs émotions, auraient fait au cerveau présumé du putsch trois propositions pour sortir de la crise : la libération des otages, la mise en place d’un organe de médiation et la rédaction d’un message adressé à la Nation en vue d’apaiser la situation. Le général Diendéré, a précisé son camarade du PMK, a, après avoir entendu ces suggestions, émis des réserves quant à leur acceptation par la troupe : « Il a dit qu’il se doutait que les éléments du RSP allaient opposer un niet. Il est effectivement parti au camp Naaba Koom et est revenu 30 à 40 minutes plus tard dire qu’ils ont rejeté les propositions parce qu’ils avaient peur pour leur vie et leur famille ».

Le CEMGA Pingrenooma Zagré, le secrétaire général du ministère de la Défense, Alassane Moné, l’ancien président Jean-Baptiste Ouédraogo et l’archevêque de Bobo Dioulasso, Mgr Paul Ouédraogo, se sont joints alors au général Gilbert Diendéré et au colonel-major Boureima Kiéré pour aller rencontrer les hommes. « Ils ont mis du temps. Ils sont revenus autour de 2h du matin nous annoncer la mauvaise nouvelle : le RSP campait sur ses positions. Le général a annoncé que les éléments avaient l’intention de mettre un organe en place, le CND. Il a dit qu’il y avait une proclamation, qu’elle n’était pas dans la salle et qu’il allait envoyer quelqu’un la chercher. Je crois que c’est le capitaine Dao qui l’a apportée, et le colonel-major Kiéré l’a lue », a relaté le général trois étoiles. 

Cette déclaration n’était pas signée, et une voix dans l’assistance a interpellé Golf pour savoir qui en portait la paternité. Et le père spirituel du RSP de répondre : « Je ne sais pas. » Ce n’est que le lendemain après la lecture à la télévision nationale que le témoin indique avoir constaté que le document était signé par le général Gilbert Diendéré.

« Avez-vous participé à une deuxième rencontre le 17 septembre ? », a interrogé d’emblée le président du tribunal à la suite de cette déposition. « J’ai mis mon nom sur les listes, mais je ne m’en souviens pas trop », a réagi Honoré Traoré. Répondant à la première question du parquet, le général de division a confirmé que Gilbert Diendéré a, au cours de cette réunion du 16 septembre, demandé ouvertement le soutien de l’armée.

« Est-ce que vous avez eu l’impression qu’il était un acteur ou un médiateur ? » a interrogé de nouveau l’accusation. « C’est difficile à dire. Il ne semblait pas être un médiateur en tout cas. Si nous l’avions suivi, il serait président du CND et voilà ! », a soutenu le témoin.

Et le ministère public de rappeler une des lignes de défense de la principale figure du putsch qui consiste à dire que si la hiérarchie militaire lui avait opposé un refus catégorique il aurait abandonné son projet. « Franchement, nous nous sommes exprimés sans ambages », a  maintenu le membre de la CRAD au moment des faits. Par rapport aux précisions que l’ancien président Jean-Baptiste Ouédraogo aurait demandé d’apporter au document, notamment l’ajout des mentions portant sur l’exécution de l’intérim au sein des ministères et l’instauration du couvre-feu, l’ancien CEMGA dit ne pas s’en souvenir. Tout juste se rappelle-t-il, comme il l’avait déjà souligné, que les uns et les autres ont été surpris de voir que la déclaration n’était pas signée. « Ce n’est quand même pas le Saint-Esprit qui a fait le coup ? », a lancé le général Traoré, se rappelant cet épisode-là.

Alors qu’il avait affirmé ne plus se souvenir de la seconde réunion du 17, le parquet a entrepris de rappeler au témoin cette anecdote rapportée notamment par le général Diendéré : Zagré l’annonçant par un « Monsieur le président du CND » et lui cédant sa place. « Ce scénario vous dit quelque chose ? », a voulu savoir le procureur militaire. « Oui », a répondu le témoin qui détaille : « Quand le général Diendéré est entré, il y a eu une petite hésitation. Le général Zagré a voulu lui céder la place centrale, il a refusé. Zagré  a insisté et il a accepté ». Pour lui ce n’est pas inconséquent que le chef d’état-major général cède sa place au général Diendéré et qu’il le laisse présider la réunion, étant donné que c’était ce dernier qui voulait s’entretenir avec la hiérarchie et livrer son message.

 

« Diendéré a été conciliant »

 

« Le général dit que si vous étiez contre, Vous auriez dû l’arrêter ».  Le général Traoré n’a pas pu réprimer un rire après cette observation du parquet. Pour lui, certes, il n’y a pas personnellement pensé, mais un tel scénario relevait d’une grande acrobatie, du fait notamment des relations personnelles qu’entretenaient les chefs militaires, parfois depuis les bancs du PMK, avec le cerveau présumé du coup de force « Il y a du respect entre nous. Il a ses convictions, mais on a le droit de lui dire qu’on n’est pas d’accord ». Et si l’idée leur était venue de procéder  sur-le-champ à l’arrestation de Diendéré, les choses auraient pu mal tourner au regard de l’impressionnant dispositif sécuritaire qu’il y avait autour et à l’intérieur du ministère. Pour le témoin, se basant sur l’histoire des coups d’Etat, le chef des putschistes a même été conciliant avec eux en demandant leur avis. S’il avait fait usage de la brutalité, les choses, selon lui, auraient pu être différentes et il aurait obtenu peut-être le soutien qu’il voulait par la force des armes.

Appelé à la barre en même temps que Golf pour réagir à la déposition de l’ancien CEMGA, le colonel-major Boureima Kiéré a tenu à préciser que la question du matériel de maintien de l’ordre avait déjà été évoquée à la rencontre du 16. Nabéré Honoré Traoré a dit ne pas s’en souvenir. Le général Diendéré, lui, a fait observer qu’il n’a pas effectué plusieurs va-et-vient le 16 septembre entre le camp Naaba Koom II et le ministère de la Défense, contrairement à ce que soutiennent le général Traoré, les autres témoins et même l’ancien chef de corps par intérim du régiment, le commandant Abdoul Aziz Korogo. A l’en croire, dès que les Sages ont fait leurs propositions, il leur a proposé de l’accompagner directement dans l’antre du RSP. Il n’est pas allé une première fois avant d’en revenir, a-t-il maintenu.

Pour Me Guy Hervé Kam, dont les questions n’ont jamais trouvé réponse auprès du  général  Diendéré, lequel se refusait à lui répondre,  « on observe une concordance des témoins et seule une personne s’y oppose : le général Diendéré. Pour lui, tout le monde ment sauf lui. »

 

« Il y a eu une sorte de gentlemen’s agreement »

 

Son confrère Me Prosper Farama a voulu savoir, entre les relations particulières que le commandement de l’armée entretenait avec Diendéré et le risque que son arrestation aurait pu représenter, ce qui a été le plus déterminant dans leur choix de ne rien faire d’hostile. « On ne l’a pas arrêté parce qu’aucun texte ne nous permettait de le faire », a défendu Nabéré Traoré qui expliquera de façon plus précise : « Notre rôle n’est pas d’arrêter quelqu’un qui est venu s’exprimer au nom d’une unité ». « Même pas sur le plan de la discipline militaire ?» s’est alors étonné l’avocat. « Le 16 septembre le coup d’Etat n’était pas acté, c’est à partir du lendemain qu’on pouvait le faire », a réagi le témoin. Ce qui a inspiré à Me Farama cette observation : « Dans ce coup, il y a eu une sorte de gentlemen’s agreement. On n’est pas d’accord avec toi, mais tu peux faire ton coup.  Comme ça, ceux qui ont fait le coup n’ont pas peur, ceux qui n’ont pas fait n’ont pas peur. On va faire molo-molo et on va voir. Les seules à trinquer, ce sont les populations ».

L’épisode du CEMGA cédant sa place au président du CND le conforte que « le général a raison de parler de mollesse » et que l’attitude de la hiérarchie militaire lui paraît équivoque. « C’est gravissime de dire qu’il n’y a aucun texte pour l’arrêter, mais vous n’êtes pas poursuivi pour cela », s’est indigné de nouveau le conseil des parties civiles. « Notre objectif était qu’il fasse marche arrière », a déclaré le témoin.

Commentaire de l’homme en robe noire : « Je n’ai jamais vu un putschiste faire marche arrière parce qu’on lui a simplement demandé de faire marche arrière ».

 

« Le passage de grade de Zida est un triple saut »

 

Parmi les griefs formulés par Golf pour justifier l’action des éléments du RSP, figure l’humiliation de la hiérarchie militaire par le Premier ministre Yacouba Isaac Zida. Selon le témoin, il y a effectivement eu des humiliations. Il s’indigne particulièrement de cette loi taillée sur mesure pour permettre au chef du gouvernement de Transition d’être bombardé général de division.  C’est « un saut de 13 ans », « un triple saut au niveau du passage de grade », a-t-il blâmé.

Le général Traoré confirme également l’affront des 30 et 31 octobre où Zida a doublé toute la hiérarchie militaire pour accéder aux plus hautes responsabilités, mais a-t-il tempéré : « C’est leur faute (parlant du RSP). C’est eux qui nous ont envoyé leur second couteau à notre réunion ».

Pour Me Farama, le témoin considérant, à travers cette réponse, que Diendéré et Zida, « c’est même pipe, même tabac », il ne pouvait donc pas, sur la base de cette explication, soutenir Golf dans son aventure.

L’avocat a en outre questionné le cerveau présumé du putsch sur ces fameuses revendications. Il a surtout interrogé l’intéressé sur le moment auquel la revendication politique, l’inclusion politique, s’est greffée au chapelet de doléances du RSP et qui en était l’auteur.  Golf se contentera de dire que c’est le président de la Transition qui en a parlé aux hommes.

Me Pierre Yanogo a ce propos a, tour à tour, demandé à l’un des présumés exécutants du coup, le major Eloi Badiel, aux hommes qui sont allés chercher le général à son domicile  le 16 septembre, Moussa Nébié et Jean-Florent Nion ainsi qu’à des officiers du régiment, le capitaine Zoumbri et le commandant Korogo, si, à un moment donné de leur interaction avec le général, ils avaient évoqué des revendications. Tous ont répondu par la négative. Ce qui a fait dire à l’avocat que seul le général Diendéré connaissait les raisons de l’arrestation des autorités et que par conséquent il en était le commanditaire.

Dernier avocat de la partie civile à tenir le crachoir, Me Ali Neya a demandé au témoin s’il confirmait les dires de Golf selon lesquels il n’aurait pas pris la parole au cours des réunions du 16  et du 17. « Je ne confirme pas. J’ai pris la parole. J’ai dit que j’étais contre la Transition, mais j’étais contre ce coup de force ».

Après Honoré Traoré, c’est un autre ancien chef d’état-major général des armées, le général Oumarou Sadou, qui est passé dire tout ce qu’il savait sur les événements du 16 septembre 2015 et des jours suivants.  A quelques mots près, sa narration des événements était la même que celle de son prédécesseur. Il a indiqué avoir dissuadé, à la rencontre du 16, le général de perpétrer un coup de force au regard du contexte national et international, qui ne s’y prêtait pas. Son audition se poursuit le vendredi 22 février à 9 h.

 

San Evariste Barro

Hugues Richard Sama

Dernière modification lejeudi, 21 février 2019 22:38

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