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Marie Laurence Ilboudo/Marchal, ministre de la Solidarité nationale : « Il y a des déplacés qui gaspillent leurs vivres »

L’Observateur Paalga dans son édition du vendredi 22 au dimanche 24 mars 2019, s’est fait l’écho de complaintes de déplacés oubliés de Kaya et de Dablo. Il n’en est rien selon celle qui dirige les opérations, la ministre de la Femme, de la Solidarité nationale et de la Famille et de l’Action humanitaire, Hélène Marie Laurence Ilboudo/Marchal. Dans une interview qu’elle nous a accordée le vendredi 22 mars, elle a indiqué que son département n’a aucun intérêt à faire de la discrimination dans la prise en charge des personnes vulnérables. Et que certains d’entre eux font du gaspillage. D’après celle qui a été élue présidente de la 7e conférence ministérielle des pays membres de l’Organisation de la coopération islamique (OCI), c’est suite à la visite d’un parti politique à Kaya et à Dablo que certains déplacés ont fait cette déclaration.

 

 

La situation sécuritaire que traverse notre pays a entraîné de nombreux déplacés, combien sont-ils au juste à travers le pays ?

 

Cette question tombe bien. Je viens justement de finir une réunion avec le système des Nations unies et nous avons rapproché nos chiffres. Nous étions à moins de 100 000 déplacés, il y a moins d’un mois. Aujourd’hui nous sommes à 129 000 déplacés sur toute l’étendue du territoire national.

 

Quelle est la cartographie de ces déplacés ?

 

Ces déplacés sont essentiellement dans la zone de l’Est, dans la Boucle du Mouhoun, du Centre-est, du Centre-nord, du Nord et du Sahel.

 

Quel genre de soutien, vous leur apportez ?

 

Nous avons élaboré une stratégie de prise en charge globale de ces personnes déplacées. Elle comprend trois dispositifs.

D’abord le plan d’urgence (sanitaire, abri, nutrition, etc.). Pour régler ces urgences, nous avons deux procédés. Le premier  est de faire des camps pour les personnes déplacées. C’est le cas des camps du Centre-nord (Barsalogho et deFoubé) et du Sahel (Tiogo, Arbinda et à Djibo). Dans ces cinq camps, nous privilégions la communion entre la population hôte  et les populations déplacées Le second procédé du dispositif d’urgence, consiste à trouver des familles d’accueil aux déplacés. Il faut aussi dire que nous prenons en charge les familles qui acceptent accueillir ces personnes en détresse.

Ensuite le pré-relèvement qui consiste à faire un recensement et une prise en charge psycho-sociale des déplacés. Et pour ceux qui veulent retourner dans leur milieu d’origine, parce qu’ils y ont investi ou parce qu’ils ont un attachement, nous les assistons. Pour ceux qui ne savent pas ce qu’ils veulent, nous les assistons également jusqu’à ce qu’ils se retrouvent. Il y a des psychologues, des éducateurs sociaux, …

Enfin le dernier volet de la stratégie, c’est le plan de relèvement. Nous les accompagnons à se réinstaller dans les milieux choisis. C’est un plan global que nous avons établi en partenariat avec le Système des Nations unies. Nous avons affiché un besoin de 100 millions de dollars. Et on est actuellement en train de mobiliser ces fonds. Il faut préciser que ces 100 millions de dollars ne nous seront pas donnés en liquidité. Ce sont des investissements dans le plan global que nous avons tracés. Ces investissements sont pris en compte comme si c’était l’apport de l’extérieur pour le Burkina. Ce qui est bien, c’est que c’est nous qui conduisons l’opération.

 

Quels types de problèmes vos équipes rencontrent-elles sur le terrain ?  

 

Ils sont divers. Il y a des problèmes d’incompréhension. Certaines personnes pensent que nous avons l’argent et que nous devons obligatoirement les assister. Le gouvernement est responsable de chaque Burkinabè. Le minimum que nous pouvons leur donner pour qu’ils vivent dignement, c’est ce que nous leur donnons. L’assistance ne doit pas être permanente. En plus de cette situation d’incompréhension, il y a le problème de ressources. Gérer les déplacés nécessite beaucoup d’argent et nous sommes toujours en train de travailler pour mobiliser les ressources. Nous étions à plus de 400 millions de francs CFA dépensés par l’Etat sans oublier l’appui des partenaires. 

 

Il semble que certains de vos convois sont attaqués par des terroristes, qu’en est-il exactement ?

 

Nous sommes en situation de guerre, ce qui veut dire que personne n’y échappe. Tous les secteurs de notre pays sont attaqués. Et nous ne dérogeons pas à la règle. Mais rien ne pourra nous enlever notre volonté de répondre au besoin des populations vulnérables.

 

Parmi les nombreux cas, il y a ceux consécutifs au drame de Yirgou. Comment s’est organisé le soutien aux victimes ?

 

Le drame de Yirgou avait le même objectif que toutes les attaques terroristes.  C’est-à-dire, semer la zizanie et la discorde communautaires. Ils y sont un peu arrivés à Yirgou puisqu’il y a eu des déplacés. Mais quand on parle de déplacés, il ne faut pas se focaliser uniquement sur ceux de Yirgou. Nous y avons un peu moins de 3000 personnes déplacées sur le camp de Barsalogho. Sur le camp de Foubé, nous avons 10 000 personnes. Mais au-delà de ces chiffres, c’est la dignité de ces personnes qui est en jeu.

 

L’Observateur Paalga s’est fait l’écho des complaintes des « déplacés oubliés de Kaya et de Dablo ». Quelle est la réalité de la situation ?

 

Je viens de communiquer avec le maire de Dablo qui a soutenu ne pas être au courant d’une telle situation. Il y a eu des visites politiques dans la zone et c’est à l’issue de cela, que de telles déclarations sont sorties. Je sais ce que moi et mon département avons fait comme apport à Dablo. Nous avons fait un recensement et y avions compté 1011 déplacés à Dablo-Kougpela et 1318 à Dablo-Bawéné.  Nous avons convoyé des abris, des couvertures et des vivres pour ces personnes. Ce que les gens ne savent pas, c’est que la prise en charge des déplacés obéit à des normes internationales. Ces normes soutiennent qu’il faut à peu près 400g de vivres par jour et par personne. Ces 400g sont multipliés par le nombre de personnes dans les ménages et parfois nous majorons avec des apports en calories pour les enfants et les femmes allaitantes. Et les approvisionnements sont prévus chaque trois mois. Il y a des déplacés qui gaspillent leurs vivres tout en pensant qu’on va revenir avant la fin des trois mois pour les  approvisionner. Il est important que les familles qui bénéficient des vivres fassent attention et ne les gaspillent pas. Nous sommes dans une situation de guerre, on ne peut pas se le permettre. Peut-être, comme c’est un début, c’est mal compris. A la fin de ce mois, nous allons réapprovisionner Dablo. Il faut que les gens sachent qu’une assistance humanitaire se fait dans un cadre. On ne peut pas aller distribuer toutes les semaines ou tous les jours. Cela demande une masse critique de personnes pour convoyer les vivres et les distribuer ainsi que d’autres aspects que les gens ne voient pas forcément. Mais nous allons travailler à réduire les trois mois pour que les déplacés ne sentent pas que c’est long ou aient l’impression qu’on les a abandonnés.

Actuellement à Dablo, nous avons déjà distribué plus de 25 tonnes de vivres. Et c’était il y a deux mois de cela.  

 

Et Kaya ?

 

Nous n’avons pas travaillé sur Kaya-centre.

 

Pourquoi ?

 

Parce que c’est une ville. Nous travaillons sur les communes dans lesquelles nous avons accueilli des déplacés. Si des gens quittent ces communes, il est difficile pour nous de les retrouver. Nous avons privilégié les endroits où ils sont avec des familles d’accueil et aussi les camps. En dehors de cela, il est difficile pour nous de les suivre partout. Nous n’avons même pas la compétence ni les moyens pour faire cela. On a une stratégie d’accompagnement pour tout le monde. Surtout avec le peu de ressources qu’on a à notre disposition, nous devons nous organiser pour être à l’écoute de tout le monde. Tout le monde doit être traité au même pied d’égalité.  Il ne faut pas oublier qu’il y a aussi des réfugiés que nous devons traiter dignement, il y a ceux qui viennent du Mali suite au conflit Dogons/Peulhs. Il faut que les populations nous comprennent et que chacun fasse des efforts pour qu’on puisse faire notre travail.

J’ai lu dans vos colonnes que 5 000 personnes sont oubliées à Kaya et à Dablo. Ces deux localités sont de la région du Centre-nord, et cette région est prise en charge. Comment donc on peut les oublier ? Je vous conseille d’ailleurs de retourner à Dablo, vous verrez qu’il y a une prise en charge, que nous avons distribué des vivres. Il se pourrait que dans la distribution, il y ait eu des oublis mais nous repartons lorsqu’on nous signale ces cas. Ceux qui pensent qu’il y a des oublis, qu’ils se signalent au ministère et si c’est avéré, ils seront pris en charge. Il n’est pas de notre intérêt de faire une discrimination dans la prise en charge humanitaire des personnes vulnérables. C’est peut-être une mauvaise lecture de ceux qui sont allés sur le terrain.   

 

Si on vous suit bien, donc tout baigne chez les déplacés ?

 

Tout ne baigne pas. C’est difficile. Nous avons des déplacés sur Arbinda, sur Koudougou, sur Tongomaël,…Pas plus tard qu’hier (NDLR : jeudi 21 mars), on nous a annoncé de nouveaux déplacés sur Matiakoali.  Donc tout ne baigne pas. Ce sont des zones difficiles où il y a des difficultés à trouver l’eau. Nous avons envoyé des équipes de forage. La semaine dernière, elles ont fait plus de 10 forages négatifs. Elles viennent d’avoir un seul forage positif.  

Ce qui m’a un peu alerté dans votre publication, c’est que les gens ne voient que la nourriture, il n’y a pas que ça. Il y a l’assainissement, il faut que les déplacés aillent aux toilettes, qu’ils se baignent, qu’ils aient de l’eau potable pour boire. Il faut aussi faire attention à leur santé. Par exemple sur le camp de Barsalgho, il y a eu une épidémie de rougeole que nous avons pu maîtriser. Il y a eu aussi une épidémie de méningite qui a été circonscrite. Quand on confine des gens, il y a toutes sortes de maladies qui peuvent survenir donc il faut faire attention.

Si nous avons déjà tout cela comme acquis, il ne faut pas se focaliser sur les insuffisances. Il faut encourager les équipes qui sont sur le terrain et qui ne dorment pas, jour et nuit, pour prendre soin des personnes vulnérables. Je suis souvent avec eux et je coordonne tout. Je profite de votre journal pour encourager toutes ces personnes. Il s’agit des forces de défense et de sécurité, des agents de l’action sociale, de l’action humanitaire, de l’éducation, de la santé,… c’est un travail de coordination gouvernementale. Ce n’est pas seulement mon département. Je suis juste la coordinatrice de l’ensemble de ces secteurs.

Nous sommes très attentifs sur ces questions qui constituent un sujet de préoccupation pour le Président du Faso.

 

Entretien réalisé par J. Benjamine Kaboré

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