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Le Festival du film africain de Louxor: Connecter le cinéma africain à son passé

Du 15 au 21 mars 2019, s’est tenue à Louxor  la 8e édition du Festival du film africain. Entre hommage aux créateurs,  conférences, master class et projections de films en compétition, le festival de Louxor a célébré le cinéma africain dans sa diversité et sa créativité.

 

La ville de Louxor, où se tient ce festival de cinéma, est une cité du sud de l’Egypte d’un demi-million d’habitants, bâtie sur l’ancienne ville de Thèbes. Ici, ont régné des dynasties de pharaons entre le XVIe et le XVIIe siècle avant J-C au plus haut de leur puissance. Là, se trouvent les tombes des rois et des reines qui attiraient des millions de touristes chaque année.

Pourquoi un festival de cinéma à Louxor ? Ce festival est né de la volonté de la Fondation Shabab Indépendants, et particulièrement du scénariste Sayed Fouad, de décentraliser le festival dans une ville autre que le Caire et Alexandrie, qui sont saturés d’évènements culturels. Aussi Louxor, la ville des vestiges de l’Egypte ancienne, qui est un désert en évènements culturels, a-t-elle été choisie pour accueillir le festival du film africain.

Pour cette huitième édition, le festival s’est ouvert dans un lieu chargé d’histoire. C’est en effet sous les colonnes du temple de Karnak et sous le regard minéral des lions de pierre que cette cérémonie a eu lieu. Elle a été l’occasion d’honorer des personnalités qui ont apporté leur talent et leur dévouement au septième art. Au nombre de celles-ci, il y avait les comédiennes Lebleba, l’Egyptienne et la Soudanaise Faiza Amseeb, pour leur contribution au cinéma de leur pays, ainsi que le comédien Asser Yassin. Dora Bouchoucha aussi a été célébrée pour son rôle de productrice-créatrice qui a accompagné des films laurés, ainsi que la réalisatrice burkinabè Fanta Régina Nacro pour sa filmographie.

Le festival propose une sélection riche et variée à faire pâlir d’envie des festivals plus anciens et à la réputation bien assise. En effet, des films de réalisateurs connus côtoient ceux de réalisateurs débutants, des films en compétition, ceux d’écoles et ceux hors compétition. Et des jurys internationaux avec des personnalités du cinéma pour les différentes catégories, sont là pour apprécier. Parmi les membres des différents jurys, on retrouvait des personnalités connues du cinéma tels les réalisateurs Cheick Oumar Cissoko, Mansour Sora Wade, Dieudo Amado ainsi que les critiques  Olivier Barlet,  Djia Mumbu et  Klaus Eder, le président de la fédération internationale de critiques de cinéma ainsi que la productrice Dora Bouchoucha.

En plus des projections dans les quatre salles de la ville, il y a eu  d’autres  activités  comme l’atelier de développement de projets documentaires, coaché par la réalisatrice égyptienne Jihan El-Tahri dont l’exigence et l’expérience sont reconnues par toute la profession. Olivier Barlet a aussi animé une master class sur la critique de cinéma et a présenté son dernier ouvrage traduit en arabe et édité par le festival.

Le  tour du monde en 90 films

Même si le festival est consacré aux films d’Afrique, il est ouvert à tous les cinémas du monde avec la catégorie Freedom, qui a pour fil conducteur les droits de l’homme ou la liberté. Dans cette catégorie, on a The Mercy of the Jungle de Joël Karekezi, Etalon d’or du Fespaco 2019, The Rainbow Experiment de l’Américaine Christina Kallas et Un Amour rêvé du Belge Arthur Millet, Home of the River de la Syrienne Maya Mounayer.

C’est d’ailleurs The Mercy of the Jungle du Rwandais Joël Karekezi, lauréat de l’Etalon d’or du Fespaco 2019, qui a remporté le prix de la catégorie Freedom pour la portée humaniste et pacifiste du film. Quant au prix  de la Fondation Shabab , il a échu au film mozambicain  Mabata Bata de Sol de Carvalho. Ce film, qui est une adaptation d’une nouvelle de Mia Couto, a séduit par la qualité des images mais aussi par le choix esthétique d’évoquer les esprits sans recourir à la traditionnelle césure entre monde réel et monde rêvé. Ici, aucune différence entre les deux univers et l’image restitue la vision du monde de ces communautés perturbées par la guerre civile.

Le Grand Prix du Nil est revenu au long métrage documentaire  Lost Warrior de Nasib Farah et Soren Sten Jespersen, un documentaire sur le combat d’un ex-combattant shebab, refugié à Mogadiscio pour retrouver sa femme et son enfant, vivant en Grande-Bretagne. Le prix du long métrage de fiction est revenu au film ghanéen The Burial of Kodjo de Blitz Bazawule. C’est un film étrange dans sa narration iconoclaste qui emprunte plus sa narration à la structure des récits africains qu’aux règles hollywoodiennes du scénario.

Réussir un festival de cinéma dans cette ville qui découvre les cinémas d’Afrique et du monde est une gageure car c’est une ville qui est plus portée par le tourisme que le cinéma. Les salles sont rarement pleines, parfois elles sont quasi vides. Pourtant Louxor, dans sa zone périphérique, Louxor Karnak, où se déroule le festival, ressemble à un décor de cinéma.  On y croise des carrosses attelés à des chevaux robustes, des silhouettes d’hommes dans des gandouras grises, foulard blanc enserrant la tête et la moustache fournie comme Omar Sharif ; des femmes dans des robes noires, glissant entre les ruelles de maisons grêlées ou inachevées…On a l’impression que l’on est dans un studio de cinéma avec ses décors et ses costumes pour le tournage d’un film d’époque.

Pourtant, cette cité endormie sur un passé glorieux et qui vivait du tourisme connaît une vraie crise économique à cause du terrorisme qui a chassé les touristes occidentaux. Seuls les Chinois y viennent mais c’est la classe pauvre, peu dispendieuse et qui laisse peu de devises pendant son séjour. Les populations de Louxor ont pourtant besoin de cinéma pour échapper à leur dur quotidien et pour voyager dans les différents pays d’Afrique et du reste du monde. Avec Fiifiiré de la Sénégalaise Mame Wouri Thioubou, ils  navigueraient  sur le fleuve Sénégal au bord des frêles pirogues de pêcheurs Cuballo pour entendre leurs mythes qui gardent la trace de pêches homériques de caïmans et d’hippopotames et qui sont dans un présent où la pêche traditionnelle est menacée de disparition. Ils iraient à Gao avec les jeunes résistants grâce au film Gao, la Résistance d’un peuple du Malien Kassim Sanogo ou à Libreville avec ses routes pentues avec Boxing Libreville d’Amédée Pacôme Nkoulou. Le thème du festival n’est-il pas « Cinéma…Pour vivre plusieurs vies » ?

Mais pour ce faire, il faut que le Festival du film africain de Louxor développe une approche en direction du jeune public de cette cité. Pourquoi pas des projections dans les établissements ou pour des établissements ?  Le cinéma est une messe et elle a besoin d’une grande communion, d’une grande communauté de spectateurs pour que la magie opère.

Ce festival est important pour les cinéastes africains au sud du Sahara car au-delà de donner leurs films à voir au public égyptien de Louxor et de rencontrer des professionnels du monde, ils ont l’impression de revenir à la maison-mère. En effet, ils savent depuis les travaux du chercheur sénégalais Cheick Anta Diop que la grande civilisation égyptienne est la première civilisation nègre et ils éprouvent, à Louxor, la légitime fierté d’en être les descendants !

 

 

Saïdou Alcény Barry

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