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Démission de Bouteflika: Ce qu’en pense Mohamed Doumi, le plus Burkinabè des Algériens

A n’en pas douter, c’est le plus Burkinabè des Algériens vivant dans notre pays. Expulsé de France vers le Burkina un jour d’août 1994 en même temps que d’autres islamistes présumés de Folembray, Mohamed Doumi a acquis depuis la nationalité burkinabè après avoir épousé une femme du pays.

Intégration plus que réussie donc pour celui qui est aujourd’hui connu comme le loup blanc.

Au lendemain de la démission du président Abdelaziz Bouteflika après six semaines de manifestations quasi quotidiennes, nous avons rencontré celui qui revendique son appartenance au Front de libération nationale.

Entre deux clients sereins dans son restaurant « La paix au Faso » qui jouxte le ministère de l’Environnement, il nous donne sa lecture des vicissitudes sociopolitiques de son pays.

 

 

 D’ici, comment vivez-vous la crise qui secoue l’Algérie depuis plus d’un mois ?

Nous suivons avec beaucoup d’intérêt les événements qui se déroulent en Algérie. Le peuple est majoritairement constitué de jeunes qui se sont levés pour réclamer le changement.

J’ai ma famille, mes enfants qui y vivent toujours. Je crois que le peuple algérien a tiré leçon des séries noires passées. On a l’expérience de la Révolution. Quand Bouteflika a accédé au pouvoir, il a décrété la réconciliation nationale qui a permis l’amnistie, l’intégration et la construction du pays. Maintenant nous sommes en démocratie, et dans tous les pays du monde il y a des remous sociaux. En France, on parle de gilets jaunes. Partout dans le monde, il y a cette génération qui ne veut plus de dirigeants qui s’éternisent au pouvoir. Aujourd’hui, un président doit faire deux mandats. A la rigueur, trois et c’est suffisant pour ne plus candidater. Nous connaissons Bouteflika. Il a bien travaillé pour développer l’Algérie. Mais il y a une nouvelle jeunesse qui demande le changement radical.

 

Le président a fini par démissionner. Quels commentaires vous en faites ?

 

Le peuple ne voyait plus son président. Ce sont les conseillers qui géraient le pays. Les Algériens ont connu des guerres qui ont causé beaucoup de pertes en vies humaines. Malgré cela, ils ont appris à pardonner. On construit le pays et on avance. L’Algérie a toujours pris des positions pour la libération de l’Afrique. Et elle ne veut pas d’ingérence des pays occidentaux.  Surtout, nous du Front de libération nationale (FLN) préférons que la France ne se mêle pas de ce problème en Algérie.  Nous FLN, nous avons déjà pardonné à la France. Mais nous ne voulons plus que les politiciens français remuent le couteau dans la plaie. C’est au peuple de décider seul. Nous avons des cadres dans l’armée, des jeunes officiers bien formés. Nous avons aussi des stratèges. Pour assurer la transition, il faut appliquer l’article 7 de la Constitution.  Nous souhaitons vraiment que ces évènements débouchent sur l’apaisement. Je sais que le vendredi à venir, les gens vont revendiquer d’autres changements.  Mais il faut que les manifestations restent pacifiques.

 

En principe, c’est le président du Sénat qui doit assurer l’intérim. Mais la rue ne veut pas entendre parler de lui. Quelle peut être la solution selon vous ?

 

D’abord, 90 jours pour revoir le fichier, faire des réformes et aller aux élections, c’est insuffisant. Pour moi, il faut au moins 5 mois pour organiser des élections propres avec la participation des OSC, de l’opposition, des syndicats, etc., aux débats. Bref, il faut qu’on y associe toutes les couches de la société sans exception autour d’une conférence nationale pour une Algérie nouvelle.

 

Mais la rue n’en veut pas ?

 

Bouteflika était un révolutionnaire qui a travaillé pour son pays. Il n’y a pas un seul Etat au monde qui puisse construire un million de logements en deux ans. Mais la jeunesse aujourd’hui a besoin de changement. Moi je suis exilé depuis 25 ans mais je suis de près l’évolution du pays. On entend dire que tout le monde doit partir. Comment est-ce possible ? Il faut trouver une solution dans tous les cas. Les manifestants reprochent au président du Sénat de faire partie du système mais, on ne fera pas de chasse aux sorcières. Nous disons à l’Occident de laisser l’Algérie libre, on est un Etat souverain. Si l’Algérie réussit dans son projet, c’est toute l’Afrique qui aura gagné.

 

Tout le monde a été mystifié par la nature pacifique du mouvement. Quel est selon vous le secret des Algériens ?

Le peuple a appris les leçons du passé. C’est pourquoi il n’y a eu aucune casse ni victime humaine lors des différents mouvements. Le secret du peuple algérien, c’est son histoire.

D’abord, c’est la révolution de 1954 - 1962 au cours de laquelle on a enregistré 1 500 000 martyrs.

Deuxième fait, entre 1962 et 1975, il y a eu l’ouverture à la démocratie avec la création de partis. Si on devait juger et chercher les coupables de cette guerre, on passerait 20 ans à juger. Bouteflika a mis en avant le pardon et la réconciliation. Le peuple a appris  par son histoire et c’est la raison pour laquelle on n’est pas tombé dans la violence pour détruire notre nation. Le sang qui a déjà coulé suffit. On peut se lever et dire non sans casser ni tuer et dire qu’il faut changer les choses. Il faut que les dirigeants comprennent que le pouvoir doit changer de mains. Mais en Afrique, quand on arrive au pouvoir, on s’attache au fauteuil présidentiel avec des boulons. Le peuple est souverain.

 

Malgré tout ce qu’on reproche à Boutef, quel souvenir gardez-vous de l’homme ?

 

C’est dommage qu’il soit entouré d’un cercle un peu véreux qui a conduit à cette situation. Car, il est un grand patriote, un grand combattant qui ne méritait pas de sortir de la scène de la sorte. Soit dit en passant, le président Bouteflika a été dans la Révolution avec mon père. Je le connais parfaitement. C’est un grand homme et un grand combattant. On ne peut pas diminuer sa valeur. Quand sa mère est décédée, je lui ai écrit et il m’a répondu. J’ai encore sa lettre avec moi.

 

Ne craignez-vous pas que l’Algérie tombe dans une sorte d’instabilité chronique comme dans les pays qui ont connu le printemps arabe tel la Libye ?

 

Non.  Cela ne va pas arriver, car nous connaissons très bien les Occidentaux, qui ne visent que leurs intérêts. Le peuple libyen pleure actuellement. Pour des gens qui avaient tout gratuitement, c’est regrettable.

Prions qu’il n’y ait pas de dérapage dont des gens profiteraient pour allumer le feu.

 

Interview réalisée par

Mireille Ebou Bayala

Hadepté Da

 

Dernière modification lejeudi, 04 avril 2019 19:41

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