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Imbabazi (Le Pardon) de Joël Karekezi : Comment revivre ensemble après le génocide

Le 7 avril 1994, débutait au Rwanda le génocide des Tutsi qui fera entre huit cent mille et un million de morts. C’est ainsi qu’au 20e siècle finissant, sous les yeux du monde, se perpétrait le génocide d’une communauté par une autre. 25 ans après, le Rwanda a réussi à se reconstruire et à retisser le tissu du vivre-ensemble entre victimes et bourreaux. Imbabazi, le premier long métrage de Joël Karekezi, sorti en 2011, s’intéresse à cette difficile équation de la vie après le génocide.

 

 

Après le génocide d’avril à juillet 1994, le Rwanda a installé des tribunaux pour juger les génocidaires. Après avoir purgé leur peine, ces hommes ayant recouvré la liberté sont revenus sur les lieux de leurs crimes. Côtoyant les survivants, les enfants de Tutsi qu’ils ont équarris à la machette, et parfois sous le regard de ceux-ci.

Imbabazi est un film réalisé avec un petit budget mais beaucoup d’engagement. Il est né d’une question : « Quelle serait ma réaction si je croisais dans la rue l’assassin de mon père ? » Joël Karekezi, qui a obtenu l’Etalon d’or de Yennenga au Fespaco 2019 avec son second long métrage, Mercy of the Jungle, avait huit ans au moment du génocide et il a perdu son père dans le massacre. A cette question, il apportera une réponse avec ce film.

Imbabazi est l’histoire d’une forte amitié entre Manzi, un Hutu, et Karemera, un Tutsi. Les messages de haine instillés par les partisans du nettoyage ethnique vont influencer Manzi, qui rejoint les miliciens du Hutu Power. Il en sera même le leader dans son patelin et va participer au massacre de la famille de son ami. Un plan large le montre courant devant sa troupe et hurlant les slogans de la mort tout en dévalant un monticule, ce qui symbolise cette descente aux enfers de Manzi et de ses compagnons. S’ensuivront les scènes de massacres à la machette qui sont brèves mais d’une insoutenable cruauté.

Quand Karemera apprend que Manzi est sorti de prison après avoir purgé une peine de 15 ans, les souvenirs du passé le submergent, charriant des images de violences et de bonheur détruit. Alors, il décide de le renvoyer en détention en prouvant qu’il est un organisateur du génocide et non un simple exécutant.  Le film, sans manichéisme, montre le cheminement des deux amis, Karemera obsédé par la vengeance, et Manzi, rongé par la culpabilité, et entreprend de témoigner du génocide pour empêcher qu’il se répète un jour futur. La repentance est une des conditions de la réconciliation.

Au final, Karemera et Manzi se retrouveront. Au pied d’un mur en train de rebâtir une maison. Symbole du Rwanda, de cette maison commune qu’ils sont condamnés à habiter en colocataires. Le pardon se révèle obligatoire, car il n’y a pas d’autre solution.

Toutefois, ce pardon ne peut intervenir qu’après la justice. L’un vient après l’autre comme dans une course de relais, le pardon se tenant au bout de la ligne d’arrivée pour mener à la réconciliation.  La justice est au début, le pardon se tient au dernier relais, juste avant la réconciliation. Ce dispositif ne peut être ni interverti ni raccourci, sinon on est condamné à faire du surplace.

Pourquoi évoquons-nous ce film aujourd’hui ? Parce qu’il dit en quelques images ce qu’est le pardon : non une notion religieuse ou philosophique mais une chose dictée par le pragmatisme. Quand bourreaux et victimes sont condamnés à habiter un même espace, après la belligérance et la justice vient le pardon pour permettre aux rescapés et aux bourreaux de revivre sur un même territoire et surtout pour permettre à la fleur de l’avenir d’éclore sur un sol pacifié. « Le pardon ne change pas le passé mais assurément il élargit l’avenir », enseigne Paul Boese. Et grâce à la réconciliation de ses fils, le Rwanda a réussi à remonter du gouffre pour être aujourd’hui au sommet de l’Afrique.  

Ensuite, ce film est à voir parce que notre sous-région s’achemine de nos jours vers des massacres communautaires de masse si rien n’est fait pour stopper la spirale de la violence. Et si nous n’avons pas su tirer des leçons du génocide rwandais parce que nous ne l’avons pas enseigné à nos populations, il est possible de s’inspirer de la gestion rwandaise de cette tragédie. A leur exemple, la justice et le pardon devraient être les deux mamelles auxquelles tète toute approche de réconciliation qui vise à préserver le vivre ensemble dans notre sous-région. Puissions-nous avoir la lucidité d’utiliser cet enseignement pour conjurer les horreurs qui se profilent à l’horizon.

 

Saïdou Alcény Barry

Dernière modification lejeudi, 04 avril 2019 19:35

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