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Fada : Vivre sous couvre-feu

Depuis le 7 mars 2019 et cela jusqu’au 20 avril, les habitants de la région de l’Est sont soumis à un couvre-feu de 19h à 6 h du matin. A Fada, les horaires ont été allégés depuis le 30 mars en réponse aux sollicitations de la population, asphyxiée par l’absence d’activités nocturnes. L’assouplissement de ce régime, qui court désormais de 22h à 5 h, n’a pas pour autant réglé tous les problèmes.  C’est en tout cas le constat que nous avons fait les 11 et 12 avril derniers, en marge de la conférence de presse donnée par le chef d’état-major général des armées dans la capitale du Gourma sur l’opération Otapuanu, « pluie de foudre », pour ceux qui ne pigent pas gulmancéma.

 

Des conducteurs de taxi-motos, reconnaissables à leurs gilets jaunes, proposaient leurs services à l’entrée de la gare  aux passagers qui venaient de débarquer  du  car. Depuis la détérioration du climat sécuritaire à l’Est, les affaires ne roulent plus pour les taxis à deux roues de Fada, devenus depuis 2008 l’un des symboles de la ville. « Il n’y a plus d’étrangers », soupire Daniel, entouré de ses camarades.  Du 7 au 30 mars, les habitants de la cité de Yendabri devaient en plus composer avec un couvre-feu qui débutait dès 19h. « A cette heure (il est 17h) ;  on s’apprêtait à rentrer », se rappelle le zémidjan(1), pour parler comme à Cotonou ou à Lomé. « Quand l’heure arrive, les gens filent chez eux, personne n’est fou pour ne pas respecter le couvre-feu», poursuit-il.  Quelques rétifs se font pourtant alpaguer chaque nuit par les FDS, qui veillent au respect de la mesure. Quand des personnes a priori suspectes sont interpellées, elles sont  conduites au poste pour des contrôles approfondis  d’identité.  Les autres sont relâchés, non sans avoir été débarrassées au préalable, selon les témoignages, de toute envie de mettre le nez dehors ou de traîner les pas pendant le black-out. Des histoires de brûleurs de couvre-feu malmenés,  Daniel et ses camarades ne se privent pas de nous en raconter,  comme le cas de ce motocycliste qui a préféré abandonner son engin et prendre ses jambes à son cou pour échapper aux forces de l’ordre qui ne badinent pas quant au respect de l’interdiction d’aller et de venir sous le couvre-feu. Pour ne pas prendre de risque, les bus des compagnies de transport qui quittent Ouagadougou à une certaine heure  passent la nuit avec leurs passagers à Koupéla,  parce que ne pouvant pas  entrer à Fada avant le début du couvre-feu. D’autres voyageurs, déjà dans la ville mais non certains de regagner à temps leur destination finale, dorment à la gare. L’allègement du couvre-feu, désormais fixé  de 22h à 5h, est donc un début de soulagement.

Si aujourd’hui les opérations entamées par l’armée pour reprendre du terrain aux terroristes rassurent, la peur ne s’est pas autant totalement dissipée. Les  « gilets jaunes » de Fada se gardent désormais de conduire des clients hors de la ville, surtout dans les zones réputées à risque. Des taxis-brousses, communément appelés Dina, continuent, eux, cependant de  s’aventurer sur le tronçon Fada-Pama où les attaques se sont concentrées ces derniers mois.

Le 12 octobre à midi, lendemain de notre arrivée à Fada, nous nous retrouvons dans une gare de fortune des Dina qui desservent la zone rouge, pour ne pas dire verte du fait de son couvert végétal, devenu un repaire des forces du Mal. « Depuis le matin, on n’a pas bougé. Il y a peu de voyageurs », nous dit, une complainte dans la voix, Abdoulaye, un chauffeur, tout en montrant du doigt l’intérieur du véhicule où patientent une poignée de passagers. S’il prend encore  le risque  d’arpenter une voie où des engins explosifs ont semé la mort, c’est parce que, explique-t-il, il n’a pas le choix : « Comment on va faire pour nourrir nos familles ? ». Un passager de plus et  Abdoulaye  décide de prendre la route avec son minicar à moitié vide. Accroché à son volant, il nous lance : « C’est Dieu qui nous protège ».  Si des véhicules civils peuvent encore s’enfoncer dans la ligne de front, les « fonds rouges » évitent de le faire.  Les autorités administratives de la région circulent d’ailleurs, pour  des raisons évidentes de sécurité, dans des véhicules banalisés.

 

Cours du soir pendant le jour

 

Il est 18 h lorsque Koami Houngou arrive à l’école Sarbangou A. Un de ses élèves se précipite pour prendre sa sacoche. L’enseignant organise des cours d’appui en mathématiques et en physique pour une vingtaine d’élèves qui préparent l’examen du BEPC. Aux premiers jours du couvre-feu, les cours n’avaient plus lieu en semaine : « C’était compliqué. On était obligé de tenir les séances uniquement les samedis de 14h à 18h », relate le prof. Dans une autre classe où se tenait une formation pour les concours professionnels, le promoteur avait tout simplement suspendu son activité. D’autres organisateurs d’activités éducatives  nocturnes ont préféré tout simplement s’adapter. A l’école Bethsaïda, où se tiennent des cours du jour et du soir, l’oukase du gouverneur a entraîné un réaménagement des horaires : alors que les cours du soir se tenaient d’habitude de 18h à 20h, une décision a été prise, à la suite d’une réunion de crise, de libérer les élèves du jour plus tôt pour permettre aux cours du soir de se tenir de 17h à 18h30. Et pas question de traîner à la fin des classes, selon Abdourazack Kiéma, l’un des enseignants : « Dès qu’il était 18h30, on libérait les enfants pour qu’ils puissent rentrer avant l’heure du couvre-feu », indique-t-il. Depuis l’allègement de la mesure, tout est rentré dans l’ordre.

Mais il y a bien d’autres secteurs dont l’assouplissement du couvre-feu n’a pas mis fin aux difficultés. Fada by night n’est plus ce qu’il était.

 

 

Ça ne coule plus à flots dans les débits de boissons

 

19 h au maquis « Satellite ». Les serveuses se glissent entre les rangées pour sauter les capsules des bouteilles. Difficile d’imaginer que le débit de boissons pouvait être fermé à cette heure. Et pourtant c’est tout Fada qui  s’endormait quelques semaines plus tôt à 19h.  30 minutes avant le deadline, c’était la débandade dans les maquis où les clients  avalaient des gorgées en gardant un œil sur la montre. En face du « Satellite », Maria Dahani, une veuve élevant seule ses deux enfants, a vu l’orage passer. « J’ai jeté beaucoup de nourriture », nous confie la vendeuse de salade entre deux clients. La restauratrice veille toujours à respecter scrupuleusement l’heure du couvre-feu, ce qui n’est pas sans créer parfois des tiraillements avec les clients qui tiennent à se faire servir quelques minutes avant l’heure fatidique : « On ne s’amuse pas avec ça », dit-elle, ferme.

A peine 21h, et le maquis « La forêt 1 » est déserté. Le propriétaire des lieux, Salif Traoré, dit Cissé, pense comme la plupart des Fadalais que la restriction des libertés est un mal nécessaire. Mais il ne peut s’empêcher de noter la baisse de son chiffre d’affaires : « On vendait environ pour 100 000 francs par jour, maintenant c’est déjà une chance si on fait 20 000 ». Pour lui, il n’y a aucun doute que  « le couvre-feu a tué l’économie ». Le promoteur de « Fada mixte », l’un des bars les plus cotés de la ville qui se plaignait déjà lors d’un précédent reportage dans nos colonnes  de la baisse de son activité, a, lui, décidé de profiter de ce temps de vaches maigres pour entamer des travaux de rénovation de son établissement.

 

                                 Les filles de joie font grise mine

 

C’est le couloir du charme. Deux rangées de maisonnettes se font face. Devant chaque demeure, parfois entrouverte pour que tout potentiel client puisse y voir le confort, des filles sont assises sur des chaises de jardin avec des tenues à vous en mettre plein la vue. Après un premier tour de reconnaissance pendant lequel nous avons été apostrophés de tous les côtés, nous hésitions à aborder une de ces dames qui proposaient leurs charmes. Aborder une prostituée en reportage, ça ne s’apprend pas dans une école de journalisme ! Pendant qu’avec le photographe nous restions là sans savoir trop comment nous y prendre, notre guide, un vieux dans le métier, réussit sans coup férir à nous ramener une des locataires des lieux. Elle s’appelle Bella, un surnom qui va comme un gant au « petit modèle», moulé dans une robe blanche. Elle accepte avec beaucoup de réserve de parler. Ici aussi le couvre-feu a fait des dégâts. Leur activité se déroulant essentiellement la nuit, à l’abri des regards, certaines filles de joie ont dû plier bagage.  Même à 1000 francs CFA la passe, personne ne voulait se risquer à finir au commissariat après une partie de jambes en l’air.  Aujourd’hui, « les clients viennent un peu un peu », dit d’une voix timide Bella.

Autre lieu, même morosité : Aïda, postée devant son bungalow où elle offre des passes, n’a pas fière mine. « Est-ce que tu vois client ici ? », nous interroge-t-elle d’un ton ferme. « On se cherche ici ».  « C’était plus dur quand le couvre-feu était à 19h », poursuit une autre fille du coin. Seule solution, venir la journée : « Seuls les étrangers venaient la journée, car les autochtones n’acceptaient pas de venir », précise-t-elle.

S’il faut trouver à tout prix un seul avantage au couvre-feu, c’est sans doute au sein même des familles qu’il faut aller le chercher. « Cela a arrangé les foyers puisque les femmes ont retrouvé leurs maris » ; « les foyers sont désormais unis, seuls les célibataires ont des problèmes ». Autant de commentaires que nous avons entendus. Mais le retour des hommes à la maison n’est pas toujours synonyme de bonne ambiance. Une enseignante que nous avons rencontrée en fait l’amère expérience tous les jours : son époux est devenu irritable  à la maison depuis qu’il ne peut plus mettre les pieds dehors après une certaine heure. « Même si une cuillère tombe, c’est la bagarre. Je lui dis chaque fois que ce n’est pas moi qui ai instauré le couvre-feu. Maintenant, je suis pressée même qu’il sorte». Elle ne serait en tout cas pas la seule à se réjouir si le couvre-feu n’était plus prolongé après le 20 avril ou s’il était assoupli davantage.

Hugues Richard Sama

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