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Démocratie en Afrique : Le laboratoire béninois est-il devenu obsolète ?

On l’appelait jadis le quartier latin de l’Afrique, puis, au début des années 90, on l’avait baptisé laboratoire de la démocratie sur le continent quand vint le printemps du pluralisme.

 

C’est en effet ici que se tint en février 90 la première Conférence nationale souveraine (CNS) dans l’espace francophone qui allait par la suite faire tache d’huile dans de nombreux autres pays africains tels le Gabon, le Congo, le Mali, le Niger et le Zaïre.

 

C’est également là que les électeurs se payèrent le luxe dès 1991 de renvoyer le plus démocratiquement du monde à ses chères études politiques un président en exercice, de surcroît militaire et marxiste reconverti de force au suffrage universel, provoquant alors les sarcasmes de bon nombre de ses homologues. « Je ne suis pas Mathieu Kérékou pour organiser des élections et les perdre », aurait ainsi dit un jour le défunt président gabonais Omar Bongo Ondimba.

 

De fait, depuis trois décennies, le Bénin a connu l’alternance au sommet à plusieurs reprises, signe d’une vitalité démocratique certaine. Ajoutez-y une presse indépendante, une opinion nationale dynamique et on finissait de se convaincre que l’ancien Dahomey était vraiment l’un des phares de la démocratie sur le continent.

 

Il faut croire que le fanal a tendance à pâlir ces derniers temps et  que, dans ce laboratoire qui a visiblement pris un coup de vieux, les becs de Bunsen, les colonnes de distillation, les spectrophotomètres, les centrifugeuses et autres pompes à eau sont devenus obsolètes au point qu’on peut douter des résultats  qui en sortent.

 

Pour la première fois depuis une trentaine d’années, des élections se sont déroulées au Bénin sans la participation de l’opposition. Hier dimanche 28 avril 2019, 5,5 millions d’électeurs étaient en effet convoqués aux urnes pour élire leurs 83 députés au cours d’une élection boycottée par une opposition particulièrement remontée depuis de longues semaines contre le nouveau code électoral voté début septembre 2018 et dont certaines des dispositions sont on ne peut plus problématiques.

 

Au nombre de celles-ci, l’explosion des cautions pour la présidentielle qui passe de 15 millions de FCFA à… 250 millions et pour ce qui est des législatives, il fallait casquer la rondelette somme de 249 briques par liste contre 8,3 auparavant.

 

Nous ne sommes plus en démocratie, c’est une véritable ploutocratie pour milliardaires, à l’image du président Patrice Talon, une forme de suffrage censitaire à rebours puisqu’ici, ce ne sont pas les électeurs qui doivent justifier d’une certaine surface financière mais plutôt ceux qui veulent être élus. A titre de comparaison, la caution pour la présidentielle est de 50 millions en Côte d’ivoire, 30 millions au Cameroun et au Sénégal, 25 millions au Burkina.

 

Pour ne rien arranger, seuls les partis ayant recueilli au moins 10% des suffrages sur le plan national pourront siéger à l‘hémicycle. Avant la promulgation de ce que les opposants au régime prennent pour  une loi scélérate, une nouvelle charte  des partis avait du reste été adoptée en juillet 2018 qui obligeait les différentes formations à se regrouper pour continuer à exister.

 

Dans un pays qui compte, il est vrai, quelque 200 formations politiques qui sont pour la plupart des échoppes politiques à des fins inavouables, cette mesure apparaissait comme une œuvre de salubrité démocratique ;  mais comme le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions, à ce petit jeu des fusions-absorptions, c’est le camp présidentiel qui s’en est sorti indemne avec deux blocs formés autour, d’un côté, du  Parti du renouveau démocratique (PRD) du président de l’Assemblée nationale, Adrien Houngbédji, et d’Abdoulaye Bio-Tchané, et, de l’autre, la Renaissance du Bénin (RB) et l’Union fait la nation (UN).

 

Les adversaires du pouvoir ayant décidé de pratiquer la politique de la chaise vide pour n’avoir pas obtenu le repêchage qu’ils espéraient, c’est donc un entre-soi électoral entre mouvanciers qui s’est tenu ce dimanche, marqué d’une pierre noire dans l’histoire du Bénin. Un scrutin sans enjeu donc si ce n’est le taux de participation – forcément dérisoire, vu le peu d’affluence dans les bureaux de vote -et qui aura pour conséquence un Parlement monocolore certes légal mais pour  ce qui  est de la légitimité, on repassera.

 

Le Bénin nous avait habitués à mieux que ça. Preuve supplémentaire du grave péril qui guette la démocratie, Internet et les réseaux sociaux étaient inaccessibles en cette journée électorale, ce qui ne s’était jamais vu auparavant. Et Patrice Talon et ses convives, qui assassinent ainsi le multipartisme, en porteront une lourde responsabilité devant l’histoire.

 

La Rédaction             

Dernière modification lemardi, 30 avril 2019 00:59

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