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Sit-in des enseignants : «J’espère qu’on n’en arrivera pas à l’année blanche» (Jacques Nacanabo, prof d’EPS)

 

Les épreuves sportives du Brevet d’études du premier cycle (BEPC) n’ont pas débuté hier 2 mai 2019 contrairement à ce qui avait été prévu. Cela fait suite à la décision de la Coordination nationale des syndicats de l’éducation (CNSE), le 26 avril dernier, de suspendre les évaluations à tous les niveaux en vue d’amener le gouvernement burkinabè à satisfaire sa plate-forme revendicative. C’est le constat que nous avons fait dans deux établissements d’enseignement public de Ouagadougou. Le sit-in qui a débuté ce 2 mai est effectif ; les enseignants ont simplement abandonné les classes de 7h 30 à 11h 30 ou de 7h à 11h, laissant leurs élèves en vadrouille ou leur permettant de s’occuper comme ils l’entendent. Jacques Nacanabo, un professeur d’Education physique et sportive, espère qu’on n’en arrivera pas à l’année blanche.

 

 

L’appel du coordonnateur régional de la Coordination nationale des syndicats de l’éducation du Centre (Yayiré Yoin) n’est apparemment pas tombé dans l’oreille d’un sourd ; lui qui invitait la veille, à la Bourse du travail, les professeurs d’Education physique et sportive (EPS) à suspendre toutes les activités jusqu’à nouvel ordre. Conséquence : pas d’épreuves sportives, ce jour 2 mai 2019, pour les candidates et candidats à l’examen du BEPC. 10h passées d’une quinzaine de minutes au lycée Philippe-Zinda-Kaboré (LPZK). Les portes de l’établissement sont grandement ouvertes, permettant à qui veut d’y entrer ou d’en sortir sans accroc. Certains élèves quittent les lieux par petits groupes, d’autres sont à la cafète ou sous des arbres en train de papoter. Une catégorie d’entre eux préfère mettre le temps mort à profit pour réviser des exercices de mathématiques sur des tableaux noirs implantés çà et là, tandis qu’un autre groupe s’adonne au sport roi : le football. Les enseignants, eux, sont devant la salle des professeurs. Assis sur des chaises ou des bancs en train de deviser : ils sont profs d’EPS, mais ne sont pas en jogging, profs de mathématiques, de physique-chimie, d’histoire-géo, entre autres, mais ne s’encombrent pas de leurs outils de travail (règle, compas, équerre, et tutti quanti). C’était là, tout le sens du sit-in débuté ce jour et qui doit s’étendre à tout le mois de mai.

 

«Le sit-in se passe bien, il est bien suivi. Il y a une grande mobilisation même si à l’heure où nous vous parlons, beaucoup sont déjà rentrés. Pour cette matinée, la liste fait état d’une cinquantaine de personnes déjà inscrites (52) », déclare Nouhoum Dakié, prof d’histoire-géo, par ailleurs secrétaire général adjoint du comité F-SYNTER (Fédération des syndicats nationaux des travailleurs de l’éducation et de la recherche) au LPZK. Il a poursuivi en expliquant que les épreuves sportives de l’examen du BEPC ne se tiennent pas comme prévu. Elles ont été reportées au 6 mai selon une note des responsables du lycée. « A quoi répond concrètement ce sit-in ?». Et l’enseignant d’indiquer que c’est la suite de leur lutte entamée depuis 2017. Il rappelle que les syndicats de l’éducation avaient eu une sortie de crise en janvier 2018, ce qui c’était traduit par un accord signé avec le gouvernement. «Mais nous sommes à plus d’une année et demie et ces accords n’ont pas été respectés dans leur entièreté, même pas à 50%. Fait partie de ces points l’aspect essentiel, c’est-à-dire la signature d’un statut valorisant les enseignants et les travailleurs du ministère de l’Education. Ce n’est pas encore effectif, or l’espoir du personnel porte sur ce statut», dit-il.

 

 

 

«Qu’en est-il des mesures prises en Conseil des ministres ?»

 

 

Nouhoum Dakié ajoute que les mesures prises en Conseil des ministres, le 30 avril dernier, sont essentiellement relatives aux questions pécuniaires (indemnité de logement, indemnité spécifique, bonification d’échelon à titre exceptionnel). Cependant le point sur le statut valorisant renseigne que les travaux d’écriture dudit statut devront débuter le 6 mai prochain à Koudougou pour une durée maximale de 21 jours, ce qui lui fait dire que ces mesures ne sont pas suffisantes pour le moment. Le SG adjoint du comité F-SYNTER émet des doutes et croit qu’il leur faut constater, à la fin du mois, si quelque chose a été mis dans le grenier. Des réserves d’autant plus fondées qu’en septembre 2018, dit-il, le gouvernement a annoncé qu’il a traité 40 000 dossiers en rapport avec les indemnités. «Mais on n’a rien vu. Qu’est-ce qui prouve qu’avec ces récentes décisions, il y aura effectivement le payement de ces indemnités ? Qu’est-ce qui nous dit qu’on ne serait pas encore dans l’attente en fin mai ? Qu’on ne va pas continuer à courir après ce qui nous a été promis ? », s’interroge-t-il.

 

Jacques Nacanabo, lui, est professeur d’EPS et dit avoir reçu la consigne de sursoir aux programmes, car si «les épreuves sportives commencent, c’est comme si nous n’aurons plus de moyen de pression pour amener le gouvernement à avancer dans nos négociations». Il affirme que les directeurs ont sorti d’autres programmes avant de constater même qu’il n’y a personne sur les terrains de sport, ce jour 2 mai. «Et les conséquences sur la suite de l’année scolaire ? ». «Pour ce qui est des épreuves sportives, il nous faut un mois. Si on devait respecter le calendrier, on commençait le 2 mai pour finir le 31. Les épreuves écrites, elles, commencent le 6 juin. Donc, si on bouscule ce mois de mai, cela veut dire que les élèves n’auront pas de temps de repos avant d’entamer les épreuves écrites». La CNSE semble décidée, à écouter Jacques Nacanabo, qui estime que les enseignants ont toujours été très tolérants et ont toujours rattrapé les retards accusés à l’issue des compromis. «Chaque fois, le gouvernement nous fait des propositions qu’on accepte mais à la dernière minute, il ne respecte pas sa parole », relève-t-il. « Quitte à compromettre l’année scolaire alors avec une année blanche ? ». Sur cette interrogation, l’enseignant lâche qu’il serait très difficile de faire des omelettes sans casser des œufs, comme pour dire qu’il n’est pas exclu qu’on en arrive à une situation extrême. Il dit d’ailleurs espérer qu’on n’en arrivera pas là.  Dans la foulée, une randonnée dans les coins et recoins de l’établissement permet d’apercevoir des apprenantes et apprenants qui s’occupent à qui mieux mieux. Les portes donnant sur le terrain du lycée sont closes. Sur demande, le gardien des lieux nous permet de progresser vers l’espace quasi désert, mais bien avant, une note du proviseur informe que «les épreuves sportives des examens nationaux initialement prévues pour le 02 mai 2019 sont reportées au 06 mai 2019, aux mêmes lieux et aux mêmes heures ».

 

 

 

Autre lieu, même réalité

 

 

 

A quelques mètres du « noble Zinda », se trouve le Lycée Nelson Mandela. La grande porte de l’établissement est fermée. Ici également, le parking se vide de ses engins, les éducateurs se tournent les pouces sous un arbre. Wouadem Ouédraogo, professeur d’anglais, se jette à l’eau. Ses camarades et lui (au nombre de 59) sont devant l’administration depuis 7h et ne quitteront les lieux qu’à 11h. Motif : «c’est dans l’optique d’amener le gouvernement à mettre en application le protocole d’accord signé depuis longtemps ». Pendant la période du sit-in, dit-il, il n’y a pas d’activités pédagogiques dans les salles mais après le timing fixé, les choses reprennent comme si de rien n’était. La piste où se mènent les activités sportives est aussi désespérément vide. Il ne nie pas que la suspension des évaluations aura un impact sur le calendrier scolaire mais estime comme son collègue que les enseignants ont toujours été de bonne foi. Selon ses propos, si les acteurs d’en face montrent de la bonne volonté, des solutions pourraient toujours être trouvées. Il juge également insuffisantes, les décisions prises en conseil des ministres concernant le monde de l’éducation. «Le mot d’ordre avait été suspendu pour deux mois, mais vous constaterez qu’il n’y a aucune application de l’accord signé depuis longtemps. C’est tout le sens du sit-in », précisera Wouadem Ouédraogo. Il explique que ce n’est pas de gaîté de cœur qu’ils étendent le sit-in à tout le mois de mai étant donné qu’ils sont également des parents d’élèves qui ont aussi leurs enfants dans les établissements d’enseignement. Mais avec ces nombreuses perturbations et les examens scolaires qui s’annoncent, ils sont de plus en plus nombreux les parents d’élèves, voire des élèves eux-mêmes, qui redoutent l’année blanche.   

 

Joint au téléphone, le Coordonnateur national des syndicats de l’éducation, Bonaventure Bélem, a confirmé qu’il y a eu une rencontre le 2 mai entre la CNSE et le gouvernement mais a ajouté qu’il ne peut «rien dire par rapport au contenu ».

 

 

 

Aboubacar Dermé

 

Kader Traoré

 

 

 

 

 

Encadré :

 

«L’examen se prépare mal»

 

(Adjaratou Ouédraogo, élève en Tle D6 au Zinda)

 

 

 

Assis sur une table-banc défectueuse dans la cours du lycée Philippe-Zinda-Kaboré, en face d’un tableau, Adjaratou Ouédraogo et ses 2 amis traitent des exercices de maths tout en devisant. Ils sont de la classe de Tle D6, sont conscients que l’année tire vers sa fin, mais constatent avec beaucoup de tristesse le retard accusé dans le déroulement des programmes annuels. «Sans vous mentir, l’examen ne se prépare pas du tout bien, car avec les grèves, les programmes ne sont pas encore achevés et il y a de grands retards dans certaines matières comme en histoire et en géographie, les sciences de la vie et de la terre et aussi en physique-chimie. En fait, dans ces domaines, les programmes sont vastes. Par contre, dans les matières littéraires, comme le français et la philosophie, ça va mieux», nous a dit Adjaratou.

 

Et avec ce sit-in des enseignants pour un mois, les classes d’examen seront encore durement touchées. «C’est difficile d’avancer dans ce cas de figure. Quand ce ne sont pas les élèves, ce sont les professeurs ou souvent les deux à la fois qui observent des mots d’ordre de grève. Dans cette situation, comment allons-nous boucler cette fin d’année, ou encore quel sera le taux de réussite ou d’échec? C’est sûr que les résultats seront pires que ceux de l’année passée, si toutefois nous n’arrivons pas à achever les programmes. A titre d’exemple, il y a un chapitre dénommé  Immuno et qui sera sans doute dans l’épreuve de SVT. On n’a même pas fini avec les modules sur le système nerveux pour à plus forte raison aborder ce dernier chapitre. Donc vous voyez dans quelle situation nous nous trouvons», explique  Adjaratou avec amertume. Pour elle et ses amis, la solution serait que le gouvernement satisfasse rapidement les revendications des professeurs afin que les examens ne  soient pas pris en otage.

 

 

 

K.T.

 

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