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Procès putsch manqué : La parole est maintenant à la défense

 

Après une suspension demandée par les avocats de la défense le 17 juin 2019 après les réquisitions du parquet militaire, l’audience du procès du putsch manqué de septembre 2015 a repris hier, jeudi 27 juin 2019, à la salle de Banquets de Ouaga 2000. Pour ce premier jour des plaidoiries de la défense, la parole a été donnée à Me Dieudonné Ouily et à Me Timothée Zongo.

 

 

 

 

Avant l’entame des plaidoiries à proprement parler, trois avocats de la défense, notamment Me Antoinette Ouédraogo, Me Mathieu Somé et Me Zaliatou Aouba, se sont entretenus avec le tribunal sur des préalables.

 

L’ancienne patronne du barreau, Me Antoinette Ouédraogo, a campé l’environnement social et politique du procès du coup d’Etat de septembre 2015. Sur le premier point, tout comme les avocats des parties civiles, elle a demandé au tribunal de dire le droit, mais en ne violant pas les principes du droit pénal. Car, a-t-elle dit, l’opinion publique a été manipulée pendant les faits. S’agissant de l’environnement politique, elle a regretté le fait que certains membres du tribunal récusés avant le début du procès siègent quand même. Pour elle, il y a, à certains égards, un déni de justice. Elle a également noté une violation des droits de la défense. « L’exclusion des avocats étrangers constitue une violation grave du droit », a-t-elle affirmé. Il a fallu, selon elle, l’intervention de la CEDEAO pour que certains avocats n’ayant pas la nationalité burkinabè prennent le train en marche.

 

Me Mathieu Somé, lui, a demandé un procès équitable, car l’article 1 de la Constitution du 02 juin 1994 du Burkina Faso dispose que tous les Burkinabè naissent libres et égaux en droit. En outre, il a évoqué le droit de la défense. Chaque accusé, a-t-il dit, a le droit de choisir librement sa défense. « La Constitution interdit de traiter de manière illégale les citoyens », a-t-il rappelé au tribunal. Et de lui signifier que les préjugés sont interdits par la Constitution. C’est pourquoi l’avocat dit s’être senti mal dans sa peau que certains avocats des parties civiles aient demandé à des accusés de se présenter à la barre sans leurs galons. Pour lui, c’est une violation grave de la présomption d’innocence. Qu’à cela ne tienne, il a demandé au tribunal de se mettre au-dessus des pressions et de dire le droit. « Vous devez vous départir des préjugés et apprécier les éléments que le parquet et la défense ont fournis à votre juridiction ».

 

Me Zaliatou Aouba, quant à elle, a évoqué trois points : l’attentat à la sûreté de l’Etat, la prévisibilité d’une infraction et l’intime conviction. Sur le dernier point, elle a signifié au tribunal que l’article 427 du Code de procédure pénale est encadré par le doute lorsque les accusés sont devant la barre. « La présomption d’innocence vous demande d’avoir ce doute. C’est ce doute qui vous amènera à apprécier les faits développés devant votre barre. Vous devez vous assurer que vous ne vous êtes pas trompés au moment de délibérer ».

 

Après cette mise en bouche, c’est Me Dieudonné Ouily qui a débuté la phase des plaidoiries. Ne promettant pas au tribunal un discours éloquent, car cela n’étant pas son objectif, il a nourri l’espoir que ce sera sa dernière intervention dans le cadre de ce procès parce qu’il espère que ses clients seront acquittés. Au président du tribunal il a demandé de garder son indépendance afin que la décision qu’il viendra à prendre soit acceptée. « Ne tenez pas compte des opinions politiques. Le politique, dans sa volonté de tout contrôler, voit en la justice le canal pour se débarrasser de ses adversaires. Aussi, gardez-vous des opinions partisanes », a affirmé l’avocat du commandant Abdoul Aziz Korogo et du sous-lieutenant Boureima Zagré.

 

Revenant sur les faits, il a signifié au tribunal que le commandant Korogo a été proposé comme chef de corps par intérim de l’ex-Régiment de sécurité présidentielle (RSP) après être rentré d’une formation à l’école de guerre de Yaoundé au Cameroun. Le commandant, a indiqué son conseil, a pris fonction le 1er septembre 2015. « Il a vu un régiment presque fracturé », a ajouté l’avocat. Il a alors approché ses supérieurs hiérarchiques et leur a demandé leur autorisation pour prendre des dispositions en vue de redresser le corps. C’est dans cet environnement, a relaté la défense du commandant, que le 16 septembre, il a reçu un appel du général lui signifiant de l’attendre au camp Naaba Koom. Une fois au camp vers 14h, il constatera une ambiance inhabituelle. Renseignement pris auprès des uns et des autres, il apprendra que les autorités de la Transition ont été prises en otage. « Le chef de corps a donc été mis devant le fait accompli », a indiqué son conseil.

 

Mais le commandant a pris son mal en patience et attendu l’arrivée du général Diendéré pour mieux comprendre la situation. « Sur les lieux, le général s’est excusé parce qu’il n’avait pas informé certains hommes, notamment mon client, de ce qui se tramait », a signifié Me Ouily. L’avocat a rappelé au tribunal qu’à la barre, le commandant a présenté ses excuses au président de la Transition pour n’avoir pas pu assurer sa protection. Poursuivi pour complicité d'attentat à la sûreté, meurtre, coups et blessures, à écouter l’avocat du chef de corps par intérim de l’ex-RSP, son client n’était pas d’accord avec les agissements des putschistes. C’est la hiérarchie, fera savoir son conseil, qui l’a instruit de rester à son poste. « Vous vous souviendrez qu’à la barre, la hiérarchie militaire a déclaré que le commandant a mené de bonnes actions ». Pour l’avocat, il n’y a pas de doute. Si le commandant est resté, c’est parce que l’autorité militaire lui a donné des instructions. « N’eût été son rôle combien important, le pire était à craindre ».

 

Son deuxième client, le sous-lieutenant Boureima Zagré, était au Mali pour une mission de maintien de la paix. Son bataillon étant rentré au pays, la période de congé du lieutenant était enclenchée. Donc, indiquera son conseil, contrairement à ce que certains avocats des parties civiles veulent faire croire, le lieutenant n’est pas rentré pour participer au coup d’Etat. Il est allé le 16 septembre 2015 au camp Naaba Koom pour emprunter un véhicule pour ses déplacements. Au camp, il a vu un rassemblement et a participé à la réunion sans prendre la parole. Dans la nuit du 17 septembre, il a conduit une mission pour récupérer du matériel de maintien de l’ordre. Le 20 du même mois, il a conduit une mission de dispersion de manifestants à la place de la Nation. « Une mission conduite sans bavure, tout comme la première », a précisé son avocat. Ce sont ces actes qui ont valu au commandant d’être jugé pour complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat, meurtre, coups et blessures volontaires, incitation à commettre des actes contraires au règlement et à la discipline militaires.

 

Pour le conseil des deux accusés, ceux-ci sont arrivés au moment où l’infraction était déjà consommée. Peuvent-ils répondre des faits qui leur sont reprochés ? « Assurément non, Monsieur le président. Ils ne peuvent pas être des complices de cette affaire », dira-t-il. Le parquet a requis 15 mois de prison avec sursis pour les clients de Me Ouily. Une peine que l’avocat juge lourde. « Le parquet n’a eu aucune justification pour tenir compte des circonstances atténuantes. Il a juste prononcé des peines. Monsieur le président, il vous revient de mettre certains paramètres dans la balance lors de la délibération. Il faut noter que chacun de mes clients est travailleur et un  modèle dans l’armée ».

 

Le deuxième à avoir plaidé devant la chambre de première instance du tribunal militaire est Me Timothée Zongo, avocat des accusés sergent-chef Adama Diallo, adjudant Kossè Ouekouri, adjudant-chef major Moutuan Coumbia et Mahamado Bouda, chef de groupe au Groupement des unités spéciales. Ils sont poursuivis pour complicité d’atteinte à la sûreté de l’Etat, de meurtre, de coups et de blessures volontaires et de dégradation volontaire aggravée de biens. Pour leur défense, leur avocat demande au tribunal de s’en tenir aux faits, car ceux-ci sont sacrés. « Les conclusions que chacun tire de ces faits peuvent différer, mais on doit s’accorder sur les faits. Et justement, venons-en aux faits».

 

Le sergent-chef, Adama Diallo, selon son avocat, était le témoin d’un mariage le 16 septembre 2015. Il s’activait pour la bonne marche de la cérémonie quand son téléphone a sonné. Au bout du fil, le major Eloi Badiel. Ce dernier lui dit de rejoindre le camp Naaba Koom. Quand le sergent-chef a reçu l’appel, il pensait, à en croire son conseil, que c’était pour lui faire des remontrances parce qu’il a pris des chaises au camp pour le mariage dont il était un témoin. Toujours selon son avocat, son entourage ne voulant pas qu’il ait des problèmes, il lui a suggéré d’aller remettre les caquetoires. Quand le chef Diallo est arrivé au camp, il a vu un monde fou. Le major Badiel était sous le hall avec un véhicule positionné et des hommes armés. « Le sergent-chef n’était pas armé », a précisé son avocat. Le major Badiel lui a remis un gilet pare-balles et lui a dit de monter dans un véhicule. Après toutes ces précautions, le chef Diallo embarque avec les hommes qui partaient pour l’arrestation des autorités de la Transition. Il a également fait partie de l’équipe qui est allée sécuriser l’hôtel Laïco devant recevoir les chefs d’Etat.

 

Son deuxième client, l’adjudant Kossè Ouekouri, appelé au camp le 16 septembre, a relaté son conseil, est arrivé en tenue de sport, sans arme. A son arrivée, les hommes qui devaient arrêter les autorités de la Transition étaient en partance. C’est au camp qu’il apprendra avec le major Badiel que le général Diendéré a instruit d’arrêter les autorités de la Transition. Selon son avocat, l’adjudant a demandé la permission pour aller se mettre en tenue militaire. Une requête qui sera refusée, parce que, selon l’avocat, son supérieur savait que s’il le laissait partir, il n’allait plus revenir. « On lui a donc dit de rejoindre l’équipe avec la tenue qu’il avait sur lui ».  Après cette mission, une autre instruction lui a été donnée d’aller avec le sergent-chef Laoko Mahamed Zerbo sécuriser le côté est du palais de Kosyam. La dernière mission, c’était chez l’ancien président de l’Assemblée nationale, feu Salif Diallo. « Mon client est allé sécuriser la maison du président de l’Assemblée nationale pour éviter que les manifestants la saccagent. Un témoin a même dit à la barre qu’il l’avait vu en train d’aider à éteindre les flammes ».

 

Dans l’après-midi, Me Timothée Zongo a développé des arguments tendant à dédouaner ses clients.

 

Les plaidoiries de la défense se poursuivent ce vendredi matin à 9h.

 

 

 

San Evariste Barro

 

Akodia Ezékiel Ada

 

Dernière modification ledimanche, 30 juin 2019 20:48

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