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Haut Conseil du dialogue social : «Notre domaine est tellement sensible qu’il est incompatible avec le bruit» (Jean Marc Palm, président du HCDS)

 

 

Le Haut Conseil du dialogue social (HCDS), vous connaissez ? Eh bien c’est l’institution tripartite (gouvernement-travailleurs-patronat) créée en 2017 et dont les membres ont été installés en 2018. Mais depuis, l’institution reste méconnue du grand public si bien que bon nombre de citoyens doute de l’opportunité même de sa création. Pourtant elle intervient dans la résolution de conflits et s’est récemment illustré dans la recherche de solution à la  crise au sein des routiers. Pour mieux connaître la structure, nous avons rencontré  le président de l’institution, Jean Marc Palm, qui justifie la méconnaissance du HCDS par le fait qu’il a  un rôle très sensible. Qu’à cela ne tienne, la communication étant indispensable, il a bien voulu répondre sans faux-fuyants à nos questions. 

       

 

 

Présentez-nous votre institution, ses missions et ses champs d’intervention.

 

Les textes qui instituent le Haut Conseil du dialogue social (HCDS) ont été adoptés le 5 mai 2017. Le 8 février 2018, ses composantes ont été nommées par décret, et le 27 du même mois, son président a été nommé.  Le HCDS, de manière succincte, a pour rôle d’implémenter une culture du dialogue social dans notre pays. Pas qu’il n’y ait pas eu des institutions qui prêchent le dialogue social, mais la particularité du Haut Conseil est qu’il est une institution tripartite : gouvernement-travailleurs-patronat.

 

 

 

Comment les membres ont-ils été nommés ?

 

Avant que le décret ne soit signé, chaque composante a participé à la rédaction des textes  qui instituent le Haut Conseil. Les trois parties ont ainsi travaillé ensemble à la rédaction des textes. Comment l’institution a été portée sur les fonts baptismaux ? C’est les recommandations du BIT (Ndlr : Bureau international du travail), du CCDS de l’UEMOA, qui ont été inscrites dans le cahier de charges des syndicats le 1er mai 2015 et reconduites un an plus tard, qui ont amené le gouvernement à entamer le processus de mise en place de l’institution avec ses textes. En effet, chaque composante a désigné ses membres qui ont ensuite été nommés par décret : 10 du gouvernement, 10 des travailleurs et 10 du patronat. Le Haut Conseil a ensuite été installé le 3 mai 2018 mais nous n’avions pas de locaux et nous squattions deux bureaux au CES.

 

 

 

Et comment êtes-vous structurés ?

 

Nous avons trois commissions : la commission médiation et dialogue social, la commission sensibilisation et formation, et la commission études économiques et sociales de travail. Chaque commission est dirigée par un vice-président représentant une composante.

 

 

 

A quelle logique répond la mise en place de ces trois commissions ?

 

Ces commissions nous permettent d’avoir une approche globale des missions de l’institution.

 

La commission médiation et dialogue social, par exemple, nous permet d’intervenir dans le règlement des différents conflits.

 

La commission formation et sensibilisation permet d’établir un programme de formation pas seulement pour les membres du HCDS mais aussi au profit d’autres personnes.

 

La commission études économiques et sociales nous permet de nous approprier un ensemble de situations qui surviennent au pays, de les prévenir mais aussi de faire des propositions au gouvernement.

 

 

 

L’institution n’existe donc pas pour des questions d’intérêts personnels mais d’utilité publique ?

 

C’est exact. Si vous prenez l’exemple du Haut Conseil, il a été constitué suivant le modèle de l’OIT ou du BIT, c’est-à-dire le fonctionnement tripartite. Le CES existe, l’OIT existe et ils coopèrent correctement pour le bonheur des différents pays. Ce n’est pas le gouvernement qui a décidé de la création du Haut Conseil. C’est plutôt à la demande d’un ensemble d’organismes mais aussi des travailleurs. Et je le dis, toutes les centrales syndicales ont participé à la rédaction de ses textes.

 

 

 

Comment s’opère sa saisine ?

 

Le président du Faso, le Premier ministre ou un membre du gouvernement peuvent nous saisir en cas de problème. Mais nous pouvons aussi nous autosaisir s’il y a lieu. A cet effet d’ailleurs, nous avons proposé au gouvernement un décret qui clarifie la saisine du Haut Conseil par les différentes parties.

 

C’est dire que le travailleur qui n’est pas affilié à un syndicat ne peut pas vous saisir ?

 

 

 

Dans la mesure où nous travaillons uniquement  avec des organisations, s’il s’agit d’un individu, ce dernier peut se référer au Médiateur du Faso.

 

Il vous arrive donc de référer des dossiers au Médiateur du Faso ?                                                                                         

 

Pour le moment, ce ne sont que des organisations qui nous ont saisis.

 

 

 

Vous évoquez la participation des syndicats alors qu’au début de la mise en place du Haut Conseil, certains avaient dénoncé une stratégie pour noyer les problèmes.

 

Quelle était la situation qui prévalait au niveau des centrales syndicales ? Là est la question. Le gouvernement n’est pas intervenu dans la désignation des différentes composantes. Je répète que toutes les centrales ont participé à la rédaction des textes. C’est lorsqu’il s’est agi de la désignation des composantes que le problème s’est posé en leur sein. Certains syndicats ont dit ce que vous dites et d’autres ont organisé des conférences de presse pour répondre.

 

 

 

Est-ce que le rôle que doit jouer le HCDS ne fait pas doublon avec celui du Haut Conseil pour l’unité et la réconciliation nationale (HCRUN) ?

 

Ça ne fait pas doublon. Le HCRUN est essentiellement chargé de la réconciliation nationale et de la cohésion sociale. Il est vrai que, de par son action, le HCDS peut être amené à participer activement à la cohésion sociale, à la paix. Mais de manière spécifique, nous intervenons dans le monde du travail, ce qui n’est pas le cas avec le HCRUN.

 

 

 

D’aucuns estiment que votre institution est aux mains des décideurs. Qu’en dites-vous ?

 

Le Haut Conseil n’a pas vocation à avoir des positions partisanes. Compte tenu de ses composantes, nous ne pouvons prendre position ni pour le gouvernement, ni pour les syndicats encore moins pour le patronat. Nous avons plutôt vocation à travailler dans l’intérêt supérieur de la nation, ce qui passe par la facilitation du dialogue entre les différentes parties en vue de parvenir à un consensus sur des décisions à prendre.

 

 

 

Quels sont les grands dossiers que vous avez déjà eu à traiter ?

 

Nous sommes intervenus dans le domaine des transports routiers en 2018, alors même que nous étions dans des conditions extrêmement difficiles. Vous vous souvenez qu’il y a eu un conflit entre transporteurs et autorités ? Nous n’avions pas de ressources financières ni de siège à l’époque, mais nous nous sommes saisis du problème vu son importance. Nous sommes parvenus à une réconciliation entre les deux parties. A l’époque nous avons aussi fait des propositions au ministère des Transports afin de trouver des solutions durables à la crise.

 

Nous avons aussi été saisis par le syndicat du bâtiment de différends qu’il a avec le ministère des Infrastructures. Le traitement du dossier est en cours, nous avons écouté les différentes parties et avons fait des propositions concrètes à qui de droit.

 

 

 

De façon générale,  comment vous procédez lorsque vous vous saisissez ou quand on vous saisit d’un problème ?

 

D’abord, nous essayons de comprendre le problème. Pour ce faire, nous rencontrons chaque partie individuellement, et nous décelons les points de divergence et de convergence ; ensuite nous en faisons une synthèse et proposons une démarche de résolution à chaque partie. Si chacune est d’accord avec, nous organisons une réunion des deux pour signer un P-V de conciliation qui contient les mécanismes de règlement de la crise. Cela veut dire que nous n’imposons rien à qui que ce soit.

 

 

 

Lorsqu’on assiste à des rebondissements dans des dossiers où vous êtes intervenus, comme c’est le cas avec les transporteurs, qu’est-ce que cela vous laisse comme sentiment ?

 

Vous savez bien que la vie n’est pas un long fleuve tranquille. Ce n’est pas parce que vous avez réglé un conflit aujourd’hui qu’une des parties ne se sentira pas lésée le lendemain. Pour ce qui concerne les transporteurs par exemple, quand nous nous sommes saisis de la question, nous sommes parvenus à un P-V de conciliation qui a été signé devant le Premier ministre. Mais cela n’empêche pas que les problèmes soient là. D’abord la mise en œuvre des propositions que nous avons faites avec le ministère des Transports, ce n’est pas nous qui conduisons. Mais dans la conduite il peut y avoir des couacs. Et dans le cas d’espèce nous sommes obligés d’intervenir pour donner notre point de vue sur le schéma que nous avons proposé, vérifier s’il est respecté. Si l’on reste sur le cas des transporteurs, leur revendication principale est que le président d’un syndicat s’en aille. Ce n’est pas possible ; personne ne peut demander d’enlever le responsable d’une organisation syndicale. Cela relève d’une décision souveraine interne. Comprenez donc qu’il y a des dessous et des non-dits.

 

 

 

Comment vous assurez le service après-vente ? Est-ce qu’il y a un suivi et comment ça se passe ?           

 

Lorsque nous proposons des solutions avec des mécanismes, nous sommes forcément membres sans être acteurs. Nous sommes membres du jury chargé de voir justement si ce que nous avons retenu a été mis en œuvre. Il s’agit de savoir quelles sont les déviations afin de rappeler chacune des parties au respect des engagements pris.

 

 

 

Dites-nous, de la crise des postiers, est-ce que vous vous êtes autosaisis ?

 

C’est le directeur général de la Poste qui nous en a saisis et nous avons rencontré toutes les parties concernées, notamment les syndicats et l’administration. Nous avons même rencontré le ministre chargé de La poste et le président du conseil d’administration. Nous avons écouté chacun et nous avons fait une proposition de résolution de la crise. Concernant les syndicats, il se trouve qu’il y avait un point essentiel qui, pour eux, ne pouvait même pas faire l’objet de discussion, et c’est le départ du D.G. Nous leur avons fait comprendre que nous n’avons jamais vu dans un pays un syndicat remettre en cause le pouvoir décisionnel au point d’exiger le départ d’un responsable ;  et que leur revendication ne nous paraissait pas aussi réaliste que ça. Nous avons préparé et présenté des  mécanismes qui permettent d’assainir la situation au sein de la Poste. Et si tout s’était bien déroulé, nous allions déboucher sur une situation claire.

 

 

 

La procédure est en cours, où en êtes-vous ?                                                                                                                                     

 

Au sein même de la Poste, il y a une attitude nouvelle qui se dessine entre la direction et les syndicats. Juste pour dire qu’ils ont repris langue. Nous attendons donc de voir quels en seront les résultats. Mais là aussi nous travaillons dans l’ombre à résoudre ces questions sans les étaler au grand jour. Quand on se plaint que nous ne sommes pas visibles, laissez-moi vous dire que notre domaine est tellement sensible que nous ne pouvons pas faire du bruit, et il ne faut même pas faire du bruit.

 

 

 

Au niveau du ministère de la Santé, les problèmes perdurent encore ; alors vous êtes à quel niveau ?    

 

Nous en avons rencontré quatre sur six syndicats, et le ministre, puis nous avons fait des propositions. Comme je le dis, nous ne sommes pas des décideurs, au vu des discussions que nous avons avec les différents protagonistes, nous faisons nos propositions à l’autorité, et c’est à elle de juger de l’opportunité de leur mise en œuvre. C’est ce que nous avons fait.

 

 

 

Monsieur le président, dans les crises où le gouvernement a pris des engagements et qu’il ne les a pas respectés, quel langage lui tenez-vous ? 

 

Notre langage, c’est d’amener le gouvernement à la nécessité de respecter ses engagements. Cela participe justement à la baisse de la tension dans le pays.

 

 

 

Mais est-ce qu’il y a déjà eu des cas où le gouvernement n’a pas respecté ses engagements ?                   

 

Si. Lorsque nous avons entamé la discussion pour la trêve sociale, le syndicat a envoyé un ensemble d’éléments disant que voilà des engagements que le gouvernement a pris et n’a pas respectés. Mais nous, nous estimons que ces différents éléments que le syndicat met en avant font partie des discussions pour arriver à une trêve sociale. Ce sont des conditions à remplir pour arriver à une trêve sociale.

 

 

 

Puisque vous en parlez, c’est quoi, la trêve sociale ?

 

Une trêve sociale, contrairement à ce que les gens pensent, ne se décrète ni ne s’impose. C’est un processus qu’on conduit, qui se négocie avec des engagements de part et d’autre. Ce sont les différentes parties qui prennent des engagements, et c’est ensemble qu’on détermine la période et le contenu de la trêve. C’est à l’issue de cela que les différentes parties signent une charge instituant la trêve sociale. Mais la trêve sociale ne signifie pas la fin des revendications. C’est plutôt la résolution des revendications par d’autres manières, et cela a un contenu précis. C’est au bout de cette négociation que les différentes parties conviennent de la nécessité de mettre en place une trêve sociale et un comité de suivi qui vérifie si effectivement les engagements pris ont été tenus.

 

 

 

La trêve est-elle pour bientôt ?

 

Elle ne peut pas être pour bientôt, car elle ne se décrète pas, nous continuons les discussions. Les syndicats ont une autre perception de la trêve sociale. Pour certains, la trêve sociale est la fin des revendications, et  c’est mortel pour le syndicat. C’est en effet une incompréhension en mon sens. Même au niveau du gouvernement, les gens n’en ont pas une bonne compréhension. C’est pour cela que, lorsque nous avons commencé, un des premiers actes avec le BIT a été de former les acteurs.  

 

 

 

Vous êtes un homme des sciences sociales, on constate qu’il y a une crise de confiance. Est-ce qu’on peut réussir sans un préalable ?

 

De préalable en préalable on n’aboutira à rien. Au contraire, il faut intégrer cette donne pour aller au dialogue social. On change la                                                                                                                                                  mentalité à partir d’un ensemble d’actions qu’on pose. C’est pourquoi nous disons que la formation et l’éducation en sont les clés. Il faut qu’on commence quelque part. Prenez la situation de la société burkinabè depuis la période coloniale jusqu’à maintenant. Pour qu’on arrive à «plus rien ne sera comme avant », vous avez vu le chemin parcouru ? Avant les années 1990, on avait à faire à une population soumise. Mais après cette date, on a assisté à une sorte d’éveil des consciences mal manifesté parfois avec la violence en cassant des bâtiments, les feux, les sièges de partis au pouvoir. Mais est-ce cela la solution ? Il faut continuer la conscientisation, la défense citoyenne de la cité sans ces excès. Et en mon sens il n’y a que l’éducation qui puisse permettre d’amener les gens à avoir une bonne compréhension et à adopter une attitude correcte. Ils revendiqueront toujours, mais en suivant les formes, en respectant le civisme.

 

                                                                                                                                                                                                    

 

Comment vous vivez la flambée du front social avec ces multiples mouvements d’humeur et grèves et comment les analysez-vous ?

 

 

 

Les travailleurs ont un ensemble de problèmes, et le gouvernement a pris un certain nombre d’engagements qu’il n a pas respectés. C’est vrai que ça énerve, c’est comme si on banalisait l’action des syndicats ; donc il faut arriver à rétablir la confiance avec les différents acteurs. Qu’on ait confiance l’un en l’autre en acceptant que celui qui a pris l’engagement va effectivement le faire. Dans le cas contraire, il les rassemble pour vous dire qu’on a pris des engagements, mais la situation n’a pas évolué. On discute de comment on peut recadrer les choses pour faire évoluer la situation sans pour autant renoncer à respecter les engagements pris.

 

Comment rétablir cette confiance ?

 

Nous avons fait des propositions au gouvernement, et vous demandons de nous excusez de ne pouvoir vous les livrer (rires).

 

          

 

Quels sont vos rapports avec le monde syndical bien qu’il ait des représentants en votre sein ?

 

Aucun problème avec eux. Lorsqu’il y a une situation qui se présente à nous, nous demandons à voir l’Unité d’action syndicale, avec qui nous discutons sans ambages.

 

 

 

Pensez-vous comme certains que le syndicat demande trop au gouvernement ?

 

Placez- vous du côté des travailleurs qui vivent certaines situations et qui ne sont pas au courant d’un certain nombre de problèmes qui leur paraissent un peu trop complexes. Là vous comprendrez que les revendications qu’ils font, eux-mêmes n’en ont pas conscience que c’est trop. Mais c’est au partenaire social de leur montrer que certaines de leurs revendications sont excessives. Il n’y a que le dialogue social qui puisse permettre  de  résoudre cela et ramener ces gens à un certain niveau. Il y a également la formation qui permet aux travailleurs de comprendre un certain nombre de choses.

 

 

 

Le patronat est représenté au sein de votre institution, mais on ne parle que du public ?

 

Justement, on compte sur le privé pour développer l’économie, mais on n’en parle pas tant que ça. C’est ça le vrai problème. Mais nous avons rencontré le patronat à plusieurs reprises pour prendre leurs préoccupations et voir comment nous pouvons travailler à la résolution de ces préoccupations.

 

 

 

Ebou Mireille Bayala

 

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