Menu

Procès du putsch manqué : «Le général Diendéré ne mourra pas comme le souhaitent certains» (Me Jean Yaovi Degli)

Le procès du putsch manqué de septembre 2015 poursuit son bonhomme de chemin. Ce 7 août 2019, les avocats du général Diendéré ont bouclé leurs plaidoiries. Me Jean Yaovi Degli s’est exercé, une dernière fois, à convaincre le tribunal que le cerveau présumé du coup d’Etat avorté, contre qui le parquet a requis la prison à vie, mérite l’acquittement. La conviction de l’avocat togolais est qu’à défaut de trouver des dispositions pénales qui permettent une condamnation à mort de son client, on a œuvré depuis l’instruction pour qu’il soit inculpé pour les faits de trahison, afin qu’il subisse la peine maximale. « On a voulu tuer le général, mais il ne va pas mourir », s’est-il résumé, persuadé que l’histoire retiendra de « Golf » un homme qui a plutôt voulu sauver son peuple lors des évènements.

 

 

 

Au troisième jour de ses plaidoiries en faveur du général Diendéré, la conviction de Me Jean Yaovi Degli est demeurée intacte : celui que l’on présente comme le cerveau du putsch mérite l’acquittement. Et les principales raisons de cela sont, entre autres, l’insuffisance des preuves, la non-constitution des infractions. Selon lui, ni l’infraction d’attentat à la sûreté de l’Etat, ni celle de trahison, encore moins celle de meurtre, de coups et blessures volontaires ne résistent au droit. Pour faire valoir ses arguments contre la dernière prévention ci-dessus citée, le cas du soldat de première classe Abdou Compaoré, coaccusé du général, a servi de transition et d’illustration à l’avocat. Le procureur, dit-il, a diffusé une vidéo présentant le soldat en train de tirer en l’air, suivie d’une autre présentant un individu gisant à terre. « On a tenté de nous faire croire que c’est le sieur Compaoré Abdou qui a fait s’écrouler l’individu. Le monsieur qu’on a vu s’écrouler, un certain Kader, est venu témoigner ici. Est-il ressuscité des morts ? Voilà là où ça nous mène, monsieur le président, lorsqu’on vous demande de condamner sur la base de la vraisemblance. Imaginez si celui qu’on a présenté comme une victime n’était pas venu témoigner. On aurait condamné le soldat Abdou Compaoré pour meurtre, et vous auriez commis une erreur judiciaire, monsieur le président. »

 

Après avoir fait ce développement, Me Degli a invité le juge Seydou Ouédraogo à peser et soupeser les réquisitions du parquet au moment de rendre sa décision, car, s’est-il résumé, « dans ce procès, les enquêtes ont été bâclées et les faits volontairement tronqués. »

 

« On a tout fait pour diaboliser le RSP »

 

Autre chose dont Me Yaovi Degli est convaincu, c’est que pour la prévention de meurtre, coups et blessures volontaires (CBV), « le doute doit bénéficier aux accusés ». Pourquoi ? Au temps fort des évènements, il n’y avait pas que des éléments du défunt Régiment de sécurité présidentielle dans la rue. Il y avait aussi des éléments de la gendarmerie, a soutenu l’homme en noire. « Des éléments vidéos montrent même des hommes armés de fusils, sans oublier que d’autres pièces du dossier indiquent que le lieutenant-colonel Zida a fait appel à des mercenaires ».

 

Et ce n’est pas tout, Me Degli a invité le tribunal à considérer un appel à des actes de violences consigné dans un document qu’aurait rédigé un Comité de résistance né au cours des mêmes évènements de septembre 2015. « Des membres de ce comité ont tout fait pour diaboliser le RSP tout en appelant à des actes de vandalisme. Pourquoi le juge d’instruction n’a pas enquêté sur ce que ces gens ont pu commettre ?» s’est demandé l’avocat, estimant que le contenu du document, qui est d’ailleurs versé dans le dossier, jette un doute sur les accusations de meurtres. Et celui-ci de plaider pour que le général, en ce qui concerne cette prévention, soit acquitté sur la base du doute.

 

 

Les faits de meurtre et de CBV (coups et blessures volontaires) sont-ils des conséquences prévisibles des infractions d’attentat à la sûreté, comme l’indique l’article 67 du Code pénal ancien ? Me Degli ne l’entend pas en tout cas de cette oreille. Parler de conséquences prévisibles suppose que l’auteur du crime principal a la vision que la conséquence de son acte est l’infraction secondaire. « Les morts ne sont pas les conséquences prévisibles d’un coup d’Etat », a argué l’homme en robe noire. Me Degli en veut pour preuve des putschs dans l’histoire du Burkina tout comme dans d’autres pays qui n’ont pas entraîné de pertes de vies humaines : « Lorsque le président Maurice Yaméogo a été renversé, le coup de force n’a pas causé d’effusion de sang ; quand le putsch a contraint Mamadou Tandja du Niger à quitter le pouvoir, il n’y a pas eu de mort. Il en a été de même avec la chute de Robert Mugabe au Zimbabwe… Les opérations de maintien d’ordre n’ont pas non plus pour conséquences prévisibles des morts. L’actualité internationale l’atteste : à Hong Kong, en France avec les Gilets jaunes, il y a des opérations de maintien d’ordre qui n’entraînent pas de morts.» 

 

Me Degli croit savoir que, face à la difficulté de faire avaler une pilule amère, ses confrères de la partie civile ont joint leur voix à celle du ministère public pour demander de condamner sur la base de « la vraisemblance». « Ils ont eu du culot », a-t-il martelé, rappelant que la responsabilité pénale, comme c’est le cas ici, est différente  de la responsabilité civile : « Monsieur le président, on ne peut pas vous demander d’appliquer une jurisprudence civile à ce dossier où la responsabilité pénale est personnelle et individuelle ».

 

« L’infraction de trahison paraissait grossière »

 

Et si le maintien de l’ordre vaut un chef d’inculpation, le dernier avocat du général à plaider en sa faveur a indiqué que les faits disculpent le père spirituel du RSP : la mission héliportée qui a consisté au transport du matériel de maintien d’ordre n’était pas étrangère à la hiérarchie militaire, d’autant plus que son but était d’éviter l’usage d’armes meurtrières. Me Degli a dit être convaincu que le tribunal ne pourra condamner l’ex-numéro 1 du RSP pour les faits de meurtre et de CBV ; la seule décision qui vaille sera de constater que l’infraction n’est pas constituée.

 

En venant à l’infraction de trahison, le conseil du général Diendéré a d’emblée signifié que cette infraction d’intelligence avec l’ennemi, tel que prévue par les textes, suppose une situation de guerre avec un pays voisin. Et les pays ciblés sont la Côte d’Ivoire et le Togo. « Le Burkina était-il en guerre contre l’un de ces deux pays ? » a demandé Me Degli avant de qualifier cette accusation de « ridicule ». Et si ce chef d’inculpation est retenu contre « Golf », « c’est parce que, à en croire l’avocat, son client a pu se tirer d’une tentative d’assassinat et qu’il fallait à tout prix lui attribuer la peine maximale. «A défaut de la peine capitale, ils ont tout fait pour trouver un chef d’inculpation qui permettait de condamner à vie le général. Ce qu’on a trouvé comme infraction, c’est celle de crime contre l’humanité et celle de trahison. Mais l’infraction de trahison paraissait grossière», a expliqué l’avocat doublé de défenseur des droits humains. Et de poursuivre en ces termes : « Gilbert Diendéré ne mourra pas parce qu’il n’y a pas de peine capitale, il ne mourra pas non plus parce que, même s’il meurt aujourd’hui,  son nom subsistera, l’histoire retiendra un homme qui a toujours voulu servir son pays ».

 

Un dernier argument développé par l’homme en robe noire pour plaider l’acquittement de son client ou à défaut des circonstances atténuantes : « Diendéré a certainement commis des fautes en 2015. Mais il est un humain. Il a commis des erreurs non parce qu’il le voulait, mais parce qu’il a cru à un moment répondre à un appel salvateur. Il a cru que la hiérarchie lui faisait appel pour éviter un bain de sang ».

 

Au cas où les infractions seraient juridiquement qualifiables, Me Degli invite le président du tribunal à ne pas se fier aux réquisitions du parquet, qui demande la prison à vie et la destitution de grade. Car, de son point de vue, l’article 157 du Code de justice militaire, qui définit le cadre de la destitution, n’astreint pas le juge à prononcer cette peine. Pour l’avocat, il y a des raisons et pas des moindres de prononcer une sentence favorable à son client : « Les évènements du 16 septembre 2015 et jours suivants ne sont pas l’œuvre d’un assoiffé de pouvoir. Voyez en lui l’homme qui a même conseillé à l’ex-président Blaise Compaoré de quitter le pouvoir pour éviter un bain de sang. Voyez en lui celui  qui a demandé au capitaine Dao, dès le 17 septembre, d’organiser l’arrivée de la délégation de la CEDEAO pour la médiation, celui qui a convaincu les éléments du RSP d’accepter le désarmement. Un homme qui a commis un attentat à la sûreté de l’Etat ne se comporte pas ainsi ».

 

Les plaidoiries des avocats du général bouclées, place a été faite à celle des conseils du journaliste Adama Ouédraogo, dit Damiss. Une plaidoirie au terme de laquelle le mis en cause a livré une longue déclaration d’une quinzaine de pages qui aura retenu l’attention de la salle (lire encadré). L’audience reprend le vendredi 9 juillet 2019 à 9 heures dans la salle des Banquets de Ouaga 2000.

 

San Evariste Barro

Bernard Kaboré

 

 

Encadré 1

 

« Du fond de ma cellule, je reste disponible pour la défense de la patrie »

(Général Diendéré lors de son dernier passage à la barre)

 

Au terme de la plaidoirie de ses avocats, le général Diendéré a affirmé n’avoir plus rien à ajouter pour sa propre défense. « Ils ont très bien dit, bien expliqué et bien repris ce que j’avais déjà dit lors de mon audition à la barre », s’est-il justifié. Mais l’accusé avait tout de même un message qui lui tenait visiblement à cœur. Après avoir dit ses regrets par rapport aux évènements des 16 septembre et jours suivants, il a ouvert une longue liste de remerciements : d’abord au président du tribunal pour l’oreille attentive à tous les accusés et sa compréhension des faits. « Je demande de nous comprendre davantage et de nous accorder à tous la clémence. Je remercie la défense pour avoir daigné assister des gens qu’on a présentés comme infréquentables. Ils ont dû comprendre que l’image que l’on a collée aux accusés ne reflétait pas la réalité. Mes remerciements également aux avocats de la partie civile. Ils m’ont aidé à trouver les arguments nécessaires pour parfaire ma défense. Ils nous ont comparés à des nazis, mais tout le monde a dû comprendre que nous n’étions pas des nazis.

 

Au parquet, j’exprime ma gratitude. Il a montré à travers ses réquisitions que sa conviction était déjà faite, qu’il avait déjà ses accusés. A mon encontre, les membres du parquet ont requis une lourde peine. Messieurs les parquetiers, je ne peux que vous en remercier, que Dieu vous rende au centuple vos bienfaits. Quant aux parties civiles, puisse Dieu apaiser vos cœurs. Je n’oublierai pas non plus les médias : malgré les contraintes liées à la procédure, les journalistes ont toujours tout mis en œuvre pour que l’opinion soit informée de façon régulière du déroulement de ce procès.

 

A mes camarades je demande de garder courage et espoir. Je ne saurais terminer sans avoir une pensée pour mes camarades d’armes au front. Je ne suis pas physiquement avec eux mais ils ont mon soutien moral. C’est d’ailleurs pour éviter la dure situation que nous connaissons que j’avais demandé à un moment que notre système de défense et de sécurité ne soit pas réorganisé. Du fond de ma cellule, je reste disponible pour la défense de la patrie et à aucun moment je ne saurais trahir mon pays ».

 

B.K.

 

Encadré 2

Cette sérénité du président Seydou Ouédraogo qui fait peur

 

Question pour un champion : qui de toutes les parties prenantes au procès de putsch manqué est la plus sereine ? Si vous tardez à trouver la réponse, Me Degli, avocat du général Diendéré, ne tarderait pas, lui, à vous dire qu’il s’agit du président de la chambre de première instance du tribunal militaire, Seydou Ouédraogo. « Durant mes 30 ans de carrière d’avocat, je n’ai jamais vu un magistrat aussi serein », a avoué le conseil du père spirituel du RSP au terme de sa plaidoirie. Mais cette sérénité dérange et « fait peur » tout de même, selon l’avocat qui se demande ce qui se passe dans la tête de celui-là même qui a entre ses mains le sort des accusés.

 

B.K.

 

Encadré 3

 

«Monsieur le président, j’ai confiance à votre juridiction»

(Adama Damiss Ouédraogo)

 

Nous vous proposons des extraits du mémoire en défense de l’accusé Adama Damiss Ouédraogo

« …Long a été ce procès, violent a été le débat judiciaire en raison de son enjeu qui est la manifestation de la vérité. Malheureusement, dans cette affaire, l’émotion a tout emporté sur son passage. De bout en bout, officiers de police judiciaire, experts, juges d’instruction, parquet militaire, journalistes, presque tous ceux qui se sont intéressés à ce dossier sont devenus hystériques au point que les digues de la raison se sont effondrées. En somme, comme l’a dit Bensousan: la raison a abdiqué, la psychologie a régressé et le fantasme a dominé.

 

Toutefois monsieur le président, j’ai confiance en votre juridiction. Depuis le début du procès, j’ai été séduit par votre sens élevé de l’écoute et la liberté de parole que vous offrez  aux accusés afin qu’ils puissent s’exprimer dans le respect des autres.

 

Vous avez, avec les membres de votre tribunal, écoutétoutes les parties et vous saurez faire la part des choses afin de dire le droit. A une des audiences, j’ai voulu souligner que vous étiez major de votre promotion. J’ai tenu à le dire, pas pour plaire mais pour signifier que vous êtes à la hauteur de la tâche qu’on vous a confiée et qu’en disant le droit selon votre éthique professionnelle, vous entrerez dans l’histoire par la grande porte. Entrer dans l’histoire, c’est dire le droit et dire le droit, c’est libérer les nombreux innocents. Mieux vaut un coupable en liberté qu’un innocent en prison. Le magistrat professionnel que vous êtes, vous et le conseiller sont allés à l’école de la sagesse. Les juges assesseurs militaires, qui sont des officiers  réputés très brillants dans leurs domaines respectifs, ont prêté serment pour dire le droit, rien que le droit. Et le plus grand honneur pour un juge, c’est d’acquitter un innocent…

 

…On  dit que si Damiss a pris tout ce risque pour aller au camp Naaba Koom alors qu’il n’a pas fait un seul article de presse, c’est qu’il est coupable. Est-ce que la prise de risque est une infraction pénale ? Un journaliste qui ne prend pas de risque est un mauvais journaliste. Les femmes meurent en donnant la vie, l’accouchement est un risque, mais cela empêche-t-il les hommes d’engrosser leurs femmes ?

Quel accusé ou quel témoin soutient m’avoir vu en train d’écrire ou de corriger un quelconque document ? Ai-je écrit dans la presse, sur Facebook pour soutenir le coup d’Etat ? Ai-je contacté un confrère journaliste pour soutenir le putsch? Personne ne me met en cause en soutenant que j’ai posé un acte de soutien ou de participation. Le droit pénal est très simple : ou il y a infraction ou il n’y a pas infraction. On ne peut pas détruire ma vie sur la base de suppositions, d’interprétations, de déductions…

 

 

L’examen de l’énoncé des réquisitions ne laisse percevoir aucun rapprochement à une échelle de gravité pouvant soutenir l’objectivation de leur différenciation. On part du principe que tel accusé est arrogant, indiscipliné, il faut lui infliger une correction. Tel autre a été plus soumis, il s’est laissé cuisiner, humilier, il faut alléger sa peine! C’est dans ce sens que le parquet a requis 10 ans ferme contre moi. Une réquisition  qui traduit l’état d’esprit des membres du parquet qui voulaient que je sois un accusé cuisinable et humiliable à merci.A défaut d’obtenir ma soumission, le procureur a décidé de faire des réquisitions sévères indexées sur la courbe de ses sentiments envers l’accusé que je suis. Ces réquisitions consacrent la défaite de la raison et la victoire ou le triomphe des passions tristes et des ressentiments.

 

Le célèbre avocat Me Réné Floriot, dans son livre L’erreur judiciaire écrivait ceci : L’homme le plus honnête, le plus respecté peut être victime de la justice.

 

Quel meilleur exemple que celui du capitaine Dreyfus ! Cet officier admirablement noté, jouissant de la confiance de ses chefs menait une vie exemplaire avec sa femme et ses deux enfants… Il n’avait jamais pensé qu’il pourrait un jour comparaître devant une juridiction répressive. Son innocence n’est plus discutée par personne. Il fut cependant condamné au bagne et déshonoré. La chronique judiciaire est remplie de nombreux cas  de victimes d’épouvantables erreurs judiciaires. Un renseignement inexact, un document apocryphe, un témoignage mensonger, une expertise aux conclusions erronées peuvent concourir à la condamnation d’un innocent ».

 

Aux familles des victimes de ce présumé coup d’Etat je souhaite beaucoup de courage. Perdre un être cher est très douloureux, avoir un frère ou une sœur marqué(e) physiquement à vie est difficile à supporter. Que Dieu apaise vos cœurs et vous aide à surpasser vos peines et à revivre dignement. Que Dieu vous bénisse, vous protège et vous épargne de telles horreurs. Que l’âme des disparus repose en paix !

 

Enfin, je voudrais, une fois de plus, présenter mes sincères excuses au président du tribunal, au conseiller, aux juges assesseurs qui sont de valeureux et brillants militaires qui font la fierté de notre armée nationale. J’ai été, je le sais,  un accusé difficile durant mon audition, mais les enjeux le justifiaient ».  

Ajouter un Commentaire

Code de sécurité
Rafraîchir

Retour en haut