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Quatrevingt-treize de Victor Hugo: Le roman des ombres et de la lumière

Quatrevingt-treize est le roman ultime de Victor Hugo qui a paru en 1874. Consacré à l’année 1793, c’est un roman historique qui s’attache à la période la plus sombre et la plus noire de la Révolution, l’affrontement entre les Républicains et les Royalistes. Hugo insuffle au roman sa vision faite de puissance poétique et d’attachement à la part la plus haute de l’homme. Un roman qui nous parle encore.

 

 

C’est un roman historique sur les acteurs et les évènements qui ont marqué l’année 1793 que Hugo ambitionnait d’écrire depuis 1862, et il mettra une douzaine d’années à l’achever. Quatrevingt-treize, c’est l’année de la Terreur à Paris et de la guerre civile en France. Pendant que Robespierre et Danton s’étripent à Paris, la royauté joue son va-tout en Vendée à travers une insurrection de paysans. En effet, sous le commandement du marquis de Lantenac, débarqué d’Angleterre à bord du Claymore, les insurgés royalistes s’opposent farouchement aux troupes républicaines commandées par son neveu Gauvin. Cimourdain, un prêtre défroqué et ancien précepteur de Gauvin, est mandaté par le Conseil de salut public pour rejoindre son ancien élève en Vendée.

Mais Hugo a conscience que la fiction doit se nourrir de l’histoire, aussi s’oblige-t-il à la lecture de plus d’une trentaine d’ouvrages sur l’histoire de France, de la Révolution, de la Vendée. Toutefois, Victor Hugo sait que le roman n’est pas le réceptacle de l’exactitude des faits. « Il faut l’histoire pour l’ensemble et la légende pour le détail », disait Hugo. Et effectivement il puise dans l’histoire pour esquisser la fresque dans son ensemble et recourt à la fiction pour y mettre les détails

Pour le lecteur de notre époque, habitué à la littérature qui privilégie le récit et ne recourt à la description que de manière parcimonieuse, les longues descriptions de l’architecture de la Tourgue et les digressions philosophiques peuvent agacer. Toutefois, on peut sauter ses passages, surtout la description détaillée du château de la Tourgue, sans perdre le fil de l’intrigue, tissée avec une maestria digne des meilleurs scénarios hollywoodiens. En effet, il y a quelque chose de cinématographique dans cette œuvre, on pourrait y voir un montage cut dans la façon dont l’auteur organise le récit. Il s’attache à un personnage, et le laisse à un moment crucial, une sorte de climax, et commence un autre récit avec un autre personnage, et puis celui-ci est laissé en plan et on revient au premier personnage… On a l’impression parfois d’avoir un montage plan contre plan dans la description alternée entre un personnage et un autre sur ce qui les oppose.

 

Le poète transfigure les éléments

 

Hugo est un poète, et ce n’est pas un péché dans l’écriture romanesque, c’est plutôt un atout, car le poète habite la langue et en connait tous les compartiments, il est donc à l’aise dans tous les genres littéraires. Le poète voit les correspondances entre les choses et les êtres, et sous sa plume, les objets vivent, semblent penser. C’est la caronade, le canon libéré de ses cordages sur le pont qui, sous l’action du roulis, devient une sorte de monstre qui traque les marins pour les écraser.

C’est la Tourgue et la guillotine transfigurées sous la plume de l’auteur entre deux gladiateurs qui se jaugent : d’un côté, un château de pierres vieux de plusieurs siècles, un monstre médiéval usé par le temps et portant les cicatrices des batailles, et, de l’autre, la guillotine qui est le monstre moderne, un monstre enfanté par la Révolution qui est fait d’une mécanique simple, deux poteaux et une lourde lame coulissante.

C’est Michelle Fléchard, la mère des trois enfants devenus mascottes des troupes révolutionnaires et pris dans le piège de la Tourgue, qui va droit à travers forêts et ravins, vers cette tour. Comme aimantée par l’instinct maternel. Hugo l’exhausse au rang de mater dolorosa, Marie allant vers la croix.

Quatrevingt-treize, c’est le roman de la Terreur, de cette époque sombre et terrible de la Révolution que Hugo qualifiait de « flamboiement hideux de ses quatre chiffres sinistres ». C’est aussi le roman de la grandeur humaine, où les personnages s’élèvent au-dessus des contingences. Le roman se croit sur une fin complètement inattendue. Lantenac, qui avait réussi à s’extirper de la Tourgue tombée aux mains des révolutionnaires, rebroussa chemin au nom d’une certaine conception de la charité. Gauvin, au lieu de célébrer cette capture comme une victoire, préféra la guillotine au nom lui aussi d’une certaine idée de l’éthique.

On peut se demander pourquoi un article sur un roman du 19e siècle : d’abord parce qu’un classique n’est ni d’une époque ni d’un lieu, il parle aux lecteurs de tous temps ; ensuite parce que lire Quatrevingt-treize aujourd’hui au Burkina a tout son sens. Depuis 2015, nous sommes dans une guerre sans merci contre des terroristes qui ne reculent devant aucune sauvagerie pour traumatiser les populations. En face, nous avons des forces de défense qui hésitent entre utiliser les armes des terroristes « pour les terroriser » et rester des soldats ayant des valeurs. Gauvin et Lantenac nous montrent que, même dans la guerre et la guerre civile, il est possible de ne pas renoncer aux valeurs qui fondent notre humanité : la charité, le sacrifice de soi, l’éthique… C’est quand les ombres tombent sur la société que les hommes doivent être des porteurs de lumière.

 

Alcény Saïdou Barry

 

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