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Procès putsch manqué : Rendez-vous ce matin pour les questions du tribunal

Lentement mais sûrement, l’on s’achemine vers la fin du procès du putsch manqué de septembre 2015. Ainsi, l’audience de ce 26 août 2019 sera consacrée aux questions auxquelles les juges auront à répondre, une fois en délibération. C’est ce qu’a déclaré le président Seidou Ouédraogo le 23 août dernier, au terme de  l’exercice du droit de réplique du parquet militaire,  précédé des plaidoiries des avocats d’Hermann Yaméogo et de Léonce Koné. La défense de ces deux accusés a consisté pour leurs conseils, Me Antoinette Ouédraogo et Me Yérim Thiam, à démontrer que leurs clients, tous les deux des hommes politiques, ne sont impliqués ni de près ni de loin dans ce pronunciamiento, avant de demander leur acquittement.

 

 

L’histoire retiendra que c’est Me Antoinette Ouédraogo et Me Yérim Thiam qui ont été les derniers à tenir le crachoir pour les plaidoiries de la défense dans le cadre du procès marathon du putsch manqué de septembre 2015. Les deux hommes de droit qui défendent les accusés Léonce Koné et Hermann Yaméogo ont ainsi déballé les derniers arguments qui pourraient aider, comme ils le souhaitent, à l’acquittement de leurs clients. Mais avant d’entrer dans le vif de l’exercice, ils ont tenu à faire acte de reconnaissance au tribunal qui, suite au malaise de Me Antoinette Ouédraogo, à l’audience du 21 août, a dû observer une suspension. «Je remercie toutes les parties du procès qui ont œuvré pour la  promptitude de ma prise en charge sanitaire, particulièrement mes confrères de la défense qui sont restés à mon chevet jusqu’à ce que je quitte l’hôpital », a déclaré Me Antoinette Ouédraogo.

 

Ayant rendu ainsi à César ce qui est à César, les deux conseils pouvaient se livrer à leurs plaidoiries, qui ont duré des heures. Tout cela pour montrer au tribunal que leurs clients, contre qui le ministère public a requis cinq ans de prison avec sursis, sont blancs comme neige dans cette affaire. Au cours des débats et dans son réquisitoire oral, le parquet militaire, en rappel, a présenté les deux mis en cause comme des soutiens au putsch, pour avoir reçu de l’argent venu de la Côte d’Ivoire au moment des faits. D’où l’infraction de complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat pour laquelle ils sont poursuivis.

 

«De simples allégations»

 

La lecture de Me Antoinette Ouédraogo est que les arguments du procureur sont dépourvus de preuves et fondés sur «de simples allégations, jetant alors un discrédit sur les déclarations de l’agent de renseignement Bi Ila Bénédicte, selon lesquelles Hermann Yaméogo était un proche de Léonce Koné qui, lui, était le bras financier du coup d’Etat : « Monsieur le président, c’est sur des déclarations aussi lapidaires, aussi infondées que décousues qu’on poursuit des citoyens ».  L’avocate a martelé  que ni Hermann Yaméogo ni Léonce Koné ne savaient qu’un colis venait de la Côte d’Ivoire. «Il ne ressort d’ailleurs dans aucune enquête que le Conseil national de la démocratie (CND) avait besoin d’argent. Si elle s’avérait, cette supputation qui tend à faire croire que les fonds sont venus de Côte d’Ivoire, Hermann Yaméogo et Léonce Koné ont-ils mis en péril les institutions ? Ont-ils acheté des armes pour des soldats en recevant de l’argent ? On ne peut pas et on ne doit pas dire que parce que telle chose s’est passée, telle autre constitue une infraction».  Elle a signifié que si le parquet militaire veut faire de cet argent son cheval de bataille, il doit dire à quoi cette manne a servi. 

 

Si le ministère public estime par ailleurs que les deux accusés sont complices d’attentat à la sûreté de l’Etat pour avoir rencontré le général Diendéré à la date du 17 septembre 2015, cela est loin de convaincre Me Antoinette Ouédraogo, qui est plutôt persuadée que le parquet fait de la discrimination, car à la date indiquée, ses deux clients n’ont pas été les seuls hommes politiques à avoir rencontré «Golf». «Achille Tapsoba et Nignan Moïse Traoré, deux vice-présidents du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), y étaient aussi. Monsieur le président, ce n’est pas parce que les deux accusés ont quelque chose contre Nignan Moïse et Achille Tapsoba mais simplement parce que la Constitution ne permet pas une telle discrimination», a-t-elle argué. 

 

« 60% des  messages attribués à Hermann et Léonce n’émanaient pas d’eux»


Pour que ses clients soient déchargés de l’infraction de complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat et par conséquent des meurtres et coups et blessures volontaires, Me Antoinette n’a pas passé sous silence les supposées conversations téléphoniques que les deux hommes politiques ont eues lors des évènements. Des conversations qui constituent des éléments à charge, selon l’accusation. Mais l’ex-bâtonnier du Barreau burkinabè ne l’entend pas de cette oreille. Elle a, en effet, émis un doute sur l’authenticité desdites conversations, expliquant que devant le juge d’instruction, la défense et ses clients ont découvert les messages «dans des conditions exceptionnelles». «On nous a réunis dans une salle pour nous présenter ces messages. Le document qui les contenait était volumineux, le juge a donc demandé au greffier de présenter à chacun les pièces qui le concernaient. Mais pour ce qui concerne Léonce Koné et Hermann Yaméogo, nous avons trouvé que 60% des messages qu’on leur attribuait n’émanaient pas d’eux».

 

A la suite de l’avocate, c’est son confrère, Me Yérim Thiam, qui a poursuivi dans la même dynamique en plaidant pour l’acquittement des deux présumés soutiens des « putschistes ». Lui, il s’est attaqué aux fondements juridiques de la procédure pour démontrer que les infractions ne sont pas constituées. L’attentat à la sûreté de l’Etat, a-t-il dit, suppose l’existence de deux éléments : l’élément matériel et l’élément intentionnel. Il a ajouté qu’aux termes de l’article 67 du Code pénal, cette infraction n’est constituée que lorsque trois conditions sont remplies, à savoir qu’il y ait une infraction initiale, que la conséquence de celle-ci soit prévisible et que l’infraction secondaire ait un lien avec la principale. Et d’opiner sur «le caractère continu» de l’infraction, tel que soutenu par la partie poursuivante. « Le parquet militaire dit que le crime d’attentat à la sûreté de l’Etat est un crime continu. En droit, ce sont là des déclarations sans fondements juridiques. On ne peut pas dire que le coup d’Etat est une infraction continue et estimer dans le même temps que les infractions sont séparées et que les unes sont les conséquences prévisibles des autres ». En se focalisant, dans la foulée, sur le caractère prévisible des autres infractions, le bâtonnier sénégalais a embouché la même trompette que d’autres confrères de la défense, arguant que l’histoire regorge d’exemples de putschs qui n’ont causé ni de violences ni de morts.

 

«Zida a parlé des commanditaires mais il n’a pas cité mes deux clients»

 

L’avocat est par ailleurs convaincu que si ses deux clients Léonce Koné du CDP, et Hermann Yaméogo de l’UNDD,sont poursuivis dans l’affaire, c’est au nom de leurs convictions politiques, car ayant défendu l’inclusion alors que leurs partis étaient exclus de la course à la présidentielle de 2015. Et si pour le parquet militaire ces deux personnalités politiques font partie des commanditaires du putsch avorté, Me Thiam a estimé que cet argument ne tient pas la route. «Dans son livre intitulé ‘’Je sais qui je suis’’, Yacouba Isaac Zida  a parlé des commanditaires du putsch. Mais à aucun moment il n’a cité Léonce Koné et Hermann Yaméogo. Même devant le juge d’instruction, il ne l’a pas fait », a-t-il brandi.  L’autre argument à charge contre les deux accusés, ce sont  les « accointances » de leurs partis politiques avec le général Diendéré. «Lors des débats, on a voulu contester ces allégations du parquet mais on nous a dit que cette contestation ne résiste pas à une critique sérieuse. Mais le ministère public n’a pas apporté de preuves de ses allégations », s’est indigné l’homme de droit. Il s’est référé au dictionnaire pour expliquer que parler d’accointances suppose l’existence «de liens particuliers » entre le général et les parties mises en cause. « Quels liens particuliers le parquet justifie entre Léonce Koné, Hermann Yameogo et Diendéré ? Aucun. Au moment des faits, le général Pingrenoma Zagré téléphonait au général Diendéré. Même s’ils ne s’aimaient pas, il y avait des liens particuliers entre eux. Mais un chef d’Etat qui reçoit des chefs de partis, peut-on parler de liens entre eux ?», s’est-il interrogé. Ces développements faits, les deux accusés ont été invités à livrer leurs mots de la fin (lire encadrés).

 

Le droit de réplique du parquetier qui suscite la colère de la défense

 

Les plaidoiries de la défense à présent terminées, le ministère public, sur l’invitation du président Seidou Ouédraogo, pouvait exercer son droit de réplique conformément à l’article 70 de la loi portant Chambre criminelle. En substance, le procureur militaire a donné sa lecture du déroulement de la procédure, de l’instruction du dossier jusqu’en barre d’audience en passant par les plaidoiries. « Nous avons suivi avec beaucoup d’intérêt les différentes parties. Malgré leur évidence, la défense a continué à nier les faits sous prétexte qu’il faut privilégier le principe de l’oralité, tout en sachant que le droit de mentir est reconnu aux accusés. La plupart des avocats ont plaidé l’acquittement de leurs clients. D’autres ont tenté de jeter le discrédit sur le régime de la Transition. (…) Nous avons entendu beaucoup de choses. Nous n’allons pas y revenir ici. Mais tout compte fait, le parquet militaire réitère ses réquisitions. Il requiert de prononcer la destitution de grades pour les accusés déjà décorés et contre qui il a requis la déchéance de grade ».

 

La disposition ci-dessus citée autorisant aussi les avocats et les accusés à s’exprimer en dernière position avant la clôture des débats, les conseils des accusés n’ont pas boudé ce plaisir, eux qui ont mal digéré le droit de réplique du parquet. «Nous sommes étonnés que le parquet prenne la parole une fois de plus après son réquisitoire. Puisque c’est notre droit d’y réagir, nous allons l’exercer pleinement pour montrer que nous ne sommes pas là pour  servir de faire-valoir. S’il faut même que nous revenions sur la présentation des pièces, nous allons le faire », a indiqué Me Zaliatou Aouba qui a du même coup demandé la suspension de l’audience, une dizaine de minutes, pour que la défense prépare de nouveau ses arguments.  

 

« Nous n’avons pas de leçons de plaidoirie à recevoir du parquet »

 

Revenant ainsi à la charge, la défense n’a pas caché sa colère vis-à-vis des parquetiers. Me Zaliatou Aouba dira que le ministère public, dans son droit de réplique, a voulu donner des leçons de plaidoirie à la défense. « Dire que nous nions les faits mérite que l’on s’y attarde. C’est tous les jours que nous soulevons des exceptions, Monsieur le président. Nous n’avons aucune leçon de plaidoirie à recevoir du parquet. On nous a dit que nous nous en prenions au parquet. Non, c’est sa procédure mal conduite que nous dénonçons. Le parquet dit également que nous fustigeons le régime de la Transition. Nous ne savions pas que le ministère public était l’avocat de la Transition. Nous pensions que le parquet défendait la société. Monsieur le président, nous sommes heureux de savoir qu’au lieu de se préoccuper des 15 000 pages du dossier, le parquet est là pour défendre le régime de la Transition. Faites noter cela dans le plumitif », a souhaité l’avocate. Au finish, a résumé Me Aouba, « le parquet n’a rien dit dans son droit de réplique ».

 

Pour Me Dieudonné Bonkoungou, l’accusation est passée à côté de ce qui devait être son rôle : « J’ai cru que le parquet, en prenant la parole, devait se rendre à l’évidence que les plaidoiries des avocats de la défense ont révélé le vide du dossier, un vide factuel et l’absence d’analyses juridiques.  Le parquet a manqué de démonstrations juridiques contre ce que nous avons développé ici ».  

 

Pour sa part, Me Yérim Thiam a jugé l’exercice du parquet juridiquement non fondé : « J’ai derrière moi 44 ans de profession. Mais c’est la première fois que je vois le parquet exercer un droit de réponse après ses réquisitions. Il me fallait attendre 44 ans pour voir ça », a insisté l’homme de droit qui dit avoir plaidé pour l’ex-président sénégalais Abdoulaye Wade dans un procès en 1988.

Les débats déclarés clos, le président de la Chambre de première instance du tribunal militaire a annoncé que les questions du tribunal seraient dévoilées à l’audience de ce 26 août 2019, laquelle reprend à 9 heures dans la salle des banquets.

Aboubacar Dermé

Bernard Kaboré

 

Encadré :

Ce que dit l’article 70

 

«Une fois l’instruction à l’audience terminée, la partie civile ou son conseil est entendu. Le ministère public prend ses réquisitions. L’accusé et son conseil présentent leur défense. La réplique est permise à la partie civile et au ministère public, mais l’accusé ou son conseil aura toujours la parole en dernier. » 

 

Encadré :

 

Comme mot de la fin, ils ont dit :

«Je doute que ce procès permette de faire la lumière sur les circonstances du drame»

 (Léonce Koné)

 

On retiendra de ce procès du putsch manqué que le mot de la fin des accusés est toujours cette perche avec laquelle ceux-ci tentent de se tirer d’affaire tout en déplorant les victimes ou en souhaitant un prompt rétablissement aux blessés qui portent encore des séquelles de ces événements. L’accusé Léonce Koné, au-delà de cette rhétorique, n’a pas manqué l’occasion de balayer du revers de la main les faits à lui reprochés, se considérant une fois de plus victime d’un procès politique : « On a beaucoup épilogué sur la question de savoir si ce procès était ou n’était pas un procès politique. Je trouve cette discussion absurde.  Le procès d’un coup d’Etat est politique, par essence, puisque ce dont il s’agit, c’est de juger des personnes soupçonnées, à tort ou à raison, d’avoir participé à une tentative de renversement des institutions de l’Etat. En ce qui me concerne, il l’est assurément, parce que je comparais ici en tant qu’homme politique. L’initiative d’engager des poursuites contre moi a été prise par des autorités politiques sur la base de considérations politiques. Les dépositions  qui ont été faites par le  Premier ministre Yacouba Isaac Zida, par M. Chérif Moumina SY, ancien Président du Conseil national de la Transition, et  par le  Colonel Auguste Denise Barry le montrent clairement. Le rôle trouble et  funeste  qu’a joué M. Zida dès le lendemain de l’insurrection et tout au long de la Transition, pour conquérir le pouvoir et s’y maintenir est connu de tous. »

 

 

La réconciliation  nationale s’est aussi invitée dans le speech final de l’accusé. L’impératif de la réconciliation, dit-il, « impose de trouver une cote mal taillée, un compromis raisonnable pour construire dans notre pays une démocratie ouverte, compétitive et pacifique, sans violences politiques,  sans prisonniers politiques, sans exilés politiques, sans qu’un ancien Chef de l’Etat et d’anciens ministres soient traduits devant la Haute Cour de justice sur le fondement d’accusations politiques aberrantes, qui n’ont rien à voir avec la légalité. » In fine, l’accusé dit douter que ce procès  permette de faire la lumière, avec objectivité,  sur les circonstances précises des drames que les victimes ont vécus. Il a souhaité qu’à défaut de la vérité, les victimes bénéficient d’une réparation adéquate des préjudices moraux et matériels qu’elles ont subis. 

 

« La place du général Diendéré n’est pas à la MACA »

 (Me Hermann Yaméogo)

 

Me Hermann Yameogo, lui, reprendra une rengaine, mainte, fois déclamée par la défense, pour dénoncer une dernière fois la non-constitution des infractions qui lui sont reprochés : « Le parquet a voulu ratisser large avec l’infraction d’attentat à la sûreté de l’Etat».  Ce procès est, a-t-il ajouté, «un tissu de charges retenues contre des accusés». «En quoi je peux être poursuivi pour attentat à la sûreté de l’Etat ? Comment être complice d’un fait dont on n’est pas informé ?  On a appris la nouvelle du coup d’Etat à la radio comme tout le monde, mais on vient nous désigner comme en étant les planificateurs». En évoquant la rencontre avec le président de l’éphémère CND, Me Hermann Yameogo a voulu convaincre le tribunal que cela ne pouvait pas constituer une base de poursuite pour attentat à la sûreté de l’Etat, car, a-t-il affirmé, ce n’est pas nouveau, chaque fois qu’il y avait un coup d’Etat, des hommes politiques aillent s’imprégner de la situation. En dernier ressort, Me Hermann Yaméogo, en bon avocat, n’a pas manqué de plaider en faveur des militaires qui sont dans le box des accusés, contexte sécuritaire oblige : « Le contexte que nous vivons aujourd’hui est tellement dramatique que j’appelle à la paix et à la concorde. Il y a des militaires ici qui pourraient apporter leur contribution. La place du général Diendéré n’est pas à la MACA. Celle du général Bassolé n’est pas dans une seconde prison (…) ».

B.K.

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