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Intoxication alimentaire à Lapio: Treize décès, mille questions

Décimée ! C’est le terme qui sied quand on parle de la famille Bakouan du village de Lapio dans la commune de Didyr. En trois jours, le vieux Bafoma Denis (81 ans) et douze des siens sont morts tragiquement. D’autres victimes ont été hospitalisées à Koudougou et à Ouagadougou. Nous nous sommes rendus dans cette famille le jeudi 05 septembre 2019, soit quatre jours après le déclenchement de cette série noire. Notre séjour au sein de cette fratrie éplorée n’a cependant pas permis de dissiper tous les questionnements qui ont motivé notre déplacement.

 

 

Il était exactement 10h 05 quand nous nous garions devant la cour endeuillée. Cela après plus de 30 mn à nous frayer un passage sur une piste parsemée de trous, de buissons et de marais. Il fallait s’entourer de mille précautions pour ne pas s’embourber. ‘’D’ici un an, ces sentiers se transformeront en boulevards pour les politiciens qui n’hésiteront pas à y engager leurs grosses cylindrées à la recherche de l’électorat’’, marmonne un confrère embarqué avec nous. Nous nous demandions du reste comment faisait notre guide, Samuel Bakouan, pour s’orienter dans ce capharnaüm d’arbres, de buissons et de champs.

 

Sur le parcours, nous remarquons des traces de pneus de véhicules. Le guide nous informe que les autorités régionales se sont rendues ce même jour à Lapio. Sûrement pour apporter soutien et réconfort au restant de la famille éprouvée. Nous apprenons également que les autorités communales de Didyr et provinciales du Sanguié s’y sont rendues les jours d’avant.

 

Nous voici aussi à Lapio. Précédés par notre guide, nous présentâmes nos condoléances au vieux Jean Pierre Bakouan, petit frère du désormais regretté chef de famille. Jean Pierre Bakouan était assis sous un antique hangar, avec à ses côtés son cousin Fidèle Bakouan, tous deux d’un âge bien avancé. Autour d’eux, quelques rescapés de l’hécatombe. Les yeux rougis par la douleur du deuil, ils prient nos salutations et écoutèrent notre guide leur expliquer les raisons de notre présence.

 

Le vieux Jean Pierre Bakouan consentit à nous conter ce qui était arrivé ce dimanche noir du 1er septembre. Ses propos sont confirmés plus tard par la petite-fille du regretté chef de famille, Aïcha Bakouan, ainsi que par le papa de cette dernière, Denis Bakouan, qui était au chevet de ceux qui ont été évacués à Ouagadougou. ‘’Le samedi 24 août 2019, il y avait des fiançailles dans la famille. On a retiré du petit mil d’un des greniers pour faire du jus de farine communément appelé zoom-koom. Les résidus de zoom-koom ont été mis à sécher. Le samedi suivant, soit le 31 août, la dernière femme de mon grand frère, Egnomboué Kantoro (NDLR : le patriarche avait trois épouses), a enlevé le résidu et en a préparé des beignets avec des feuilles de haricot cueillies dans le champ familial. La nuit, autour de 20h, les beignets ont été servis aux membres de la famille’’, confie Jean Pierre Bakouan.

 

 

Dimanche funeste chez les Bakouan

 

La famille nous apprend que ce n’est pas la première fois que du mil est prélevé du grenier. Et nous avons eu le loisir de constater que ce grenier, qui contient des récoltes de trois ans de date, est à moitié vide. Le dimanche matin, les enfants amènent les animaux au pâturage. C’est de là-bas qu’un enfant, Richard, âgé de 05 ans, a commencé à pousser des cris. Son père, croyant à une morsure de serpent, le ramène à la maison, après avoir fouillé en vain les buissons. On lui applique un produit contre les morsures de serpent. ‘’J’étais à la messe à Didyr où je réside pendant les vacances. Quand on m’a informé, j’ai rejoint le village en prenant soin d’acheter du paracétamol. A mon arrivée, l’enfant se tordait de douleur. J’ai fait écraser un comprimé et quand nous l’avons forcé à boire, il a vomi le tout sur-le-champ. Une autre fillette, Marie, 05 ans aussi, était prise par les mêmes douleurs’’, explique aussi Dieudonné Bakouan, que nous avons joint au téléphone. Ce dernier est instituteur en service à Djibo. Richard est transporté à l’intérieur de la cour où il meurt quelques minutes après. La petite Marie, elle, qui avait succombé dans une maison peu avant lui.

 

‘’Quand je suis sorti pour annoncer la nouvelle à mon père, je l’ai trouvé en train de convulser aussi. Il ne pouvait même plus parler. Nous l’avons transporté au CSPS de Didyr, où il a rendu l’âme sans avoir prononcé un seul mot’’, poursuit Dieudonné Bakouan. Il ajoute qu’un enfant qui les avait accompagnés au CSPS de Didyr y mourra aussi, juste après son père. D’autres membres de la famille sont pris par les mêmes douleurs.

 

Transportés au CSPS de Didyr, ils seront évacués à Koudougou et à Ouagadougou, précisément à Bogodogo et à Yalgado. Au total, 24 personnes sont atteintes par ce mal. Au nombre de celles-ci, onze moururent entre le dimanche 1er et le mercredi 04 septembre. Sur les 24 personnes affectées, il y a deux bébés de deux et trois mois. La maman de l’un d’entre eux succombera à Koudougou. La dernière épouse du vieux, celle qui avait eu la charge de préparer les beignets, Egnomboué Kantoro, 33 ans, décédera à l’hôpital Yalgado.

 

Un bref coup de fil, et le drame s’amplifie

 

Dans la cour, juste à côté du grenier dans lequel a été prélevé le petit mil, sous un petit hangar, agonisait une chèvre. ‘’Nous ne savons pas ce qu’elle a consommé. Elle ne peut plus se tenir sur ses pattes’’, confie Aïcha Bakouan, petite-fille du vieux Bafoma Bakouan et de la vieille Ezoin Kantoro, première épouse de Bafoma. Aïcha nous introduit dans la maison de sa grand-mère. Une miraculée. Car si elle n’a pas consommé sa part de beignets, c’est tout simplement parce qu’elle souffrait de maux de dents (lire encadré 3).

 

Elle soutient que le contenu du grenier sert régulièrement à nourrir la famille. Quid des feuilles de haricot utilisées pour faire les beignets ? La famille nous assure que des produits chimiques, des insecticides ou des herbicides n’y ont pas été pulvérisés. Nous décidâmes d’aller voir le champ où ont poussé le mil et le haricot. C’est pendant que nous y étions qu’Aïcha reçoit un bref coup de fil l’informant que douze membres de sa famille venaient de succomber. Courageuse jusque-là, elle fond en larmes. Tout le groupe est tétanisé.

 

Et, fait troublant, Aïcha Bakouan affirme catégorique que son cousin Seydou n’a pas consommé les beignets. ‘’Il était à Didyr et n’est revenu que quand il a été informé de ce qui se passait le dimanche’’, soutient-elle. Elle va plus loin en martelant que Richard, l’enfant qui a été pris de douleur au champ, n’a pas non plus mangé les beignets (lire encadré 2). Ce qui nous laisse perplexes. Du champ, nous regagnons la concession. Le vieux Jean Pierre poussait de petits cris de désolation. Il venait d’apprendre la mort de Seydou, le douzième. Nous dûmes prendre congé, tout aussi affligés. Nous reprîmes ainsi la route de Didyr.

 

‘’C’est Dieu qui sait ce qui s’est passé’’

 

Les questions fourmillent dans notre tête. Qu’est-ce qui est la cause de cet holocauste ? Intoxication alimentaire ? Empoisonnement ou sort jeté par quelques obscurs individus comme certaines personnes le pensent ? Comment des personnes n’ayant pas consommé les beignets se sont retrouvées malades, jusqu’à en mourir ? Si l’intoxication est due aux résidus du petit mil, pourquoi la consommation du zoom-koom, une semaine plus tôt, n’a affecté personne ? Si les beignets sont la cause de ce drame, qu’est-ce qui a provoqué cela ? Les résidus de mil ou les feuilles de haricot ? Des questions qui sont restées sans réponses même après notre passage au CSPS de Didyr. L’infirmier, chef de poste, Sylvain Kaboré, nous a renvoyés à sa hiérarchie. Une hiérarchie demeurée injoignable, tant au district sanitaire de Réo qu’à la direction régionale de la Santé du Centre-Ouest.

 

De retour à Koudougou, nous mettons le cap au Centre hospitalier régional ou hôpital de l’Amitié où étaient toujours hospitalisés Clément Bakouna, sa mère Ezanboé qui se trouve être la seconde épouse du regretté Bafoma et trois autres enfants. Nous avons eu du mal à arracher des mots au pauvre Clément. Il venait d’apprendre la mort de son frère Seydou quelques minutes plus tôt. Il marmonne ne plus savoir à quel saint se vouer. ‘’C’est Dieu qui sait ce qui se passe’’, soupire-t-il. Il nous informe que le fameux samedi 31 août, il est rentré vers minuit et a trouvé quelques boulettes de beignets dans sa maison. Il a pris une bouchée mais n’a pu l’avaler. ‘’J’ai trouvé le goût bizarre et je me suis dit que ce n’est pas bien cuit. J’ai tout recraché’’, raconte notre interlocuteur, l’air hagard. Le samedi, Dieudonné Bakouan nous a appris la mort d’un treizième, un enfant de 05 ans du nom de Fidèle. Quand nous tracions ces lignes, la famille Bakouan de Lapio avait perdu treize de ses membres dans cette sinistre affaire : deux sont décédés dans la cour, deux à Didyr, cinq à Koudougou et quatre à Ouagadougou.

 

Cyrille Zoma

 

 

 

Encadré 1 :

Funeste journée mouvementée à Didyr

 

Selon des sources proches du CSPS de Didyr, c’est à 14h que la première victime y a été amenée dans un état comateux. C’était le chef de famille, Bafoma Denis Bakouan. Il a rendu l’âme avant même les premiers soins. Peu après, c’est une femme d’une trentaine d’années qui y est conduite. Alors que les infirmiers s’affairaient à lui administrer les soins d’urgence, d’autres cas arrivaient en cascade, transportés à bord de taxis-motos. Au total, 15 patients ont été accueillis dont le patriarche qui y est resté. Les autres ont été évacués à Koudougou et à Ouagadougou. Dans l’après-midi, une équipe du CSPS s’est rendue dans la famille afin de procéder à des investigations et sensibiliser les rescapés aux précautions à observer. Sur conseil des agents de santé, quatre autres membres de la famille se sont rendus d’eux-mêmes au CSPS et ont été référés à Koudougou.

 

Nous apprendrons que d’autres ont été amenés directement à Koudougou sans passer par le CSPS. Tous ceux qui y ont été admis présentaient comme symptômes des vomissements, une perte de connaissance, une hyper salivation, la diarrhée. Au total, 24 personnes ont été affectées. Leur âge varie entre 02 mois et 81 ans. Treize d’entre elles ont péri. Aux dernières nouvelles, celles qui étaient à l’hôpital de l’Amitié ont été libérées. Elles ont rejoint une cour familiale à Koudougou. Deux autres sont toujours en soins à Ouagadougou, dont un enfant dans un état critique.

 

C. Z.

 

 

 

Encadré 2 :

Les certitudes d’Aïcha Bakouan

 

Son témoignage a jeté le flou sur les causes de ce drame. Certes, la ministre de la Santé qui, sûrement, s’est appuyée sur les résultats des analyses effectuées par le laboratoire a évoqué la thèse de l’intoxication alimentaire provoquée par la consommation de céréales contaminées aux pesticides. Mais Aïcha, juste après avoir reçu le coup de fil lui annonçant le décès de la douzième victime, a manifesté son incompréhension, en soutenant que ce dernier, Clément, n’a pas consommé les beignets.

 

Elle indique qu’il a rejoint la famille le dimanche alors que le mal s’était déjà déclaré. Cette petite-fille du vieux Bafoma affirme en outre que son cousin le petit Richard, dont les crises ont démarré alors qu’il était au champ, n’aurait pas non plus consommé l’aliment suspect. Elle s’est appuyée sur les affirmations de la mère du petit, qui a soutenu que Richard dormait déjà quand le repas a été servi dans la nuit du samedi. Les propos d’Aïcha sont étayés par une certaine rumeur qui veut que l’origine de ce drame soit autre que celle donnée par les voix officielles.

 

C. Z.

 

 

 

Encadré 3 :

Thérèse, miraculée mais pas fière de l’être

 

‘’A quelque chose malheur est bon’’, dit-on. Et pour Thérèse, le malheur de souffrir d’un vif mal de dents lui aura sauvé la vie. Car, bien qu’ayant reçu sa ration de beignets, la douleur l’a empêchée d’avaler la moindre bouchée. Et c’est ce qui lui a permis d’avoir la vie sauve. Mais la première épouse du vieux Bafoma aurait volontiers échangé son sort contre celui de ses enfants et petits-enfants. En effet, pour elle, mieux vaut mourir que de vivre avec de tels souvenirs. Sans doute faudra-t-il un soutien psychologique à la vieille Thérèse et au reste de la famille du défunt Bafoma Denis afin de leur permettre de tourner la page de cette sombre et tragique histoire. Si, bien sûr, cela est possible après un tel désastre.

 

 C.Z.

 

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