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Sécurité Centre-Nord : «L’Etat devrait se manifester davantage dans cette région» (Mgr Théophile Naré, évêque du diocèse de Kaya)

A l’instar de certaines régions du Burkina Faso, le Centre-Nord  fait face depuis le début de l’année 2019 à des crises sociale et humanitaire sans précédent en raison des violences meurtrières qui sont perpétrées par les groupes armés terroristes contre les Forces de défense et de sécurité, les leaders communautaires (élus locaux, responsables coutumiers et religieux) et les paisibles populations des campagnes et des villes. Outre les nombreuses pertes en vies humaines, les nombreux dégâts matériels et les divers biens emportés, l’ensemble des trois provinces de la région (Sanmatenga, Namentenga et Bam) enregistre à ce jour environ 240 000 personnes déplacées internes. Dans un entretien qu’il nous a accordé le jeudi 5 septembre dernier, Mgr Théophile Naré, évêque du diocèse de Kaya, a déclaré que si les tenants de la religion sont unis et parlent d’une même voix, les populations sauront et accepteront que Dieu n’est pas pour la division.

 

 

Le dimanche 12 mai 2019, des individus armés ont perpétré une attaque en pleine célébration eucharistique contre la communauté chrétienne de l’église paroissiale de Dablo. Le prêtre célébrant et, par ailleurs, vicaire de la paroisse, l’abbé Siméon Dakiiswendé Yampa, et 5 fidèles  ont été tous assassinés lors de cette attaque terroriste. Comment est-ce que vous avez vécu ce drame ?

 

Avec beaucoup de douleur évidemment, et la surprise a été très grande. En son temps, j’étais en train de célébrer le jubilé des catéchistes de notre diocèse à Tougouri (Ndlr : commune rurale du Namentenga) quand la nouvelle nous est parvenue. C’était comme un coup de massue et nous sommes partis pour rejoindre Dablo afin de voir ce qu’il fallait faire pour l’inhumation de ceux qui avaient été assassinés. Quand nous sommes arrivés là-bas (Ndlr : sur les lieux du drame), le spectacle était tellement saisissant que moi je suis resté interloqué. Je n’arrivais pas à comprendre. Il y a des photos qui montrent que j’étais bouleversé. J’ai essayé de poser des questions à certaines personnes mais aucune réponse n’était satisfaisante. Dans ces situations-là, c’est la grande confusion, et plus personne n’arrive à vous donner une version cohérente. Il a fallu attendre quelques jours après pour que les esprits soient en place et qu’enfin on puisse avoir une chronique assez claire des faits. En ce qui me concerne, j’ai vécu ce drame comme un grand choc qui ne m’a pas encore quitté dans la mesure où l’église a été profanée, et depuis l’inhumation des corps du prêtre et des 5 fidèles, je n’ai plus la possibilité d’y retourner. Chaque fois que j’ai essayé, on me l’a déconseillé en me disant qu’il y a des risques. Cette situation crée en moi une frustration et un peu comme une culpabilité parce que,  le Saint-Sacrément étant là-bas et que l’église a été profanée, ça ne me laisse pas tranquille.

 

Auparavant dans la province du Soum, qui fait frontière avec celle du Sanmatenga, l’on a enregistré l’enlèvement d’un prêtre de Djibo et des assassinats de pasteurs d’églises protestantes et de leurs fidèles dans des villages. Est-ce qu’à Dablo, il y avait des menaces contre la communauté chrétienne avant l’attaque terroriste du 12 mai ?

 

Il semble qu’ils (Ndlr : les individus armés) étaient déjà passés et avaient annoncé qu’un jour ils reviendraient à Dablo. Mais ces menaces étaient proférées assez souvent dans plusieurs communautés : il faut arrêter ce que vous faites ; il faut suivre la vraie religion. A Dablo, nous ne pensions pas que ça allait se produire de cette manière. Malheureusement, c’est ce qui est arrivé.

 

Comment les fidèles chrétiens de votre diocèse vivent leur foi depuis ce drame ?

 

Les gens font ce qu’ils peuvent pour continuer à vivre leur foi. Là où c’est encore possible lorsqu’ils sont assez libres, ils se réunissent. Là où ce n’est pas possible de se rassembler, les prières se font en petits groupes et les CCB (Ndlr : Communautés chrétiennes de base) ont retrouvé leur vie normale. Je dirais que cette épreuve est venue consolider la foi des gens. Jésus ne nous a  pas conseillé de nous exposer. Nous avons un passage de l’Evangile qui nous dit que lorsque la persécution va éclater, si on vous poursuit dans une ville, courez dans une autre tout en annonçant l’Evangile. J’espère qu’au sortir de cette tourmente-là, les communautés chrétiennes seront beaucoup plus affermies et elles sauront que suivre le Christ, ce n’est pas autre chose que le chemin de Croix qui peut conduire jusqu’à la mort. Ce n’est pas un christianisme à l’eau de rose. Quand Jésus dit : «Celui qui veut me suivre qu’il prenne sa Croix et me suive ». Là on le touche du doigt dans de pareilles situations. Je crois que tout ce qu’ils ont entendu, comme messages et appels à ne pas céder à la violence, à chercher la réconciliation et la concorde, à pardonner les a aussi aidés.

 

Face à la dégradation de la situation sécuritaire dans certaines localités du Centre-Nord, votre diocèse a-t-il pris des mesures pour minimiser les risques ?

 

Le Christ ne nous demande pas de nous exposer. Si on nous surprend et on nous demande d’apostasier, de renier notre foi, nous sommes prêts à mourir. Mais le Seigneur ne nous demande pas d’aller au-devant de la mort d’une manière bravache. Tant que je reste en vie et que ma vie n’est pas menacée par une autre, c’est que j’ai encore une mission à accomplir. Il ne faut pas se détruire sous prétexte que tu veux aller au ciel. Dans le sens de la protection des vies, nous avons retiré certains catéchistes de leur lieu d’apostolat parce qu’ils étaient particulièrement visés. Il en est de même pour les prêtres dont les communautés chrétiennes leur ont demandé de se retirer et de se mettre à l’abri. Quand j’ai effectué une visite à Barsalogho, beaucoup de gens ont trouvé que c’était imprudent. Mais moi, j’ai estimé qu’il le fallait parce que les chrétiens commençaient à se décourager. Ils se demandaient si on pensait encore à eux.

 

Quelle est la contribution de votre diocèse aux côtés de l’Etat pour aider les milliers de personnes déplacées internes victimes de l’insécurité dans la province ?

 

Nous sommes solidaire et en communion avec toutes les personnes qui souffrent sans discrimination aucune. Afin de contribuer à soulager leur souffrance, nous avons, à travers l’OCADES/Caritas qui est l’organe de pastorale sociale du diocèse, mobilisé des ressources avec le soutien de nos partenaires et amis pour la mise en œuvre d’une série d’interventions humanitaires au profit des personnes déplacées. C’est très triste. J’ai pu constater lors de ma visite à Barsalogho les difficiles conditions de vie des déplacés. A Kaya, c’est le même constat. Il suffit de jeter un coup d’œil dans les quartiers périphériques, ils (Ndlr : les déplacés internes) ont squatté les maisons vides des zones non loties et occupé les salles de classe et les maisons vides. C’est vraiment une catastrophe humanitaire. Ce que nous leur apportons n’est pas grand-chose mais un témoignage de l’amour de Dieu pour les aider à y croire afin de garder l’espérance parce que Dieu est pour nous. Nous prions et nous invitons à agir pour qu’on puisse retourner à une vie normale et que les personnes déplacées puissent regagner leurs villages, retrouver leurs maisons et vaquer librement à leurs occupations. Je lance un appel à tous les diocésains de Kaya et à tout le peuple de notre cher Faso à être solidaires des personnes qui souffrent. Contribuons à soulager concrètement leur misère, en les aidant à comprendre qu’ils ne sont pas seuls et en réfléchissant pour voir comment nous allons sortir de cette crise.  

 

Les leaders religieux mènent-ils des actions concertées en vue de promouvoir la paix et la cohésion sociale dans la région ?

 

Hier (Ndlr : l’entretien a eu lieu le jeudi 5 septembre), j’ai reçu une communauté de musulmans dans le cadre de la concertation pour que nous puissions ensemble agir en tant que religieux dans le sens d’aider les personnes en difficulté. Je leur ai dit qu’il est important que nous puissions coordonner nos efforts, qu’il y ait une synergie d’actions afin que les gens puissent croire que Dieu n’est pas pour la division. Il n’y a pas longtemps, j’ai reçu un groupe de protestants. On sent une forte volonté de coordination de nos efforts entre autorités religieuses pour que notre message puisse être beaucoup incisif, plus efficace. Si les tenants de la religion sont unis et parlent d’une seule et même voix, les gens sauront et accepteront que Dieu n’est pas pour la division. S’il était pour la division, ces ministres ne seraient pas unis.

 

Quel appel avez-vous à lancer aux autorités nationales ?   

 

Je remercie L’Observateur paalga pour l’intérêt qu’il porte aux situations que nous vivons. Il y a eu un moment où nous avons eu l’impression que ceux de Ouagadougou vivaient dans une bulle et n’étaient pas au courant de ce qui se passait ici. Je lisais de temps en temps quelques lignes de journaux qui relataient ce qui se passait au Centre-Nord. A la télévision, c’est Miss Burkina qui se promenait. On se disait qu’ils ne s’intéressaient pas à nous. Maintenant, on voit de plus en plus qu’il y a un intérêt, une ouverture et un regard sur ce qui se passe dans notre région même si moi je trouve que ce n’est pas suffisant. L’Etat devrait se manifester davantage dans cette région parce qu’il y a un grand besoin. Vous savez mieux que moi que l’une des causes, entre autres, de cette situation, c’est justement l’absence de l’Etat dans certaines régions. Et si l’Etat est absent, il y a d’autres personnes qui se substituent à l’Etat et ce n’est pas toujours pour bien faire. Mon souhait est que cette décentralisation tant prônée soit une réalité et que l’information puisse circuler. Qu’il y ait un intérêt égal pour toutes les régions jusqu’aux frontières les plus extrêmes afin qu’on sache que nous sommes tous au Burkina Faso et que notre sort préoccupe tous les Burkinabè et d’abord nos dirigeants. Je souhaite que nous gardions au cœur l’espérance en nous disant que rien n’est compromis et que nous pouvons encore remporter la victoire. Nous gagnerons parce que Dieu est avec nous.

 

Entretien réalisé par

D.D. Windpouyré Ouédraogo

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